La reine tourna la tête vers cette femme.
– Eh bien, oui, répéta la femme, je dis que tu es fière, Antoinette, et que c’est ta fierté qui t’a perdue.
La reine rougit.
Le chevalier se tourna vers la femme qui avait prononcé ces paroles, et répliqua doucement:
– Elle était reine.
Maurice lui saisit le poignet.
– Allons, lui dit-il tout bas, ayez le courage de ne pas vous perdre.
– Oh! monsieur Maurice, répliqua le chevalier, vous êtes un homme, et vous savez que vous parlez à un homme. Oh! dites-moi, est-ce que vous croyez qu’ils puissent la condamner?
– Je ne le crois pas, dit Maurice, j’en suis sûr.
– Oh! une femme! s’écria Maison-Rouge avec un sanglot.
– Non, une reine, répliqua Maurice. C’est vous-même qui venez de le lire.
Le chevalier saisit à son tour le poignet de Maurice, et, avec une force dont on aurait pu le croire incapable, il l’obligea à se pencher vers lui.
Il était trois heures et demie du matin, de grands vides se laissaient voir parmi les spectateurs. Quelques lumières s’éteignaient çà et là, jetant des parties de la salle dans l’obscurité.
Une des parties les plus obscures était celle où se trouvaient le chevalier et Maurice, écoutant ce qu’il allait lui dire.
– Pourquoi donc êtes-vous ici, et qu’y venez-vous faire, demanda le chevalier, vous, monsieur, qui n’avez pas un cœur de tigre?
– Hélas! dit Maurice, j’y suis pour savoir ce qu’est devenue une malheureuse femme.
– Oui, oui, dit Maison-Rouge, celle que son mari a poussée dans le cachot de la reine, n’est-ce pas? celle qui a été arrêtée sous mes yeux?
– Geneviève?
– Oui, Geneviève.
– Ainsi, Geneviève est prisonnière, sacrifiée par son mari, tuée par Dixmer?… Oh! je comprends tout, je comprends tout, maintenant. Chevalier, racontez-moi ce qui s’est passé, dites-moi où elle est, dites-moi où je puis la retrouver. Chevalier… cette femme, c’est ma vie, entendez-vous?
– Eh bien, je l’ai vue; j’étais là quand elle a été arrêtée. Moi aussi, je venais pour faire évader la reine! mais nos deux projets, que nous n’avions pu nous communiquer, se sont nuit au lieu de se servir.
– Et vous ne l’avez pas sauvée, au moins, elle, votre sœur, Geneviève?
– Le pouvais-je? Une grille de fer me séparait d’elle. Ah! si vous aviez été là, si vous aviez pu réunir vos forces aux miennes, le barreau maudit eût cédé, et nous les eussions sauvées toutes deux.
– Geneviève! Geneviève! murmura Maurice.
Puis regardant Maison-Rouge avec une indéfinissable expression de rage:
– Et Dixmer, qu’est-il devenu? demanda-t-il.
– Je ne sais. Il s’est sauvé de son côté, et moi du mien.
– Oh! dit Maurice les dents serrées, si je le rejoins jamais…
– Oui, je comprends. Mais rien n’est désespéré encore pour Geneviève, dit Maison-Rouge, tandis qu’ici, tandis que pour la reine… Oh! tenez, Maurice, vous êtes un homme de cœur, un homme puissant; vous avez des amis… Oh! je vous en prie, comme on prie Dieu… Maurice, aidez-moi à sauver la reine.
– Y pensez-vous?
– Maurice, Geneviève vous en supplie par ma voix.
– Oh! ne prononcez pas ce nom, monsieur. Qui sait si, comme Dixmer, vous n’avez pas sacrifié la pauvre femme?
– Monsieur, répondit le chevalier avec fierté, je sais, quand je m’attache à une cause, ne sacrifier que moi seul.
En ce moment, la porte des délibérations se rouvrit; Maurice allait répondre.
– Silence, monsieur! dit le chevalier; silence! voici les juges qui rentrent.
Et Maurice sentit trembler la main que Maison-Rouge, pâle et chancelant, venait de poser sur son bras.
– Oh! murmura le chevalier; oh! le cœur me manque.
– Du courage, et contenez-vous, ou vous êtes perdu! dit Maurice.
Le tribunal rentrait, en effet, et la nouvelle de sa rentrée se répandit dans les corridors et les galeries.
La foule se rua de nouveau dans la salle, et les lumières parurent se ranimer d’elles-mêmes pour ce moment décisif et solennel.
On venait de ramener la reine; elle se tenait droite, immobile, hautaine, les yeux fixes et les lèvres serrées.
On lui lut l’arrêt qui la condamnait à la peine de mort.
Elle écouta, sans pâlir, sans sourciller, sans qu’un muscle de son visage indiquât l’apparence de l’émotion.
Puis elle se retourna vers le chevalier, lui adressa un long et éloquent regard, comme pour remercier cet homme qu’elle n’avait jamais vu que comme la statue vivante du dévouement; et, s’appuyant sur le bras de l’officier de gendarmerie qui commandait la force armée, elle sortit calme et digne du tribunal.
Maurice poussa un long soupir.
– Dieu merci! dit-il, rien dans sa déclaration n’a compromis Geneviève, et il y a encore de l’espoir.
– Dieu merci! murmura de son côté le chevalier de Maison-Rouge, tout est fini et la lutte est terminée. Je n’avais pas la force d’aller plus loin.
– Du courage, monsieur! dit tout bas Maurice.
– J’en aurai, monsieur, répondit le chevalier.
Et tous deux, après s’être serré la main, s’éloignèrent par deux issues différentes.
La reine fut reconduite à la Conciergerie: quatre heures sonnaient à la grande horloge comme elle y rentrait.
Au débouché du Pont-Neuf, Maurice fut arrêté par les deux bras de Lorin.
– Halte-là, dit-il, on ne passe pas!
– Pourquoi cela?
– Où vas-tu, d’abord?
– Je vais chez moi. Justement, je puis rentrer maintenant, je sais ce qu’elle est devenue.
– Tant mieux; mais tu ne rentreras pas.
– La raison?
– La raison, la voici: il y a deux heures, les gendarmes sont venus pour t’arrêter.
– Ah! s’écria Maurice. Eh bien, raison de plus.
– Es-tu fou? et Geneviève?
– C’est vrai. Et où allons-nous?
– Chez moi, pardieu!
– Mais je te perds.
– Raison de plus; allons, arrive.
Et il l’entraîna.
XLVII Prêtre et bourreau
En sortant du tribunal, la reine avait été ramenée à la Conciergerie.
Arrivée dans sa chambre, elle avait pris des ciseaux, avait coupé ses longs et beaux cheveux, devenus plus beaux de l’absence de la poudre, abolie depuis un an; elle les avait enfermés dans un papier; puis elle avait écrit sur le papier: À partager entre mon fils et ma fille.
Alors elle s’était assise, ou plutôt elle était tombée sur une chaise, et, brisée de fatigue, – l’interrogatoire avait duré dix-huit heures, – elle s’était endormie.
À sept heures, le bruit du paravent que l’on dérangeait la réveilla en sursaut; elle se retourna et vit un homme qui lui était complètement inconnu.
– Que me veut-on? demanda-t-elle.
L’homme s’approcha d’elle, et, la saluant aussi poliment que si elle n’eût pas été reine: