– Je m’appelle Sanson, dit-il.
La reine frissonna légèrement et se leva. Ce nom seul en disait plus qu’un long discours.
– Vous venez de bien bonne heure, monsieur, dit-elle; ne pourriez-vous pas retarder un peu?
– Non, madame, répliqua Sanson; j’ai ordre de venir.
Ces paroles dites, il fit encore un pas vers la reine.
Tout dans cet homme, et dans ce moment, était expressif et terrible.
– Ah! je comprends, dit la prisonnière, vous voulez me couper les cheveux?
– C’est nécessaire, madame, répondit l’exécuteur.
– Je le savais, monsieur, dit la reine, et j’ai voulu vous épargner cette peine. Mes cheveux sont là, sur cette table. Sanson suivit la direction de la main de la reine.
– Seulement, continua-t-elle, je voudrais qu’ils fussent remis ce soir à mes enfants.
– Madame, dit Sanson, ce soin ne me regarde pas.
– Cependant, j’avais cru…
– Je n’ai à moi, reprit l’exécuteur, que la dépouille des… personnes… leurs habits, leurs bijoux, et encore lorsqu’elles me les donnent formellement; autrement tout cela va à la Salpêtrière, et appartient aux pauvres des hôpitaux; un arrêté du comité de Salut public a réglé les choses ainsi.
– Mais enfin, monsieur, demanda en insistant Marie-Antoinette, puis-je compter que mes cheveux seront remis à mes enfants?
Sanson resta muet.
– Je me charge de l’essayer, dit Gilbert.
La prisonnière jeta au gendarme un regard d’ineffable reconnaissance.
– Maintenant, dit Sanson, je venais pour vous couper les cheveux; mais, puisque cette besogne est faite, je puis, si vous le désirez, vous laisser un instant seule.
– Je vous en prie, monsieur, dit la reine; car j’ai besoin de me recueillir et de prier.
Sanson s’inclina et sortit.
Alors la reine se trouva seule, car Gilbert n’avait fait que passer la tête pour prononcer les paroles que nous avons dites.
Tandis que la condamnée s’agenouillait sur une chaise plus basse que les autres, et qui lui servait de prie-Dieu, une scène non moins terrible que celle que nous venons de raconter se passait dans le presbytère de la petite église Saint-Landry, dans la Cité.
Le curé de cette paroisse venait de se lever; sa vieille gouvernante dressait son modeste déjeuner, quand tout à coup on heurta violemment à la porte du presbytère.
Même chez un prêtre de nos jours, une visite imprévue annonce toujours un événement: il s’agit d’un baptême, d’un mariage in extremis ou d’une confession suprême; mais, à cette époque, la visite d’un étranger pouvait annoncer quelque chose de plus grave encore. À cette époque, en effet, le prêtre n’était plus le mandataire de Dieu, et il devait rendre ses comptes aux hommes.
Cependant l’abbé Girard était du nombre de ceux qui devaient le moins craindre, car il avait prêté serment à la Constitution: en lui la conscience et la probité avaient parlé plus haut que l’amour-propre et l’esprit religieux. Sans doute, l’abbé Girard admettait la possibilité d’un progrès dans le gouvernement et regrettait tant d’abus commis au nom du pouvoir divin; il avait, tout en gardant son Dieu, accepté la fraternité du régime républicain.
– Allez voir, dame Jacinthe, dit-il; allez voir qui vient heurter à notre porte de si bon matin; et, si par hasard, ce n’est point un service pressé qu’on vient me demander, dites que j’ai été mandé ce matin à la Conciergerie, et que je suis forcé de m’y rendre dans un instant.
Dame Jacinthe s’appelait autrefois dame Madeleine; mais elle avait accepté un nom de fleur en échange de son nom, comme l’abbé Girard avait accepté le titre de citoyen en place de celui de curé.
Sur l’invitation de son maître, dame Jacinthe se hâta de descendre par les degrés du petit jardin sur lequel ouvrait la porte d’entrée: elle tira les verrous, et un jeune homme fort pâle, fort agité, mais d’une douce et honnête physionomie, se présenta.
– M. l’abbé Girard? dit-il.
Jacinthe examina les habits en désordre, la barbe longue et le tremblement nerveux du nouveau venu: tout cela lui sembla de mauvais augure.
– Citoyen, dit-elle, il n’y a point ici de monsieur ni d’abbé.
– Pardon, madame, reprit le jeune homme, je veux dire le desservant de Saint-Landry.
Jacinthe, malgré son patriotisme, fut frappée de ce mot madame, qu’on n’eût point adressé à une impératrice; cependant elle répondit:
– On ne peut le voir, citoyen; il dit son bréviaire.
– En ce cas, j’attendrai, répliqua le jeune homme.
– Mais, reprit dame Jacinthe, à qui cette persistance redonnait les mauvaises idées qu’elle avait ressenties tout d’abord, vous attendrez inutilement, citoyen; car il est appelé à la Conciergerie et va partir à l’instant même.
Le jeune homme pâlit affreusement, ou plutôt, de pâle qu’il était, devint livide.
– C’est donc vrai! murmura-t-il.
Puis, tout haut:
– Voilà justement, madame, dit-il, le sujet qui m’amène près du citoyen Girard.
Et, tout en parlant, il était entré, avait doucement, il est vrai, mais avec fermeté, poussé les verrous de la porte, et, malgré les instances et même les menaces de dame Jacinthe, il était entré dans la maison et avait pénétré jusqu’à la chambre de l’abbé.
Celui-ci, en l’apercevant, poussa une exclamation de surprise.
– Pardon, monsieur le curé, dit aussitôt le jeune homme, j’ai à vous entretenir d’une chose très grave; permettez que nous soyons seuls.
Le vieux prêtre savait par expérience comment s’expriment les grandes douleurs. Il lut une passion tout entière sur la figure bouleversée du jeune homme, une émotion suprême dans sa voix fiévreuse.
– Laissez-nous, dame Jacinthe, dit-il.
Le jeune homme suivit des yeux avec impatience la gouvernante, qui, habituée à participer aux secrets de son maître, hésitait à se retirer; puis, lorsque, enfin, elle eut refermé la porte:
– Monsieur le curé, dit l’inconnu, vous allez me demander tout d’abord qui je suis. Je vais vous le dire; je suis un homme proscrit; je suis un homme condamné à mort, qui ne vit qu’à force d’audace; je suis le chevalier de Maison-Rouge.
L’abbé fit un soubresaut d’effroi sur son grand fauteuil.
– Oh! ne craignez rien, reprit le chevalier; nul ne m’a vu entrer ici, et ceux mêmes qui m’auraient vu ne me reconnaîtraient pas; j’ai beaucoup changé depuis deux mois.
– Mais, enfin, que voulez-vous, citoyen? demanda le curé.
– Vous allez ce matin à la Conciergerie, n’est-ce pas?
– Oui, j’y suis mandé par le concierge.
– Savez-vous pourquoi?
– Pour quelque malade, pour quelque moribond, pour quelque condamné, peut-être.
– Vous l’avez dit: oui, une personne condamnée vous attend.
Le vieux prêtre regarda le chevalier avec étonnement.
– Mais savez-vous quelle est cette personne? reprit Maison-Rouge.