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Aussi, depuis dix heures du matin, cinq prévenus ont-ils déjà été changés en autant de condamnés par ces mêmes jurés rendus intraitables.

Les deux qui se trouvaient alors sur le banc des accusés, attendaient donc en ce moment le oui ou le non qui devait, ou les rendre à la vie, ou les jeter à la mort.

Le peuple des assistants, rendu féroce par l’habitude de cette tragédie quotidienne devenue son spectacle favori; le peuple des assistants, disons-nous, les préparait par des interjections à ce moment redoutable.

– Tiens, tiens, tiens! regarde donc le grand! disait une tricoteuse qui, n’ayant pas de bonnet, portait à son chignon une cocarde tricolore large comme la main; tiens, qu’il est pâle! on dirait qu’il est déjà mort!

Le condamné regarda la femme qui l’apostrophait avec un sourire de mépris.

– Que dis-tu donc? reprit la voisine. Le voilà qui rit.

– Oui, du bout des dents.

Un faubourien regarda sa montre.

– Quelle heure est-il? lui demanda son compagnon.

– Une heure moins dix minutes; voilà trois quarts d’heure que ça dure.

– Juste comme à Domfront, ville de malheur: arrivé à midi, pendu à une heure.

– Et le petit, et le petit! cria un autre assistant; regarde-le donc, sera-t-il laid quand il éternuera dans le sac!

– Bah! c’est trop tôt fait, tu n’auras pas le temps de t’en apercevoir.

– Tiens, on redemandera sa tête à M. Sanson; on a le droit de la voir.

– Regarde donc comme il a un bel habit bleu tyran; c’est un peu agréable pour les pauvres quand on raccourcit les gens bien vêtus.

En effet, comme l’avait dit l’exécuteur à la reine, les pauvres héritaient des dépouilles de chaque victime, ces dépouilles étant portées à la Salpêtrière, aussitôt après l’exécution, pour être distribuées aux indigents: c’est là qu’avaient été envoyés les habits de la reine suppliciée.

Maurice écoutait tourbillonner ces paroles sans y prendre garde; chacun dans ce moment était préoccupé de quelque puissante pensée qui l’isolait; depuis quelques jours, son cœur ne battait plus qu’à certains moments et par secousses; de temps en temps, la crainte ou l’espérance semblait suspendre la marche de sa vie, et ces oscillations perpétuelles avaient comme brisé la sensibilité dans son cœur, pour y substituer l’atonie.

Les jurés rentrèrent en séance, et, comme on s’y attendait, le président prononça la condamnation des deux prévenus.

On les emmena, ils sortirent d’un pas ferme; tout le monde mourait bien à cette époque.

La voix de l’huissier retentit lugubre et sinistre.

– Le citoyen accusateur public contre la citoyenne Geneviève Dixmer.

Maurice frissonna de tout son corps, et une sueur moite perla par tout son visage.

La petite porte par laquelle entraient les accusés s’ouvrit, et Geneviève parut.

Elle était vêtue de blanc; ses cheveux étaient arrangés avec une charmante coquetterie, car elle les avait étagés et bouclés avec art, au lieu de les couper, ainsi que faisaient beaucoup de femmes.

Sans doute, jusqu’au dernier moment la pauvre Geneviève voulait paraître belle à celui qui pouvait la voir.

Maurice vit Geneviève, et il sentit que toutes les forces qu’il avait rassemblées pour cette occasion lui manquaient à la fois; cependant il s’attendait à ce coup, puisque, depuis douze jours, il n’avait manqué aucune séance, et que trois fois déjà le nom de Geneviève sortant de la bouche de l’accusateur public avait frappé son oreille; mais certains désespoirs sont si vastes et si profonds, que nul n’en peut sonder l’abîme.

Tous ceux qui virent apparaître cette femme, si belle, si naïve, si pâle, poussèrent un cri: les uns de fureur, – il y avait, à cette époque, des gens qui haïssaient toute supériorité, supériorité de beauté comme supériorité d’argent, de génie ou de naissance, – les autres d’admiration, quelques-uns de pitié.

Geneviève reconnut sans doute un cri dans tous ces cris, une voix parmi toutes ces voix; car elle se retourna du côté de Maurice, tandis que le président feuilletait le dossier de l’accusée, tout en la regardant de temps en temps, en dessous.

Du premier coup d’œil, elle vit Maurice, tout enseveli qu’il était sous les bords de son large chapeau; alors elle se retourna entièrement avec un doux sourire et avec un geste plus doux encore; elle appuya ses deux mains roses et tremblantes sur ses lèvres, et, y déposant toute son âme avec son souffle, elle donna des ailes à ce baiser perdu, qu’un seul dans cette foule avait le droit de prendre pour lui.

Un murmure d’intérêt parcourut toute la salle. Geneviève, interpellée, se retourna vers ses juges; mais elle s’arrêta au milieu de ce mouvement, et ses yeux dilatés se fixèrent avec une indicible expression de terreur vers un point de la salle.

Maurice se haussa vainement sur la pointe des pieds: il ne vit rien, ou plutôt quelque chose de plus important rappela son attention sur la scène, c’est-à-dire sur le tribunal.

Fouquier-Tinville avait commencé la lecture de l’acte d’accusation.

Cet acte portait que Geneviève Dixmer était femme d’un conspirateur acharné, que l’on suspectait d’avoir aidé l’ex-chevalier de Maison-Rouge dans les tentatives successives qu’il avait faites pour sauver la reine.

D’ailleurs, elle avait été surprise aux genoux de la reine, la suppliant de changer d’habits avec elle, et s’offrant de mourir à sa place. Ce fanatisme stupide, disait l’acte d’accusation, méritera sans doute les éloges des contre-révolutionnaires; mais aujourd’hui, ajoutait-il, tout citoyen français ne doit sa vie qu’à la nation, et c’est trahir doublement que de la sacrifier aux ennemis de la France.

Geneviève, interrogée si elle reconnaissait avoir été, comme l’avaient dit les gendarmes Duchesne et Gilbert, surprise aux genoux de la reine, la suppliant de changer de vêtements avec elle, répondit simplement:

– Oui!

– Alors, dit le président, racontez-nous votre plan et vos espérances.

Geneviève sourit.

– Une femme peut concevoir des espérances, dit-elle; mais une femme ne peut faire un plan dans le genre de celui dont je suis victime.

– Comment vous trouviez-vous là, alors?

– Parce que je ne m’appartenais pas et qu’on me poussait.

– Qui vous poussait? demanda l’accusateur public.