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– Des gens qui m’avaient menacée de mort si je n’obéissais pas.

Et le regard irrité de la jeune femme alla se fixer de nouveau sur ce point de la salle invisible à Maurice.

– Mais, pour échapper à cette mort dont on vous menaçait, vous affrontiez la mort qui devait résulter pour vous d’une condamnation.

– Lorsque j’ai cédé, le couteau était sur ma poitrine, tandis que le fer de la guillotine était encore loin de ma tête. Je me suis courbée sous la violence présente.

– Pourquoi n’appeliez-vous pas à l’aide? Tout bon citoyen vous eût défendue.

– Hélas! monsieur, répondit Geneviève avec un accent à la fois si triste et si tendre, que le cœur de Maurice se gonfla comme s’il allait éclater; hélas! je n’avais plus personne près de moi.

L’attendrissement succédait à l’intérêt, comme l’intérêt avait succédé à la curiosité. Beaucoup de têtes se baissèrent, les unes cachant leurs larmes, les autres les laissant couler librement.

Maurice, alors, aperçut vers sa gauche une tête restée ferme, un visage demeuré inflexible.

C’était Dixmer debout, sombre, implacable, et qui ne perdait de vue ni Geneviève ni le tribunal.

Le sang afflua aux tempes du jeune homme; la colère monta de son cœur à son front, emplissant tout son être de désirs immodérés de vengeance. Il lança à Dixmer un regard chargé d’une haine si électrique, si puissante, que celui-ci, comme attiré par le fluide brûlant, tourna la tête vers son ennemi.

Leurs deux regards se croisèrent comme deux flammes.

– Dites-nous les noms de vos instigateurs? demanda le président.

– Il n’y en a qu’un seul, monsieur.

– Lequel?

– Mon mari.

– Savez-vous où il est?

– Oui.

– Indiquez sa retraite.

– Il a pu être infâme, mais je ne serai pas lâche; ce n’est point à moi de dénoncer sa retraite, c’est à vous de la découvrir.

Maurice regarda Dixmer.

Dixmer ne fit pas un mouvement. Une idée traversa la tête du jeune homme: c’était de le dénoncer en se dénonçant soi-même; mais il la comprima.

– Non, dit-il, ce n’est pas ainsi qu’il doit mourir.

– Ainsi, vous refusez de guider nos recherches? dit le président.

– Je crois, monsieur, que je ne puis le faire, répondit Geneviève, sans me rendre aussi méprisable aux yeux des autres qu’il l’est aux miens.

– Y a-t-il des témoins? demanda le président.

– Il y en a un, répondit l’huissier.

– Appelez le témoin.

– Maximilien-Jean Lorin! glapit l’huissier.

– Lorin! s’écria Maurice. Oh! mon Dieu, qu’est-il donc arrivé?

Cette scène se passait le jour même de l’arrestation de Lorin, et Maurice ignorait cette arrestation.

– Lorin! murmura Geneviève en regardant autour d’elle avec une douloureuse inquiétude.

– Pourquoi le témoin ne répond-il pas à l’appel? demanda le président.

– Citoyen président, dit Fouquier-Tinville, sur une dénonciation récente, le témoin a été arrêté à son domicile; on va l’amener à l’instant.

Maurice tressaillit.

– Il y avait un autre témoin plus important, continua Fouquier; mais celui-là, on n’a pas pu le trouver encore.

Dixmer se retourna en souriant vers Maurice: peut-être la même idée qui avait passé dans la tête de l’amant passait-elle à son tour dans la tête du mari.

Geneviève pâlit et s’affaissa sur elle-même en poussant un gémissement.

En ce moment, Lorin entra suivi de deux gendarmes.

Après lui, et par la même porte, apparut Simon, qui vint s’asseoir dans le prétoire en habitué de la localité.

– Vos nom et prénoms? demanda le président.

– Maximilien-Jean Lorin.

– Votre état?

– Homme libre.

– Tu ne le seras pas longtemps, dit Simon en lui montrant le poing.

– Êtes-vous parent de la prévenue?

– Non; mais j’ai l’honneur d’être de ses amis.

– Saviez-vous qu’elle conspirât l’enlèvement de la reine?

– Comment voulez-vous que je susse cela?

– Elle pouvait vous l’avoir confié.

– À moi, membre de la section des Thermopyles?… Allons donc!

– On vous a vu cependant quelquefois avec elle.

– On a dû m’y voir souvent même.

– Vous la connaissiez pour une aristocrate?

– Je la connaissais pour la femme d’un maître tanneur.

– Son mari n’exerçait pas en réalité l’état sous lequel il se cachait.

– Ah! cela, je l’ignore; son mari n’est pas de mes amis.

– Parlez-nous de ce mari.

– Oh! très volontiers! c’est un vilain homme…

– Monsieur Lorin, dit Geneviève, par pitié…

Lorin continua impassiblement:

– Qui a sacrifié sa pauvre femme que vous avez devant les yeux pour satisfaire, non pas même à ses opinions politiques, mais à ses haines personnelles. Pouah! je le mets presque aussi bas que Simon.

Dixmer devint livide. Simon voulut parler; mais, d’un geste, le président lui imposa silence.

– Vous paraissez connaître parfaitement cette histoire, citoyen Lorin, dit Fouquier; contez-nous-la.

– Pardon, citoyen Fouquier, dit Lorin en se levant, j’ai dit tout ce que j’en savais.

Il salua et se rassit.

– Citoyen Lorin, continua l’accusateur, il est de ton devoir d’éclairer le tribunal.

– Qu’il s’éclaire avec ce que je viens de dire. Quant à cette pauvre femme, je le répète, elle n’a fait qu’obéir à la violence… Eh! tenez, regardez-la seulement, est-elle taillée en conspiratrice? On l’a forcée de faire ce qu’elle a fait, voilà tout.

– Tu le crois?

– J’en suis sûr.

– Au nom de la loi, dit Fouquier, je requiers que le témoin Lorin soit traduit devant le tribunal comme prévenu de complicité avec cette femme.

Maurice poussa un gémissement.

Geneviève cacha son visage dans ses deux mains.

Simon s’écria, dans un transport de joie:

– Citoyen accusateur, tu viens de sauver la patrie!

Quant à Lorin, sans rien répondre, il enjamba la balustrade, pour venir s’asseoir près de Geneviève; il lui prit la main, et, la baisant respectueusement: