Mais, pour cela, il fallait trahir le secret de ses deux amis; pour cela, il fallait faire rougir Geneviève devant cinq cents personnes; Lorin secoua la tête comme pour se dire non à lui-même.
– Eh bien, demanda le président, que répondrez-vous au citoyen accusateur?
– Que sa logique est écrasante, dit Lorin, et qu’il m’a convaincu d’une chose dont je ne me doutais même pas.
– Laquelle?
– C’est que je suis, à ce qu’il paraît, un des plus affreux conspirateurs qu’on ait encore vus.
Cette déclaration souleva une hilarité universelle. Les jurés eux-mêmes n’y purent tenir, tant ce jeune homme avait prononcé ces paroles avec l’intonation qui leur convenait.
Fouquier sentit toute la raillerie; et comme, dans son infatigable persévérance, il en était arrivé à connaître tous les secrets des accusés aussi bien que les accusés eux-mêmes, il ne put se défendre envers Lorin d’un sentiment d’admiration compatissante.
– Voyons, dit-il, citoyen Lorin, parle, défends-toi. Le tribunal t’écoutera; car il connaît ton passé, et ton passé est celui d’un brave républicain.
Simon voulut parler; le président lui fit signe de se taire.
– Parle, citoyen Lorin, dit-il, nous t’écoutons.
Lorin secoua de nouveau la tête.
– Ce silence est un aveu, reprit le président.
– Non pas, dit Lorin; ce silence est du silence, voilà tout.
– Encore une fois, dit Fouquier-Tinville, veux-tu parler?
Lorin se retourna vers l’auditoire, pour interroger des yeux Maurice sur ce qu’il avait à faire.
Maurice ne fit point signe à Lorin de parler, et Lorin se tut.
C’était se condamner soi-même.
Ce qui suivit fut d’une exécution rapide.
Fouquier résuma son accusation; le président résuma les débats; les jurés allèrent aux voix et rapportèrent un verdict de culpabilité contre Lorin et Geneviève.
Le président les condamna tous les deux à la peine de mort.
Deux heures sonnaient à la grande horloge du Palais.
Le président mit juste autant de temps pour prononcer la condamnation que l’horloge à sonner.
Maurice écouta ces deux bruits confondus l’un dans l’autre. Quand la double vibration de la voix et du timbre fut éteinte, ses forces étaient épuisées.
Les gendarmes emmenèrent Geneviève et Lorin, qui lui avait offert son bras.
Tous deux saluèrent Maurice d’une façon bien différente: Lorin souriait; Geneviève, pâle et défaillante, lui envoya un dernier baiser sur ses doigts trempés de larmes.
Elle avait conservé l’espoir de vivre jusqu’au dernier moment, et elle pleurait non pas sa vie, mais son amour, qui allait s’éteindre avec sa vie.
Maurice, à moitié fou, ne répondit point à cet adieu de ses amis; il se releva pâle, égaré, du banc sur lequel il s’était affaissé. Ses amis avaient disparu.
Il sentit qu’une seule chose vivait encore en lui: c’était la haine qui lui mordait le cœur.
Il jeta un dernier regard autour de lui et reconnut Dixmer, qui s’en allait avec d’autres spectateurs et qui se baissait pour passer sous la porte cintrée du couloir.
Avec la rapidité du ressort qui se détend, Maurice bondit de banquettes en banquettes et parvint à la même porte.
Dixmer l’avait déjà franchie: il descendait dans l’obscurité du corridor.
Maurice descendit derrière lui.
Au moment où Dixmer toucha du pied les dalles de la grande salle, Maurice toucha l’épaule de Dixmer de la main.
LIII Le duel
À cette époque, c’était toujours une chose grave que de se sentir toucher à l’épaule.
Dixmer se retourna et reconnut Maurice.
– Ah! bonjour, citoyen républicain, fit Dixmer sans témoigner d’autre émotion qu’un tressaillement imperceptible qu’il réprima aussitôt.
– Bonjour, citoyen lâche, répondit Maurice; vous m’attendiez, n’est-ce pas?
– C’est-à-dire que je ne vous attendais plus, au contraire, répondit Dixmer.
– Pourquoi cela?
– Parce que je vous attendais plus tôt.
– J’arrive encore trop tôt pour toi, assassin! ajouta Maurice, avec une voix ou plutôt avec un murmure effrayant, car il était le grondement de l’orage amassé dans son cœur, comme son regard en était l’éclair.
– Vous me jetez du feu par les yeux, citoyen, reprit Dixmer. On va nous reconnaître et nous suivre.
– Oui, et tu crains d’être arrêté, n’est-ce pas? Tu crains d’être conduit à cet échafaud où tu envoies les autres? Qu’on nous arrête, tant mieux, car il me semble qu’il manque aujourd’hui un coupable à la justice nationale.
– Comme il manque un nom sur la liste des gens d’honneur, n’est-ce pas? depuis que votre nom en a disparu.
– C’est bien! nous reparlerons de tout cela, j’espère; mais, en attendant, vous vous êtes vengé, et misérablement vengé, sur une femme. Pourquoi, puisque vous m’attendiez quelque part, ne m’attendiez-vous pas chez moi le jour où vous m’avez volé Geneviève?
– Je croyais que le premier voleur, c’était vous.
– Allons, pas d’esprit, monsieur, je ne vous ai jamais connu; pas de mots, je vous sais plus fort sur l’action que sur la parole, témoin le jour où vous avez voulu m’assassiner: ce jour-là, le naturel parlait.
– Et je me suis fait plus d’une fois le reproche de ne l’avoir point écouté, répondit tranquillement Dixmer.
– Eh bien, dit Maurice en frappant sur son sabre, je vous offre une revanche.
– Demain, si vous voulez, pas aujourd’hui.
– Pourquoi demain?
– Ou ce soir.
– Pourquoi pas tout de suite?
– Parce que j’ai affaire jusqu’à cinq heures.
– Encore quelque hideux projet, dit Maurice; encore quelque guet-apens.
– Ah çà! monsieur Maurice, reprit Dixmer, vous êtes bien peu reconnaissant, en vérité. Comment! pendant six mois, je vous ai laissé filer le parfait amour avec ma femme; pendant six mois, j’ai respecté vos rendez-vous, laissé passer vos sourires. Jamais homme, convenez-en, n’a été si peu tigre que moi.
– C’est-à-dire que tu croyais que je pouvais t’être utile, et que tu me ménageais.