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– Est-ce que tu ne me reconnais pas? demanda le nouvel arrivant.

– Si fait. Tu es le citoyen Durand, ou plutôt le citoyen Dixmer.

– C’est cela.

– Mais tu es mort, citoyen?

– Pas encore, comme tu vois.

– Je veux dire qu’on va t’arrêter.

– Qui veux-tu qui m’arrête? Personne ne me connaît.

– Mais je te connais, moi, et je n’ai qu’un mot à dire pour te faire guillotiner.

– Et moi, je n’ai qu’à en dire deux pour qu’on te guillotine avec moi.

– C’est abominable, ce que tu dis là!

– Non, c’est logique.

– Mais de quoi s’agit-il? Voyons, parle! dépêche-toi, car, moins longtemps nous causerons ensemble, moins nous courrons de danger l’un et l’autre.

– Voici. Ma femme va être condamnée, n’est-ce pas?

– J’en ai grand’peur! pauvre femme!

– Eh bien, je désire la voir une dernière fois pour lui dire adieu.

– Où cela?

– Dans la salle des Morts!

– Tu oseras entrer là?

– Pourquoi pas?

– Oh! fit le greffier comme un homme à qui cette seule pensée fait venir la chair de poule.

– Il doit y avoir un moyen? continua Dixmer.

– D’entrer dans la salle des Morts? Oui, sans doute.

– Lequel?

– C’est de se procurer une carte.

– Et où se procure-t-on ces cartes?

Le greffier pâlit affreusement et balbutia:

– Ces cartes, où on se les procure, vous demandez?

– Je demande où on se les procure, répondit Dixmer; la question est claire, je pense.

– On se les procure… ici.

– Ah! vraiment; et qui les signe d’habitude?

– Le greffier.

– Mais le greffier, c’est toi.

– Sans doute, c’est moi.

– Tiens, comme cela tombe! reprit Dixmer en s’asseyant; tu vas me signer une carte.

Le greffier fit un bond.

– Tu me demandes ma tête, citoyen, dit-il.

– Eh! non! je te demande une carte, voilà tout.

– Je vais te faire arrêter, malheureux! dit le greffier rappelant toute son énergie.

– Fais, dit Dixmer; mais, à l’instant même, je te dénonce comme mon complice, et, au lieu de me laisser aller tout seul dans la fameuse salle, tu m’y accompagneras.

Le greffier pâlit.

– Ah! scélérat! dit-il.

– Il n’y a pas de scélérat là-dedans, reprit Dixmer; j’ai besoin de parler à ma femme, et je te demande une carte pour arriver jusqu’à elle.

– Voyons, est-ce donc si nécessaire que tu lui parles?

– Il paraît, puisque je risque ma tête pour y parvenir.

La raison parut plausible au greffier. Dixmer vit qu’il était ébranlé.

– Allons, dit-il, rassure-toi, on n’en saura rien. Que diable! il doit se présenter parfois des cas pareils à celui où je me trouve.

– C’est rare. Il n’y a pas grande concurrence.

– Eh bien, voyons, arrangeons cela autrement.

– Si c’est possible, je ne demande pas mieux.

– C’est on ne peut plus possible. Entre par la porte des condamnés; par cette porte-là, il ne faut pas de carte. Et puis, quand tu auras parlé à ta femme, tu m’appelleras et je te ferai sortir.

– Pas mal! fit Dixmer; malheureusement, il y a une histoire qui court la ville.

– Laquelle?

– L’histoire d’un pauvre bossu qui s’est trompé de porte, et qui, croyant entrer aux archives, est entré dans la salle dont nous parlons. Seulement, comme il y était entré par la porte des condamnés, au lieu d’y entrer par la grande porte; comme il n’avait pas de carte pour faire reconnaître son identité, une fois entré, on n’a pas voulu le laisser sortir. On lui a soutenu que, puisqu’il était entré par la porte des autres condamnés, il était condamné comme les autres. Il a eu beau protester, jurer, appeler, personne ne l’a cru, personne n’est venu à son aide, personne ne l’a fait sortir. De sorte que, malgré ses protestations, ses serments, ses cris, l’exécuteur lui a d’abord coupé les cheveux, et ensuite le cou. L’anecdote est-elle vraie, citoyen greffier? Tu dois le savoir mieux que personne.

– Hélas! oui, elle est vraie! dit le greffier tout tremblant.

– Eh bien, tu vois donc qu’avec de pareils antécédents, je serais un fou d’entrer dans un pareil coupe-gorge.

– Mais puisque je serai là, je te dis!

– Et si l’on t’appelle, si tu es occupé ailleurs, si tu oublies?

Dixmer appuya impitoyablement sur le dernier mot:

– Si tu oublies que je suis là?

– Mais puisque je te promets…

– Non; d’ailleurs, cela te compromettrait: on te verrait me parler; et puis, enfin, cela ne me convient pas.

» Ainsi j’aime mieux cette carte.

– Impossible.

– Alors, cher ami, je parlerai, et nous irons faire un tour ensemble à la place de la Révolution.

Le greffier, ivre, étourdi, à demi mort, signa un laissez-passer pour un citoyen.

Dixmer se jeta dessus et sortit précipitamment pour aller prendre, dans le prétoire, la place où nous l’avons vu.

On sait le reste.

De ce moment, le greffier, pour éviter toute accusation de connivence, alla s’asseoir près de Fouquier-Tinville, laissant la direction de son greffe à son premier commis.

À trois heures dix minutes, Maurice, muni de la carte, traversa une haie de guichetiers et de gendarmes, et arriva sans encombre à la porte fatale.

Quand nous disons fatale, nous exagérons, car il y avait deux portes. La grande porte, par laquelle entraient et sortaient les porteurs de carte; et la porte des condamnés, par laquelle entraient ceux qui ne devaient sortir que pour marcher à l’échafaud.

La pièce dans laquelle venait de pénétrer Maurice était séparée en deux compartiments.

Dans l’un de ces compartiments siégeaient les employés chargés d’enregistrer les noms des arrivants; dans l’autre, meublée seulement de quelques bancs de bois, on déposait à la fois ceux qui venaient d’être arrêtés et ceux qui venaient d’être condamnés; ce qui était à peu près la même chose.

La salle était sombre, éclairée seulement par les vitres d’une cloison prise sur le greffe.

Une femme vêtue de blanc et à demi évanouie gisait dans un coin, adossée au mur.