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Hâtons-nous de dire qu’à la grande satisfaction d’Aristide, un peu humilié par cette proposition de suivre un de ses semblables, l’homme ne revint pas.

Maurice, resté seul, froissa la lettre avec dépit, tira la bague de son doigt, la mit avec la lettre froissée sur une table de nuit, se retourna le nez contre le mur avec la folle prétention de s’endormir de nouveau; mais, au bout d’une heure, Maurice, revenu de cette fanfaronnade, baisait la bague et relisait la lettre: la bague était un saphir très beau.

La lettre était, comme nous l’avons dit, un charmant petit billet qui sentait son aristocratie d’une lieue.

Comme Maurice se livrait à cet examen, sa porte s’ouvrit. Maurice remit la bague à son doigt et cacha la lettre sous son traversin. Était-ce pudeur d’un amour naissant? était-ce vergogne d’un patriote qui ne veut pas qu’on le sache en relation avec des gens assez imprudents pour écrire un pareil billet, dont le parfum seul pouvait compromettre et la main qui l’avait écrit et celle qui le décachetait?

Celui qui entrait ainsi était un jeune homme vêtu en patriote, mais en patriote de la plus suprême élégance. Sa carmagnole était de drap fin, sa culotte était en casimir et ses bas chinés étaient de fine soie. Quant à son bonnet phrygien, il eût fait honte, pour sa forme élégante et sa belle couleur pourprée, à celui de Par is lui-même.

Il portait en outre à sa ceinture une paire de pistolets de l’ex-fabrique royale de Versailles, et un sabre droit et court pareil à celui des élèves du Champ-de-Mars.

– Ah! tu dors, Brutus, dit le nouvel arrivé, et la patrie est en danger. Fi donc!

– Non, Lorin, dit en riant Maurice, je ne dors pas, je rêve.

– Oui, je comprends, à ton Eucharis.

– Eh bien, moi, je ne comprends pas.

– Bah!

– De qui parles-tu? Quelle est cette Eucharis?

– Eh bien, la femme…

– Quelle femme?

– La femme de la rue Saint-Honoré, la femme de la patrouille, l’inconnue pour laquelle nous avons risqué notre tête, toi et moi, hier soir.

– Oh! oui, dit Maurice, qui savait parfaitement ce que voulait dire son ami, mais qui seulement faisait semblant de ne point comprendre, la femme inconnue!

– Eh bien, qui était-ce?

– Je n’en sais rien.

– Était-elle jolie?

– Peuh! fit Maurice en allongeant dédaigneusement les lèvres.

– Une pauvre femme oubliée dans quelque rendez-vous amoureux.

…Oui, faibles que nous sommes,

C’est toujours cet amour qui tourmente les hommes.

– C’est possible, murmura Maurice, auquel cette idée, qu’il avait eue d’abord, répugnait fort à cette heure, et qui préférait plutôt voir dans sa belle inconnue une conspiratrice qu’une femme amoureuse.

– Et où demeure-t-elle?

– Je n’en sais rien.

– Allons donc! tu n’en sais rien! impossible!

– Pourquoi cela?

– Tu l’as reconduite.

– Elle m’a échappé au pont Marie…

– T’échapper, à toi? s’écria Lorin avec un éclat de rire énorme. Une femme t’échapper, allons donc!

Est-ce que la colombe échappe

Au vautour, ce tyran des airs,

Et la gazelle au tigre du désert

Qui la tient déjà sous la patte?

– Lorin, dit Maurice, ne t’habitueras-tu donc jamais à parler comme tout le monde? Tu m’agaces horriblement avec ton atroce poésie.

– Comment! à parler comme tout le monde! mais je parle mieux que tout le monde, ce me semble. Je parle comme le citoyen Demoustier, en prose et en vers. Quant à ma poésie, mon cher! je sais une Émilie qui ne la trouve pas mauvaise; mais revenons à la tienne.

– À ma poésie?

– Non, à ton Émilie.

– Est-ce que j’ai une Émilie?

– Allons! allons! ta gazelle se sera faite tigresse et t’aura montré les dents; de sorte que tu es vexé, mais amoureux.

– Moi, amoureux dit Maurice en secouant la tête.

– Oui, toi, amoureux.

N’en fais pas un plus long mystère;

Les coups qui partent de Cythère

Frappent au cœur plus sûrement

Que ceux de Jupiter tonnant.

– Lorin, dit Maurice en s’armant d’une clef forée qui était sur sa table de nuit, je te déclare que tu ne diras plus un seul vers que je ne siffle.

– Alors, parlons politique. D’ailleurs, j’étais venu pour cela; sais-tu la nouvelle?

– Je sais que la veuve Capet a voulu s’évader.

– Bah! ce n’est rien que cela.

– Qu’y a-t-il donc de plus?

– Le fameux chevalier de Maison-Rouge est à Paris.

– En vérité! s’écria Maurice en se levant sur son séant.

– Lui-même en personne.

– Mais quand est-il entré?

– Hier au soir.

– Comment cela?

– Déguisé en chasseur de la garde nationale. Une femme, qu’on croit être une aristocrate déguisée en femme du peuple, lui a porté des habits à la barrière; puis un instant après, ils sont rentrés bras dessus bras dessous. Ce n’est que quand ils ont été passés que la sentinelle a eu quelques soupçons. Il avait vu passer la femme avec un paquet, il la voyait repasser avec une espèce de militaire sous le bras; c’était louche; il a donné l’éveil, on a couru après eux. Ils ont disparu dans un hôtel de la rue Saint-Honoré dont la porte s’est ouverte comme par enchantement. L’hôtel avait une seconde sortie sur les Champs-Élysées; bonsoir! le chevalier de Maison-Rouge et sa complice se sont évanouis. On démolira l’hôtel et l’on guillotinera le propriétaire; mais cela n’empêchera pas le chevalier de recommencer la tentative qui a déjà échoué, il y a quatre mois pour la première fois, et hier pour la seconde.

– Et il n’est point arrêté? demanda Maurice.

– Ah! bien oui, arrête Protée, mon cher, arrête donc Protée; tu sais le mal qu’a eu Aristide à en venir à bout.

Pastor Aristœus fugiens Pencia Tempe…

– Prends garde, dit Maurice en portant sa clef à sa bouche.