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Mais j’étais sur la bonne piste. L’inconnu vivait assurément ici. Quelques couvertures roulées dans un imperméable étaient sur la même dalle de pierre où avait jadis sommeillé l’homme néolithique. Dans une grille grossière, des cendres étaient côté du foyer il y avait quelques ustensiles de cuisine à demi plein d’eau. Des boites de conserve vides révélaient que l’endroit était habité depuis quelque temps; d’ailleurs, lorsque mes yeux se furent accoutumés à la pénombre, je vis un gobelet et bouteille à demi vidée qui étaient rangés dans un coin. Au milieu de la cabane, une pierre plate servait de table; sur cette table, était posé un petit paquet de toile: celui, sans doute, que j’avais vu par le télescope juché sur l’épaule du jeune garçon. Il contenait une miche de pain, une boite de langue fumée, et deux boîtes de pêches au sirop. Au moment où je le reposais après en avoir examiné le contenu, mon cœur tressauta dans ma poitrine: je n’avais pas vu un morceau de papier disposé au-dessous; il portait quelque chose d’écrit. Je le levai à la lumière et lus, griffonné au crayon:

«Le docteur Watson est allé à Coombe Tracey.»

Pendant une minute je demeurai là avec le papier à la main, cherchant à deviner le sens de ce bref message. C’était donc moi, et non Sir Henry, qui était pisté par cet inconnu? Il ne m’avait pas suivi lui-même, mais il m’avait fait suivre par l’un de ses acolytes dont j’avais le rapport sous les yeux. Peut-être n’avais-je pas fait un seul pas sur la lande qui n’eût été observé et rapporté. Je me trouvais toujours en face de cette force mystérieuse, de ce réseau tendu autour de nous avant autant d’habileté que d’efficacité et qui nous retenait si délicatement que l’on se rendait à peine compte qu’on était dessous.

S’il y avait un rapport, d’autres avaient sûrement précédé celui- là. Je fis le tour de la cabane pour en retrouver trace. Mais en vain. J’échouai également à découvrir quelque chose qui pût me préciser les desseins ou l’origine de l’habitant de cet endroit singulier. Il devait avoir des goûts de Spartiate et se soucier bien peu des agréments de l’existence! Quand je réfléchis aux lourdes pluies et quand je regardai vers le toit béant, je compris à quel point devait être puissant, invincible, le mobile qui l’obligeait à vivre dans une demeure aussi inhospitalière. Était-il notre ennemi, ou notre ange gardien? Je me promis de ne pas quitter la cabane avant d’avoir levé mes doutes.

Dehors le soleil s’inclinait vers l’horizon; l’ouest s’embrasait de pourpre et d’or qui se réfléchissaient dans les mares du grand bourbier de Grimpen. Je voyais les deux tours de Baskerville Hall et le lointain brouillard de fumée qui m’indiquait l’emplacement du village de Grimpen. Entre les deux, derrière la colline, vivaient les Stapleton. Tout respirait la douceur et la tranquillité. Cependant j’étais loin de partager la paix de la nature: je frémissais en pensant au genre d’entretien que j’allais avoir; chaque minute en rapprochait l’échéance. Terriblement énervé, mais décidé à tenir jusqu’au bout, je m’assis dans le coin le plus sombre de la cabane et j’attendais avec une patience morose l’arrivée de son locataire.

Je l’entendis enfin. Au loin retentit le bruit sec d’une chaussure heurtant une pierre, puis une autre pierre crissa, et encore une autre; le pas se rapprochait. Je me recroquevillai dans mon angle, j’armai mon revolver, et je résolus de ne pas me découvrir avant d’avoir vu l’inconnu. Je n’entendis plus rien. Il s’était arrêté. Puis les pas résonnèrent à nouveau, devinrent de plus en plus nets; une ombre tomba en travers de l’ouverture de la cabane.

«C’est une magnifique soirée, mon cher Watson, dit une voix familière. Je crois vraiment que vous serez plus à l’aise dehors que dedans.»

CHAPITRE XII LA MORT SURLA LANDE

Pendant quelques secondes je demeurai sans voix, privé de souffle, incapable d’en croire mes oreilles. Puis, je récupérai mes sens et la parole, tandis qu’un énorme poids de responsabilité se déchargeait de mon âme. Cette voix froide, incisive, ironique, ne pouvait appartenir qu’à un seul homme au monde.

«Holmes! m’écriai-je. Holmes!

– Sortez donc, me dit-il. Et, s’il vous plaît, faîtes attention à votre revolver!»

Je me faufilai sous le linteau vétuste; il était assis dehors sur une pierre, et ses yeux gris dansaient de plaisir amusé devant mon ahurissement. Il avait maigri, il était las; cependant il avait gardé l’œil clair et le geste alerte; son visage aigu était bronzé par le soleil, sa peau avait souffert du vent. Avec son costume de tweed et sa casquette de drap, il ressemblait à un touriste, et il s’était débrouillé, en vertu de cette propreté féline qui était l’une de ses caractéristiques, pour avoir le menton aussi bien rasé et du linge aussi net que s’il se trouvait à Baker Street.

«Jamais une rencontre ne m’a rendu plus heureux! balbutiai-je en lui serrant la main.

– Ni plus surpris, eh?

– Je l’avoue!

– La surprise n’est pas que de votre côté, je vous assure! Je ne me doutais nullement que vous aviez découvert mon refuge d’occasion, encore moins que vous vous trouviez à l’intérieur, avant d’être arrivé à vingt pas d’ici.

– L’empreinte de mes souliers, j’imagine?

– Non, Watson. Figurez-vous que je ne me crois pas capable de reconnaître vos empreintes entre toutes les empreintes au monde. Mais si vous désirez vraiment me faire illusion, changez alors de marque de cigarettes; car quand je vois un mégot avec l’inscription Bradley, Oxford Street, je sais que mon ami Watson est dans les environs. Vous pouvez examiner votre mégot: vous l’avez jeté à côté du sentier. Vous vous en êtes débarrassé, sans doute, au moment suprême de vous lancer à l’assaut contre la cabane vide?

– Exactement.

– C’est ce que je me suis dit. Et, connaissant votre admirable ténacité, j’ai deviné que vous étiez assis en embuscade, une arme dans chaque main, attendant le retour du locataire. Vous me preniez donc pour le criminel?

– Je ne savais pas qui vous étiez, mais j’étais résolu à vous identifier coûte que coûte.

– Bravo, Watson! Et comment m’avez-vous localisé? Peut-être m’avez-vous aperçu, le soir de la chasse au convict, quand j’ai été assez imprudent pour permettre à la lune de se lever derrière moi?

– Oui, je vous ai aperçu.

– Et vous avez depuis fouillé toutes les cabanes avant de parvenir à celle-ci?

– Non. Votre jeune garçon a été repéré, c’est ce qui m’a permis de déterminer votre secteur.

– Le vieux gentleman au télescope, je parie! Je n’y comprenais rien quand j’ai vu la première fois la lumière se réfléchir sur les verres…»

Il se leva et alla scruter l’intérieur de la cabane.

«Ah! je vois que Cartwright m’a apporté quelques provisions! Que me dit-il? Tiens, vous êtes allé à Coombe Tracey, n’est-ce pas?

– Oui.

– Pour voir Mme Laura Lyons?

– Exactement.

– Très bien! Nos recherches ont évidemment suivi des directions parallèles; quand nous aurons collationné nos résultats, nous aurons sûrement une vue claire de l’affaire.