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Son visage s’éclaira d’un enthousiasme enfantin. À la place où il se tenait, il était en pleine lumière; mais des ombres allongées rampaient le long des murs et dessinaient une sorte de dais au-dessus de lui. Barrymore avait déposé nos bagages dans nos chambres et il était venu nous rejoindre: toute son attitude traduisait le bon serviteur. Il avait de la prestance: il était grand, bien bâti, sa physionomie était pâle et distinguée; il portait une barbe noire, taillée en carré.

«Désirez-vous que le dîner soit servi tout de suite, monsieur?

– Est-il prêt?

– Il sera prêt dans quelques instants, monsieur. Vous trouverez de l’eau chaude dans vos chambres. Ma femme et moi seront heureux, Sir Henry, de demeurer avec vous jusqu’à ce que vous ayez pris vos dispositions, mais vous comprendrez qu’étant donné les nouvelles circonstances cette maison exigera un personnel considérable.

– Quelles nouvelles circonstances?

– Je voulais dire seulement que Sir Charles, monsieur, menait une existence très retirée, et que nous pouvions suffire à son service. Vous voudrez sans doute vivre dans une moins grande solitude; vous devrez donc transformer le train de maison.

– Dois-je comprendre que votre femme et vous souhaiteriez me quitter?

– Uniquement quand cela ne vous dérangera pas, monsieur.

– Mais votre famille a été chez nous depuis plusieurs générations, n’est-ce pas? Je serais désolé de commencer mon existence ici en rompant un ancien lien de famille.»

Je crus discerner une certaine émotion sur le visage pâle du maître d’hôtel.

«J’éprouve le même sentiment, monsieur, et ma femme aussi. Mais pour vous dire toute la vérité, monsieur, nous étions tous deux très attachés à Sir Charles, et sa mort nous a bouleversés: cette maison nous est devenue tout à fait pénible. Je crains que nous ne nous sentions jamais plus à l’aise dans Baskerville Hall.

– Mais quelles sont vos intentions?

– Je pense, monsieur, que nous pourrons nous installer à notre compte dans un commerce quelconque. La générosité de Sir Charles nous en a procuré les moyens. Mais pour l’instant, monsieur, je ferais mieux de vous conduire à vos chambres.»

Une galerie carrée à balustrade courait le long du vieux vestibule; un double escalier y donnait accès. De ce palier central deux couloirs fort longs s’étendaient sur toute la longueur du manoir; les chambres donnaient toutes sur ces couloirs. La mienne se trouvait dans la même aile que celle de Baskerville, et presque attenante. Elles nous semblèrent beaucoup plus modernes que la partie centrale du bâtiment: du papier clair recouvrait les murs; de nombreuses bougies m’aidèrent à chasser la sinistre impression que notre arrivée avait ancrée dans mon esprit.

Mais la salle à manger qui donnait sur le vestibule était peuplée de ténèbres et d’ombres. Imaginez une pièce rectangulaire, avec une marche pour séparer l’estrade où mangeait la famille de la partie inférieure réservée aux serviteurs. À une extrémité un balcon pour musiciens la surplombait. Des poutres noircies décoraient un plafond que la fumée n’avait guère épargné. Avec des dizaines de torches flamboyantes, la couleur et la gaieté d’un banquet de jadis, l’atmosphère aurait été transformée; mais pour l’heure, entre deux gentlemen vêtus de noir et assis dans le petit cercle de lumière projetée par une lampe à abat-jour, il y avait de quoi être déprimé et ne pas avoir envie de bavarder. Toute une rangée d’ancêtres, dans une bizarre variété de costumes, depuis le chevalier élisabéthain jusqu’au dandy de la Régence, plongeaient leurs regards fixes sur nous et nous impressionnaient par leur présence silencieuse. Nous n’échangeâmes que peu de mots et, pour ma part, je ne fus pas mécontent lorsque le repas eut pris fin et que nous nous fûmes retirés dans une salle de billard plus récente pour fumer une cigarette.

«Ma parole, ce n’est pas un endroit bien gai! me dit Sir Henry. Je suppose que l’on peut s’y accoutumer, mais maintenant je me sens un peu hors de l’ambiance. Je ne m’étonne plus que mon oncle soit devenu un peu nerveux en vivant seul dans une pareille maison! Cependant, si cela vous convient, nous irons nous reposer de bonne heure ce soir, et demain matin peut-être l’atmosphère nous semblera-t-elle moins sinistre.»

J’écartais mes rideaux avant de me mettre au lit et je regardai par la fenêtre. Elle s’ouvrait sur la pelouse en gazon qui s’étendait devant la façade du manoir. Au-delà de la pelouse, deux taillis gémissaient et se balançaient au vent qui se levait.

Une demi-lune apparaissait entre les nuages qui se hâtaient. Dans sa lumière froide je vis derrière les taillis une bordure de rochers qui délimitait la mélancolie de la lande. Je refermai les rideaux; cette impression dernière ne m’incita plus qu’à fermer l’œil et à dormir.

Pourtant ce n’était pas tout à fait la dernière impression de la journée. J’étais las, mais je n’avais pas sommeil. Je me tournai et me retournai dans mes draps, à la recherche d’un repos qui se dérobait. Au loin une horloge carillonnait tous les quarts d’heure. Ce bruit mis à part, un silence mortel régnait dans le manoir. Et puis tout à coup, du plus profond de la nuit, j’entendis un son clair, net, sur lequel il n’y avait pas moyen de se tromper. C’était des sanglots de femme: les petits cris étouffés, étranglés d’une femme en proie à une panique incontrôlable. Je me mis sur mon séant, et j’écoutai. Le bruit ne pouvait provenir que de la maison. Pendant une demi-heure je tendis l’oreille, tous sens en alerte, mais je n’entendis plus rien que les carillons de l’horloge et le frémissement du lierre sur le mur.

CHAPITRE VII LES STAPLETON DE MERRIPIT

La beauté fraîche du lendemain matin nous aida à effacer de notre mémoire l’impression grise et lugubre de notre premier contact avec Baskerville Hall. Tandis que sir Henry et moi étions assis devant notre petit déjeuner, le soleil déversait ses flots lumineux à travers les hautes fenêtres à meneaux, parsemait de taches colorées les armoiries des murs. Sous ses rayons dorés, les panneaux de chêne revêtaient l’éclat du bronze. Il était difficile de réaliser mentalement que cette pièce était celle qui nous avait tellement désenchantés la veille au soir.

«Je crois que ce n’est pas la maison qui est à blâmer, mais nous! dit le baronet. Nous étions fatigués par le voyage, gelés par cette promenade en voiture: voilà pourquoi cette demeure nous avait paru maussade. À présent que nous sommes reposés, elle est toute en gaieté.

– Et pourtant l’imagination n’est pas seule en cause, répondis-je. Par exemple, n’auriez-vous pas entendu quelqu’un, une femme probablement, sangloter pendant la nuit?

– C’est curieux! Quand j’étais déjà à moitié endormi, j’ai entendu quelque chose qui ressemblait à cela. J’ai guetté un moment, puis plus rien; alors j’ai conclu que c’était un cauchemar.

– Moi je l’ai entendu distinctement; et je suis sûr qu’il s’agissait bel et bien d’une femme qui sanglotait.