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– Nous allons tout de suite demander…»

Il sonna et interrogea Barrymore. Il me sembla que le visage blême du maître d’hôtel se fit plus blanc quand il entendit les questions que lui posait son maître.

«Il n’y a que deux femmes dans la maison, Sir Henry! répondit-il. L’une est la laveuse de vaisselle, qui couche dans l’autre aile. L’autre est ma femme, et je peux vous jurer qu’elle n’a pas pleuré.»

Et pourtant il mentait. Après déjeuner, le hasard fit que je rencontrai Mme Barrymore dans le couloir; le soleil éclaira son visage. C’était une grosse femme sans expression, aux traits épais, la bouche serrée. Mais ses yeux étaient rouges et ils me regardèrent entre des paupières boursouflées. C’était donc elle qui avait pleuré pendant la nuit. Et si elle avait pleuré, son mari devait le savoir. Cependant il avait choisi le risque évident d’être démenti et il avait nié que ce fût sa femme. Pourquoi? Et pourquoi avait-elle sangloté d’une façon aussi dramatique? Déjà autour de ce bel homme pâle à la barbe noire flottait une atmosphère de mystère et de ténèbres. C’était lui qui le premier avait découvert le corps de Sir Charles, et nous n’avions que son témoignage pour toutes les circonstances qui avaient précédé et entouré la mort du vieillard. Était-il possible que ce Barrymore fût l’espion que nous avions aperçu en fiacre dans Regent Street? La barbe pouvait être la même. Le cocher avait dépeint un homme relativement moins grand, mais il avait pu se tromper. Comment éclaircir décaissement ce point? La première chose à faire était d’aller voir le chef du bureau de poste de Grimpen, et de vérifier si le télégramme test avait été bien remis à Barrymore en personne. Quelle que fût la réponse, j’aurais au moins un fait à rapporter à Sherlock Holmes.

Sir Henry ayant de nombreux papiers à examiner après le petit déjeuner, j’avais donc le loisir de procéder à mon enquête. Ce fut une promenade plaisante de sept kilomètres en bordure de la lande. Elle me mena finalement à un petit hameau gris; deux maisons plus importantes que les autres étaient l’auberge et la demeure du docteur Mortimer. Le chef du bureau de poste, qui tenait l’épicerie du village, se souvenait fort bien du télégramme.

«En effet, monsieur, me dit-il. Le télégramme a été remis à M. Barrymore comme vous m’en aviez prié.

– Qui le lui a remis?

– Mon fils. James, tu as remis le télégramme à M. Barrymore la semaine dernière, n’est-ce pas?

– Oui, papa. Je le lui ai remis.

– En main propre? demandai-je.

– Voilà! il était dans le grenier, je n’ai donc pas pu le lui remettre en main propre, mais je l’ai donné à Mme Barrymore, et elle m’a promis d’aller le lui porter immédiatement.

– As-tu vu M. Barrymore?

– Non. Je vous dis qu’il était dans le grenier.

– Si tu ne l’as pas vu, comment sais-tu qu’il était dans le grenier?

– Ben, sûrement que sa femme savait où il était, répondit le petit facteur. Est-ce qu’il n’a pas reçu le télégramme? S’il y a faute c’est à M. Barrymore de se plaindre.»

Il me parut inutile de poursuivre l’enquête, mais il était clair que Holmes avait beau faire, nous ne détenions pas la preuve que Barrymore était ailleurs qu’à Londres ce jour-là. Supposons qu’il s’y soit trouvé… Supposons que le même homme ait été le dernier à voir Sir Charles vivant et le premier à filer le nouvel héritier dès son arrivée en Angleterre… Et alors? Était-il un agent? Avait-il un plan strictement personnel? Quel intérêt pouvait-il avoir à persécuter la famille des Baskerville? Je réfléchis à l’étrange mise en garde découpée dans un éditorial du Times. Était-ce son œuvre, ou l’œuvre de quelqu’un qui cherchait à contrecarrer ses desseins? Le seul motif concevable était celui qui avait été suggéré par Sir Henry: si les Baskerville pouvaient être dégoûtés du manoir, les Barrymore jouiraient d’une demeure confortable. Mais une telle explication était loin de rendre compte de tout le réseau subtil qui étirait ses mailles autour du jeune baronet. Holmes lui-même avait déclaré qu’au long de ses enquêtes sensationnelles il n’avait jamais rencontré de cas plus complexe. Pendant que je rentrais sur la route grise, déserte, je priai pour que mon ami fût bientôt libéré des travaux londoniens et pût me décharger de responsabilités aussi lourdes.

Le cours de mes pensées se trouva interrompu par un bruit de pas qui couraient derrière moi; une voix me héla par mon nom. Je me retournai, pensant que c’était le docteur Mortimer; mais non: c’était un inconnu qui se hâtait. Il pouvait avoir entre trente et quarante ans; il était petit, mince, blond, tout rasé; il avait la bouche en cœur et une mâchoire tombante; il était vêtu de gris et était coiffé d’un chapeau de paille. Il portait en bandoulière une boite métallique pour échantillons botaniques et il tenait à la main un filet vert à papillons.

«Vous me pardonnerez, j’en suis sûr, mon audace, docteur Watson, me dit-il quand, tout essoufflé, il m’eut rejoint. Ici sur la lande nous sommes des gens tout à fait simples, et nous n’attendons pas les présentations officielles. Vous avez peut-être entendu mon dans la bouche de notre ami commun Mortimer. Je m’appelle Stapleton, de Merripit.

– Votre filet et votre boîte me l’auraient appris, répondis-je. Je savais en effet que M. Stapleton était naturaliste. Mais comment m’avez-vous reconnu?

– J’étais chez Mortimer, et il vous a désigné à ma curiosité par la fenêtre de son cabinet quand vous êtes passé. Comme votre route est la mienne, j’ai pensé à vous rattraper et à me présenter moi-même. J’espère que Sir Henry a bien supporté son voyage?

– Il se porte très bien merci.

– Nous redoutions tous un peu qu’après la triste mort de Sir Charles le nouveau baronet ne refusât de vivre ici. C’est demander beaucoup à un homme riche de s’enterrer dans un endroit pareil, mais je n’ai pas besoin de vous dire que le fait est d’importance pour la région. J’espère que Sir Henry n’éprouve pas de frayeurs superstitieuses relativement à l’affaire?

– Je ne crois pas qu’il y soit sujet.

– Naturellement, vous connaissez la légende de ce chien monstrueux qui s’acharne sur la famille?

– Elle m’a été contée.

– C’est extraordinaire comme les paysans d’ici sont crédules! Il y en a qui jureraient sur leur tête avoir vu une bête de ce genre sur la lande…»

Il souriait tout en parlant, mais il me sembla lire dans son regard qu’il prenait le problème plus au sérieux.

«… L’histoire avait vivement frappé l’imagination de Sir Charles, et je suis certain qu’elle est responsable de sa fin tragique.

– Mais comment?

– Ses nerfs étaient tellement tendus que l’apparition de n’importe quel chien aurait pu avoir un effet fatal sur son cœur malade. Je me demande s’il a réellement vu un chien cette nuit-là dans l’allée des ifs. Je craignais un accident, car j’aimais beaucoup ce vieil homme, et je savais qu’il avait le cœur touché.

– Comment le saviez-vous?