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— Je vous jure…

— Pas la peine de jurer…

— Ce n’est pas moi !…

— Je le sais bien, parbleu, que ce n’est pas toi ! Mais qui est-ce ?…

Les paupières se gonflèrent, tout d’un coup. Des larmes jaillirent. La lèvre inférieure se souleva spasmodiquement, et la fille de salle, ainsi, était tellement émouvante, que Maigret cessa de la tenir.

— Le docteur… cette nuit ?…

— Non !… Ce n’était pas pour ce que vous croyez…

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Il m’a demandé la même chose que vous… Il m’a menacée… Il voulait que je lui dise qui a touché à la bouteille… Il m’a presque battue… Et je ne sais pas ! Sur la tête de ma mère, je jure que…

— Apporte-moi mon café…

Il était huit heures du matin. Maigret alla acheter du tabac, fit un tour dans la ville. Quand il revint, vers dix heures, le docteur était dans le café, en pantoufles, un foulard passé autour du cou en guise de faux col. Ses traits étaient tirés, ses cheveux roux mal peignés.

— Vous n’avez pas l’air d’être dans votre assiette…

— Je suis malade… Je devais m’y attendre… Ce sont les reins… Dès qu’il m’arrive la moindre chose, une contrariété, une émotion, c’est ainsi que ça se traduit… Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit…

Il ne quittait pas la porte du regard.

— Vous ne rentrez pas chez vous ?

— Il n’y a personne… Je suis mieux soigné ici…

Il avait fait chercher tous les journaux du matin, qui étaient sur sa table.

— Vous n’avez pas vu mes amis ?… Servières ?… Le Pommeret ?… C’est drôle qu’ils ne soient pas venus aux nouvelles…

— Bah ! Sans doute dorment-ils toujours ! soupira Maigret. Au fait ! Je n’ai pas aperçu cet affreux chien jaune… Emma !… Avez-vous revu le chien, vous ?… Non ?… Voici Leroy, qui l’a peut-être rencontré dans la rue… Quoi de neuf, Leroy ?…

— Les flacons et les verres sont expédiés au laboratoire… Je suis passé à la gendarmerie et à la mairie… Vous parliez du chien, je crois ?… Il paraît qu’un paysan l’a vu ce matin dans le jardin de M. Michoux…

— Dans mon jardin ?…

Le docteur s’était levé. Ses mains pâles tremblaient.

— Qu’est-ce qu’il faisait dans mon jardin ?…

— A ce qu’on m’a dit, il était couché sur le seuil de la villa et, quand le paysan s’est approché, il a grogné de telle façon que l’homme a préféré prendre le large…

Maigret observait les visages du coin de l’œil.

— Dites donc, docteur, si nous allions ensemble jusque chez vous ?…

Un sourire contraint :

— Dans cette pluie ?… Avec ma crise ?… Cela me vaudrait au moins huit jours de lit… Qu’importe ce chien !… Un vulgaire chien errant, sans doute…

Maigret mit son chapeau, son manteau.

— Où allez-vous ?…

— Je ne sais pas… Respirer l’air… Vous m’accompagnez, Leroy ?

Quand ils furent dehors, ils purent voir encore la longue tête du docteur que les vitraux déformaient, rendaient plus longue tout en lui donnant une teinte verdâtre.

— Où allons-nous ? questionna l’inspecteur.

Maigret haussa les épaules, erra un quart d’heure durant autour des bassins, en homme qui s’intéresse aux bateaux. Arrivé près de la jetée, il tourna à droite, prit un chemin qu’un écriteau désignait comme la route des Sables Blancs.

— Si on avait analysé les cendres de cigarette trouvées dans le corridor de la maison vide… commença Leroy après un toussotement.

— Que pensez-vous d’Emma ? l’interrompit Maigret.

— Je… je pense… La difficulté, à mon avis, surtout dans un pays comme celui-ci, où tout le monde se connaît, doit être de se procurer une telle quantité de strychnine…

— Je ne vous demande pas cela… Est-ce que, par exemple, vous deviendriez volontiers son amant ?…

Le pauvre inspecteur ne trouva rien à répondre. Et Maigret l’obligea à s’arrêter et à ouvrir son manteau pour lui permettre d’allumer sa pipe à l’abri du vent.

La plage des Sables-Blancs, bordée de quelques villas et, entre autres, d’une somptueuse demeure méritant le nom de château et appartenant au maire de la ville, s’étire entre deux pointes rocheuses, à trois kilomètres de Concarneau.

Maigret et son compagnon pataugèrent dans le sable couvert de goémon, regardèrent à peine les maisons vides, aux volets clos.

Au-delà de la plage, le terrain s’élève. Des roches à pic couronnées de sapins plongent dans la mer.

Un grand panneau : Lotissement des Sables-Blancs. Un plan, avec, en teintes différentes, les parcelles déjà vendues et les parcelles disponibles. Un kiosque en bois : Bureau de vente des terrains.

Enfin la mention : En cas d’absence, s’adresser à M. Ernest Michoux, administrateur.

L’été, tout cela doit être riant, repeint à neuf. Dans la pluie et la boue, dans le tintamarre du ressac, c’était plutôt sinistre.

Au centre, une grande villa neuve, en pierres grises, avec terrasse, pièce d’eau et parterres non encore fleuris.

Plus loin, les ébauches d’autres villas : quelques pans de mur surgissant du sol et dessinant déjà les pièces…

Il manquait des vitres au kiosque. Des tas de sable attendaient d’être étalés sur la nouvelle route, qu’un rouleau compresseur barrait à moitié. Au sommet de la falaise, un hôtel, ou plutôt un futur hôtel, inachevé, aux murs d’un blanc cru, aux fenêtres closes à l’aide de planches et de carton.

Maigret s’avança tranquillement, poussa la barrière donnant accès à la villa du docteur Michoux. Quand il fut sur le seuil et qu’il tendit la main vers le bouton de la porte, l’inspecteur Leroy murmura :

— Nous n’avons pas de mandat !… Ne croyez-vous pas que…

Une fois de plus, son chef haussa les épaules. Dans les allées, on voyait les traces profondes laissées par les pattes du chien jaune. Il y avait d’autres empreintes : celle de pieds énormes, chaussés de souliers à clous. Du quarante-six pour le moins !

Le bouton tourna. La porte s’ouvrit comme par enchantement et l’on put relever sur le tapis les mêmes traces boueuses : celles du chien et des fameux souliers.

La villa, d’une architecture compliquée, était meublée d’une façon prétentieuse. Ce n’était partout que recoins, avec des divans, des bibliothèques basses, des lits clos bretons transformés en vitrines, des petites tables turques ou chinoises. Beaucoup de tapis, de tentures !

La volonté manifeste de réaliser, avec de vieilles choses, un ensemble rustico-moderne.

Quelques paysages bretons. Des nus signés, dédicacés : Au bon ami Michoux… Voire : A l’ami des artistes…

Le commissaire regardait ce bric-à-brac d’un air grognon, tandis que l’inspecteur Leroy n’était pas sans se laisser impressionner par cette fausse distinction.

Et Maigret ouvrait les portes, jetait un coup d’œil dans les chambres. Certaines n’étaient pas meublées. Le plâtre des murs était à peine sec.

Il finit par pousser une porte du pied et il eut un murmure de satisfaction en apercevant la cuisine. Sur la table de bois blanc, il y avait deux bouteilles à bordeaux vides.

Une dizaine de boîtes de conserve avaient été ouvertes grossièrement, avec un couteau quelconque. La table était sale, graisseuse. On avait mangé, à même les boîtes, des harengs au vin blanc, du cassoulet froid, des cèpes et des abricots.

Le sol était maculé. Il y traînait des restes de viande. Une bouteille de fine champagne était cassée et l’odeur d’alcool se mêlait à celle des aliments.

Maigret regarda son compagnon avec un drôle de sourire.