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— Sais-tu quel homme Brun choisira pour moi ?

— Quel homme penses-tu qu’il te choisisse, Uba ?

— Vorn est le seul homme à ne pas avoir de compagne, et Borg aussi sera bientôt homme. Évidemment, Brun pourrait me donner comme seconde compagne à l’un des autres... Mais je crois que je préfère Borg. Nous avons beaucoup joué à nous accoupler, jusqu’au jour où il a voulu assouvir ses désirs avec moi pour de vrai. Ça n’a pas très bien marché, et depuis il est tout timide. Et puis il ne veut plus jouer avec les filles parce qu’il va devenir un homme. Il faut penser à Ona aussi, et Brun ne peut la donner à Vorn puisque c’est sa sœur. Il ne peut donc que lui donner Borg. Alors je crois que c’est Vorn qui deviendra mon compagnon.

— Ça fait un certain temps qu’il est un homme, et il doit se sentir impatient de prendre une compagne, dit Ayla, qui était arrivée elle aussi à la même conclusion. Cela te ferait plaisir de l’avoir pour compagnon ?

— Il fait comme si je n’existais pas, mais de temps en temps il me regarde. Après tout, il n’est peut-être pas si méchant que ça.

— Broud l’aime bien et en fera sans doute son second. Tu n’as pas d’inquiétude à te faire pour ton propre statut dans le clan, mais tu dois y penser pour tes fils. Je crois que tu as raison, il se donne l’air plus méchant qu’il ne l’est. Il lui arrive même d’être gentil avec Durc quand Broud n’est pas dans les parages.

— Tout le monde est gentil avec Durc, sauf Broud, remarqua Uba. Tout le monde l’aime beaucoup.

— Ça, on peut dire qu’il est à l’aise dans tous les foyers. Il a tellement l’habitude d’aller d’une femme à l’autre pour téter qu’il se sent partout chez lui et appelle toutes les femmes maman, répondit Ayla, l’air légèrement contrarié. (Mais elle chassa bien vite son ressentiment.) Tu te souviens du jour où il est entré dans le foyer de Grod, comme s’il était né là ?

— Oui, je m’en souviens, j’ai bien essayé, mais je n’ai pas pu m’empêcher de regarder, se rappela Uba. Il est passé devant Uka, qu’il a appelée maman, et il s’est dirigé droit vers Grod pour lui grimper sur les genoux.

— Je sais, répondit Ayla. De ma vie je n’ai vu Grod aussi stupéfait. J’étais sûre qu’il allait se mettre en colère quand Durc s’est mis à jouer avec sa grande lance. Mais il s’est contenté de la lui enlever des mains en disant : « Plus tard, Durc chasser comme Grod ! »

— Je crois que, si Grod l’avait laissé faire, il serait parti avec sa lance !

— Il ne se couche jamais sans le petit épieu qu’il lui a taillé, dit Ayla, qui souriait, attendrie par le rappel de ces petites scènes dont Durc était le héros. Tu sais combien Grod est peu loquace, poursuivit-elle avec des gestes allègres. J’ai été surprise de le voir arriver l’autre jour. Il m’a à peine saluée, est allé tout droit à Durc et lui a mis dans les mains cet épieu ; il lui a aussi montré comment le tenir. Et tout ce qu’il a dit en repartant, c’est : « Puisque le petit a tellement envie de chasser, il faut qu’il ait une arme à lui. »

— Quel dommage qu’Ovra n’ait jamais eu d’enfant. Grod aurait été si heureux ! dit Uba. C’est peut-être pour ça qu’il aime autant Durc. Brun aussi d’ailleurs, j’en suis certaine. Quant à Zoug, il commence déjà à lui montrer comment se servir d’une fronde. J’ai l’impression qu’il n’aura aucune difficulté à apprendre à chasser. A voir la façon dont ils se comportent avec Durc, on dirait que tous les hommes du clan sont les compagnons de sa mère, à l’exception de Broud... Et c’est peut-être la vérité, Ayla. Dorv a toujours prétendu que leurs totems à tous s’étaient ligués pour vaincre ton Lion des Cavernes.

— Je crois que tu ferais bien d’y aller, Uba, déclara Ayla pour changer de sujet. Je vais t’accompagner une partie du chemin. Il s’est arrêté de pleuvoir. Les fraises sauvages doivent être mûres. Tu en trouveras un vrai champ à mi-chemin sur le sentier. Je monterai te voir plus tard.

Goov traça à l’ocre jaune le symbole du totem de Vorn sur celui d’Uba.

— Acceptes-tu cette femme pour compagne ? demanda Creb avec des gestes solennels.

Vorn tapa Uba sur l’épaule et la jeune femme le suivit dans la caverne. Puis Creb et Goov accomplirent le même rituel pour Borg et Ona qui, à leur tour, gagnèrent le nouveau foyer où ils allaient passer une longue période d’isolement. Une brise légère faisait frissonner les feuilles des arbres, dont le vert prenait des couleurs tendres dans la lumière matinale. Quand l’assemblée se dispersa, Ayla prit Durc dans ses bras pour le ramener à la caverne, mais l’enfant se mit à gigoter pour descendre.

— D’accord, Durc, dit Ayla. Tu marches tout seul, mais tu viens manger un peu de bouillie.

Tandis que sa mère préparait le repas du matin, Durc s’échappa pour aller retrouver Uba et Vorn. Ayla eut juste le temps de le rattraper.

— Durc veut voir Uba, dit le petit garçon.

— Non, Durc. Personne n’a le droit de leur rendre visite pendant quelque temps. Mais si tu es bien gentil et que tu manges bien ta soupe, je t’emmènerai chasser avec moi.

— Durc bien gentil. Pourquoi Durc peut pas voir Uba ? demanda l’enfant, radouci par la promesse d’aller à la chasse avec sa mère. Pourquoi Uba ne mange pas avec nous ?

— Elle ne vivra plus dans ce foyer, Durc. Elle est la compagne de Vorn, maintenant, tu comprends ?

Durc n’était pas le seul à regretter le départ d’Uba. Le foyer paraissait vide depuis qu’elle l’avait quitté, laissant Creb, Ayla et l’enfant seuls. Dès lors, la tension entre le vieil homme et la jeune femme se manifesta de plus en plus clairement. Aucun des deux n’avait réussi à oublier les remords qu’il éprouvait à l’égard de l’autre. Plus d’une fois, en voyant le vieux sorcier sombrer dans la mélancolie, Ayla avait voulu lui passer les bras autour du cou et le serrer contre elle comme elle le faisait autrefois ; mais elle s’était retenue, répugnant à s’imposer à lui.

Creb ressentait le même manque d’affection et la même retenue, sans savoir que son isolement affectif ne faisait qu’aggraver son abattement. A chaque fois qu’il avait surpris la douleur d’Ayla, regardant son fils au sein d’une autre femme, il aurait voulu aller la prendre dans ses bras. Iza aurait su trouver les mots et les gestes appropriés mais Iza n’était plus, et chacun se désespérait de ne pouvoir exprimer à l’autre tout l’amour qu’il lui gardait. Ils se sentirent très mal à l’aise lors du premier repas matinal sans Uba.

— Tu as encore faim, Creb ? demanda Ayla.

— Non, non. J’ai assez mangé, répondit le sorcier.

Il la regarda débarrasser les restes du repas, pendant que Durc se resservait allégrement des deux mains. Bien qu’il eût à peine plus de deux ans, le garçon était tout à fait sevré. Toutefois, il allait encore téter Oga et Ika, qui venait de mettre au monde un autre enfant, mais c’était pour le plaisir du contact chaud et rassurant des femmes qui l’avaient nourri, et aussi parce qu’elles voulaient bien le laisser faire. La venue d’un nouveau-né contraignait d’ordinaire la femme à refuser son lait aux enfants plus âgés, à plus forte raison déjà sevrés, mais Ika faisait exception pour Durc. Le garçon, cependant, savait ne pas abuser de ce privilège. Il ne tétait jamais longtemps et s’abstenait de demander quand elle venait d’allaiter son nourrisson.

Oga aussi se montrait fort indulgente envers lui, et il en profitait. Grev, qui était pratiquement sevré, sautait alors sur l’occasion, et on les voyait parfois tous les deux dans les bras d’Oga, tétant chacun un sein, jusqu’à ce que la curiosité de l’un pour l’autre les arrache aux mamelles. Durc était aussi grand que Grev, mais un peu moins fort. Quand ils luttaient ensemble, Grev avait le plus souvent le dessus, mais Durc le battait aisément à la course. La paire était inséparable, et ils se retrouvaient à la moindre occasion.