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Mais c’étaient les effets notables qui intéressaient surtout Iza, car ils indiquaient la possibilité d’un éventuel usage curatif. Les autres femmes lui apportaient tout ce qui présentait les caractéristiques de plantes exotiques ou vénéneuses. De telles expériences lui demandaient beaucoup de temps car elle procédait avec précaution, selon ses propres méthodes, et c’est pourquoi elle s’en tenait pour l’instant aux plantes connues tant qu’ils n’auraient pas découvert une nouvelle caverne.

Iza trouva non loin du campement plusieurs pieds de roses trémières dont les fleurs aux vives couleurs étaient épanouies. Les racines pouvaient fournir un emplâtre dont les propriétés désinfectantes étaient comparables à celles obtenues à partir des rhizomes d’iris. L’infusion des fleurs, elle, atténuerait la douleur et aurait un effet somnifère. Elle arracha quelques pieds et finit de ramasser son bois mort.

Après le repas, la petite fille, assise contre un gros rocher, regardait tout le monde s’activer alentour. Une nourriture reconstituante et un pansement frais lui ayant fait le plus grand bien, elle se mit à jacasser à l’adresse d’Iza qui n’y comprenait goutte. Les autres membres du clan jetaient des regards désapprobateurs dans sa direction, mais elle était bien incapable d’en comprendre la signification. Leurs cordes vocales atrophiées leur rendaient impossible toute articulation précise. Les quelques sons qu’ils émettaient pour souligner leurs gestes étaient dérivés des cris qu’ils poussaient en guise d’avertissement ou pour capter l’attention, et l’importance attachée aux verbalisations faisait partie de leurs traditions. Leurs moyens de communication – signes de la main, gestes, attitudes, intuition née du contact intime, coutumes – étaient très suggestifs mais limités. Aussi la volubilité de la fillette suscitait-elle parmi le clan perplexité et méfiance.

Ils chérissaient les enfants et les élevaient avec une réelle tendresse et une discipline qui se durcissait à mesure qu’ils grandissaient. Les hommes comme les femmes dorlotaient les bébés et mettaient au pas les jeunes enfants en se contentant la plupart du temps de ne pas leur prêter attention. En prenant conscience de la considération dont jouissaient leurs aînés, les jeunes prenaient exemple sur eux et apprenaient très tôt à se conformer strictement aux usages établis. L’un d’entre eux consistait précisément à éviter de proférer un son inutile.

En raison de sa taille, la fillette paraissait plus que son âge et, aux yeux du clan, elle passait pour indisciplinée et mal élevée.

Iza, en contact plus intime avec elle, avait deviné qu’elle était beaucoup plus jeune qu’il ne semblait. Elle était parvenue à estimer approximativement son âge, et elle se laissait plus facilement attendrir par une enfant qui avait jeté ses petits bras autour de son cou avec un tel abandon. Par ailleurs, à en juger par les sons émis par la fillette au plus fort de sa fièvre, la guérisseuse avait supposé que le peuple auquel l’enfant appartenait verbalisait davantage et avec une grande aisance. Et puis, pensait-elle, elle aurait le temps de lui enseigner les bonnes manières. Elle commençait déjà à considérer la fillette comme la sienne.

Creb vint s’asseoir auprès de la petite fille pendant qu’Iza versait de l’eau bouillante sur les sommités fleuries des roses trémières. L’enfant des Autres l’intéressait au plus haut point et, les préparatifs de la cérémonie nocturne n’étant pas encore achevés, il venait voir comment elle se remettait. La fillette et l’infirme restèrent un long moment à s’observer avec une égale intensité. Le vieil homme avait pour la première fois l’occasion de voir de près un rejeton des Autres, et elle venait juste de découvrir l’existence du Peuple du Clan. Mais plus que les caractéristiques raciales, c’était ce visage ridé qui l’intriguait. Au cours de sa brève existence, elle n’avait jamais vu un être aussi monstrueusement défiguré. Impétueusement, avec l’audace spontanée des enfants, elle tendit la main vers la cicatrice qui lui barrait tout un côté du visage.

Creb fut stupéfait lorsqu’il sentit cette main le caresser. Aucun des enfants du clan ne l’avait jamais touché ainsi. Aucun adulte non plus, d’ailleurs. Ils évitaient son contact, comme si sa difformité avait été contagieuse. Seule Iza, qui le soignait lors des attaques d’arthrite qui le terrassaient un peu plus violemment chaque hiver, ne semblait ressentir aucune répugnance. Elle n’était pas dégoûtée par son corps contrefait et ses horribles cicatrices, ou terrorisée par son pouvoir et par son rang. La douce caresse de la petite fille émut profondément ce vieux cœur solitaire. Il désira communiquer avec elle et se demanda un instant comment y parvenir.

— Creb, dit-il en se désignant du doigt.

Iza les regardait tranquillement en attendant que ses fleurs infusent. Elle était heureuse de l’intérêt que son frère portait à l’enfant.

— Creb, répéta-t-il en se frappant la poitrine.

La fillette tendit le visage en avant, essayant de comprendre ce qu’il attendait d’elle. Creb répéta son nom pour la troisième fois. Soudain son regard s’éclaira, et elle se redressa en souriant.

— Grub ? répondit-elle en roulant les r comme lui.

Le vieil homme approuva de la tête ; elle n’était pas trop loin de la bonne prononciation. Puis il la montra du doigt. Elle fronça légèrement les sourcils, incertaine de ce qu’il voulait à présent. Il se frappa la poitrine en disant son nom, puis frappa celle de la fillette. Le large sourire de compréhension qui illumina l’enfant fit à Creb l’effet d’une grimace, et quant au mot polysyllabique qui tomba de ses lèvres, il était non seulement imprononçable, mais quasiment incompréhensible. Il refit les mêmes gestes en s’approchant pour l’entendre mieux.

— Ay-rr, répéta-t-il, hésitant. Ay-lla, Ayla ?

C’était le mieux qu’il pût faire. Bien peu parmi les membres du clan seraient parvenus à un résultat aussi proche de l’exactitude. Elle sourit de nouveau en hochant la tête. Ce n’était pas tout à fait ce qu’elle avait dit, mais elle acceptait ce nom, comprenant dans la précocité de son intelligence que le vieil homme ne pouvait mieux faire.

— Ayla, répéta Creb pour s’habituer à la sonorité.

— Creb ? dit la petite fille en le tirant par le bras pour qu’il la regarde.

Puis elle désigna la femme.

— Iza, dit Creb. Iza.

— IIIia-sa, répéta-t-elle, prenant manifestement un grand plaisir à ce jeu. Iza, Iza, dit-elle encore en regardant la femme.

Iza acquiesça solennellement ; savoir prononcer le nom de quelqu’un était très important. Elle se pencha et toucha l’enfant comme Creb l’avait fait. La fillette répéta son nom au grand désespoir d’Iza qui se révéla incapable d’en prononcer la moindre syllabe, La petite fille, désolée, jeta un coup d’œil à Creb et articula son nom à la manière du vieillard.

— Aaay-ghha, dit la femme avec difficulté. Aaaya-ya ?

— Non, Aaay-lla, reprit Creb très lentement pour qu’Iza, puisse mieux saisir.

— Aaaya-lla, parvint à articuler Iza au prix d’un grand effort pour imiter son frère.

La petite fille sourit, peu lui importait que son nom ne fût pas très bien prononcé ; Iza avait eu tant de mal à répéter celui que lui avait indiqué Creb qu’elle l’accepta désormais comme le sien. Elle serait donc Ayla. L’enfant tendit spontanément les bras vers la femme et l’embrassa.

Iza la serra doucement contre elle, puis la repoussa. Il lui faudrait apprendre à la fillette que les démonstrations d’affection n’avaient pas cours en public. Ayla était folle de joie. Elle s’était sentie tellement perdue, tellement isolée parmi ces inconnus. Elle avait ressenti une déception si cruelle de ne pouvoir communiquer avec la femme qui prenait soin d’elle. Ce n’était qu’un début, mais au moins pouvaient-elles désormais s’appeler l’une l’autre par leurs noms. Elle se tourna vers l’homme qui était à l’origine de ce commencement de communication et ne le trouva plus aussi laid. Elle éprouva soudain pour lui un grand élan d’affection et, comme elle l’avait fait si souvent avec cet autre homme dont la silhouette flottait dans ses souvenirs, elle passa ses bras autour du cou de l’infirme et, attirant sa tête vers elle, elle posa sa joue contre la sienne.