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Par un matin glacial, vers la fin de l’hiver, Ayla, accompagnée d’Ovra, examina la fille d’Iza et prit une décision.

— Uba, appela-t-elle doucement. (La jeune femme ouvrit les yeux, des yeux que des cernes sombres faisaient paraître encore plus profondément enfoncés dans les orbites.) Il est temps que tu prennes de l’ergot pour déclencher les contractions. Rien ne peut plus sauver ton enfant. Si tu ne l’expulses pas, tu mourras avec lui. Tu es jeune, tu peux en avoir d’autres.

Uba regarda tour à tour Ayla puis Ovra.

— Très bien, accepta-t-elle. Vous avez raison, il n’y a plus d’espoir, mon enfant est mort.

L’accouchement d’Uba fut difficile. Les contractions mirent longtemps à venir, et Ayla n’osait plus donner d’analgésiques trop forts de peur de contrarier l’effet de l’ergot. Les autres femmes du clan vinrent l’encourager et l’assurer de leur soutien, mais aucune ne resta longtemps. Elles savaient toutes que les efforts et les souffrances d’Uba seraient vaines. Seule Ovra resta pour aider Ayla.

Quand l’enfant mort-né fut délivré, Ayla s’empressa de l’envelopper avec le placenta dans la peau disposée pour l’accouchement.

— C’était un garçon, dit-elle à Uba.

— Puis-je le voir ? demanda la jeune femme d’une voix faible.

— Non, Uba, je ne pense pas que ce serait une bonne chose. Cela ne pourra que te rendre encore plus triste. Repose-toi, je m’en occupe. Tu n’aurais pas la force de te lever.

Ayla dit à Brun qu’Uba était trop faible et qu’elle se chargerait d’enterrer l’enfant, mais elle se garda d’en dire davantage. Uba n’avait pas accouché d’un seul enfant, mais de deux, deux jumeaux qui n’étaient pas parvenus à se séparer, effroyable fœtus à peine humain aux bras et aux jambes multiples, attachés à un corps monstrueux surmonté d’une tête trop grosse. Ovra s’était retenue à grand-peine de vomir à la vue de la chose, et Ayla elle-même avait eu un haut-le-cœur.

C’était un cas extrême de difformité, et non le résultat naturel de deux types humains différents, celui du Peuple du Clan et celui des Autres, comme Durc en était l’exemple. Ayla savait qu’elle pouvait compter sur le silence d’Ovra. Il valait mieux que le clan crût qu’Uba avait eu un enfant mort-né, mais normal. Cela valait mieux surtout pour Uba.

Ayla s’enveloppa dans une chaude couverture et sortit dans la neige profonde où elle s’enfonçait à chaque pas. Quand elle fut assez éloignée de la caverne, elle ouvrit le paquet et en abandonna le contenu dans la nature. Il vaut mieux s’assurer qu’il ne subsistera aucune trace, pensa-t-elle. A peine se fut-elle détournée qu’elle perçut un mouvement furtif du coin de l’œil. L’odeur du sang attirait déjà les carnassiers.

28

— Ça te ferait plaisir de dormir cette nuit avec Uba, Durc ? demanda Ayla.

— Non ! répondit énergiquement le petit garçon. Durc dort avec ma-ma !

— Ça n’a pas d’importance, Ayla, je prévoyais cela. Nous avons déjà passé toute la journée ensemble, dit Uba. D’où sort-il ce nom qu’il te donne ?

— Oh, il a pris l’habitude de m’appeler comme ça, répondit Ayla d’un air évasif.

La réprobation du clan envers tout mot ou son inutile était si profondément ancrée dans l’esprit d’Ayla qu’elle se sentait coupable du jeu auquel elle s’adonnait avec son fils. Uba n’insista pas, bien qu’elle eût remarqué le léger embarras d’Ayla.

— Parfois, quand je vais me promener seule avec Durc, nous nous amusons à produire des sons tous les deux, finit par avouer Ayla à celle qu’elle considérait comme sa petite sœur. Il a choisi ces deux sons pour m’appeler, mais il est capable d’en inventer bien d’autres, tu sais.

— Toi aussi, tu peux faire plein de sons avec ta bouche. Maman disait que tu n’arrêtais pas quand tu étais petite, avant que tu apprennes à t’exprimer correctement. Et je me rappelle encore le bruit que tu faisais en me berçant quand j’étais bébé. Ça me plaisait bien.

— C’est possible. Je ne m’en souviens pas très bien, dit Ayla. Il s’agit simplement d’un jeu entre Durc et moi.

— Qu’importe, répondit Uba, ce n’est pas comme s’il était incapable de s’exprimer. Quel dommage que ces racines soient pourries, ajouta-t-elle en jetant l’une d’elles. Le festin de demain n’aura rien d’extraordinaire. Nous n’avons en tout et pour tout que de la viande et du poisson séché, et des légumes à moitié avariés. Si Brun voulait seulement attendre un peu plus longtemps, il y aurait au moins des légumes frais et de jeunes pousses.

— Brun n’est pas seul en cause, remarqua Ayla. Creb prétend que la première lune après le début du printemps est le moment propice.

— Je me demande comment il peut savoir que le printemps a commencé, dit Uba. Pour moi, les jours de pluie se ressemblent tous.

— Je crois qu’il le sait en observant les couchers du soleil. Cela fait des jours qu’il n’en manque pas un. Même par temps de pluie, on arrive toujours à voir où le soleil se couche, et il y a eu plusieurs nuits claires où l’on voyait la lune. Creb sait tout cela.

— Je regrette sa décision de nommer Goov mog-ur à sa place, dit Uba.

— Oui, moi aussi. Que fera-t-il de son temps quand il n’aura plus de cérémonies à célébrer ? Je savais bien que cela devait arriver un jour, mais cette perspective ne me réjouit guère.

— Quel changement cela va faire ! Il y a si longtemps que Brun est le chef et Creb le mog-ur ! Mais Vorn dit qu’il est temps de laisser la place aux jeunes, et que Broud a attendu son tour assez longtemps.

— Il a sans doute raison, répondit Ayla. Vorn a toujours éprouvé une vive admiration envers Broud.

— Il est gentil avec moi. Il ne s’est pas mis en colère quand j’ai perdu le bébé. Je crois qu’il t’aime bien aussi, Ayla. C’est lui qui voulait que Durc vienne dormir chez nous. Je crois qu’il sait combien j’aime avoir ton fils près de moi, lui confia Uba. Et ces temps derniers, Broud ne s’est pas montré trop désagréable avec toi.

— Non, il ne m’ennuie plus depuis quelque temps, reconnut Ayla, qui ne pouvait expliquer la crainte qu’elle ressentait à chaque fois qu’elle croisait son regard, éprouvant même un picotement à la nuque quand il l’observait à la dérobée.

Ce soir-là, Creb demeura longtemps avec Goov dans la grotte sacrée. Ayla prépara un repas léger pour Durc et elle-même et mit de côté la part de Creb, qui aurait peut-être faim en revenant, bien qu’elle en doutât. Elle s’était réveillée au matin avec une sourde angoisse qui n’avait fait que croître au fil de la journée. A présent, il lui semblait étouffer dans la caverne, et elle avait la gorge sèche comme une vieille écorce. Incapable d’avaler une bouchée de plus, elle se leva brusquement et courut jusqu’à l’entrée de la caverne, pour scruter le ciel de plomb, d’où tombait une pluie diluvienne qui transformait les abords de la caverne en un champ de boue. Durc s’était couché et il dormait déjà quand elle rentra. Mais dès qu’il la sentit qui s’allongeait à côté de lui, il se blottit contre elle en murmurant ma-ma avant de replonger dans le sommeil.

Ayla passa son bras autour du petit corps, écouta battre le cœur de son fils assoupi contre elle. Elle resta les yeux grands ouverts, examinant les moindres détails de la paroi que le feu mourant éclairait faiblement. Ce fut seulement quand elle entendit le pas de Creb lui indiquant qu’il allait se coucher qu’elle put trouver le sommeil.