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— Mama ! hurla Durc en se dégageant vivement de l’étreinte d’Uba. Ayla courut à lui et le serra dans ses bras.

— Tu n’as pas de mal, Uba ?

— Non, non, rien de grave.

— Où est Creb ?

Alors qu’elle posait cette question, Ayla se souvint. Tendant Durc à Uba, elle se rua vers la caverne.

— Ayla ! Où vas-tu ? N’entre pas dans la caverne ! Il peut se produire de nouvelles secousses !

Négligeant cet avertissement, Ayla courut droit au foyer de Creb. Des cailloux et des gravillons tombaient encore de temps à autre, formant de petits amoncellements, mais leur foyer n’avait pas trop souffert du tremblement de terre. Cependant, Creb n’y était pas. Ayla le chercha dans tous les foyers, entièrement détruits pour certains. Creb restait introuvable. Elle voulut s’aventurer dans la grotte des esprits, mais il y faisait beaucoup trop sombre et elle décida d’inspecter d’abord le reste de la caverne.

Des gravillons lui tombèrent dessus, et elle s’écarta d’un bond pour se coller contre la paroi. Bien lui en prit car aux gravillons succéda un gros bloc, qui s’écrasa lourdement sur le sol à deux pas d’elle. Tout en continuant de longer les parois, elle fouilla à tâtons derrière les grands paniers à provisions et les éboulis. Elle s’apprêtait à aller chercher une torche quand elle songea à inspecter un dernier endroit.

Elle découvrit Creb auprès de la sépulture d’Iza. Il était couché sur son côté déformé, les jambes repliées sur le visage, comme si on l’avait déjà attaché dans la position fœtale. Le grand crâne qui avait abrité son puissant cerveau avait été fracassé par un lourd rocher. Il était mort sur le coup.

Ayla s’agenouilla auprès du corps et se mit à pleurer.

— Creb, Creb, pourquoi es-tu entré dans la caverne ? gémit-elle en se balançant d’avant en arrière sur ses genoux.

Puis, pour quelque raison inexplicable, elle se leva et se mit à accomplir les gestes rituels qu’elle lui avait vu faire au-dessus de la tombe d’Iza. Pleurant à chaudes larmes, la grande femme blonde, seule dans la caverne jonchée de pierres, célébrait les rites ancestraux avec une grâce et une finesse dignes du plus grand des mog-ur. Telle fut sa dernière offrande au seul père qu’elle eût jamais connu.

— Il est mort, annonça Ayla en émergeant de la caverne.

Tous les regards étaient tournés vers elle. Broud frémit, envahi par une peur soudaine. C’était elle qui avait découvert la caverne, elle qui avait la faveur des esprits. Et sitôt après qu’il l’eut maudite, ils avaient ébranlé la terre et détruit la grotte. Les esprits s’étaient-ils déchaînés contre lui parce qu’il avait maudit leur protégée ? Que se passerait-il si le clan le croyait responsable des calamités qui s’abattaient sur lui ? Dans les tréfonds de son âme superstitieuse, Broud, tremblant devant le lugubre présage, se prit à redouter la colère des esprits. C’est alors que sa perversité lui souffla de prendre les devants et d’accuser Ayla avant que quelqu’un ne songe à le désigner comme étant le coupable.

— C’est elle ! C’est sa faute ! s’écria-t-il tout à coup. C’est elle qui a déchaîné la colère des esprits. Elle a bafoué les traditions. Vous l’avez tous vue. Elle s’est montrée insolente et irrespectueuse envers le chef. Elle doit être maudite ! Alors seulement les esprits seront satisfaits. Alors seulement ils sauront combien nous les respectons, et ils nous conduiront vers une nouvelle caverne, encore plus belle ! Maudis-la, Goov ! Maudis-la ! Maudis-la immédiatement !

Tous les regards se tournèrent vers Brun. Il regardait droit devant lui, les mâchoires et les poings serrés, les muscles de son dos frémissant de tension. Mais il se refusa à intervenir, et les membres du clan, abasourdis, se regardèrent les uns les autres, avant de reporter leur attention sur Goov et Broud. Le nouveau mog-ur, quant à lui, fixait Broud d’un air incrédule. Comment osait-il condamner Ayla ! S’il y avait un coupable, c’était bien lui. Puis Goov comprit que Broud se déchargeait sur Ayla d’un crime dont il se savait le seul auteur.

— C’est moi le chef, Goov ! hurla Broud de nouveau. Tu es mog-ur et je t’ordonne de la maudire. Jette sur elle la Malédiction Suprême ! Goov tourna sèchement les talons et se dirigea vers la caverne après avoir pris un tison enflammé au feu qu’on venait d’allumer. Il franchit l’entrée plongée dans la pénombre et se fraya prudemment un chemin parmi les décombres, sachant que toute nouvelle secousse, fût-elle infime, l’ensevelirait sous les tonnes de pierre suspendues au-dessus de lui en équilibre précaire, un destin dont il se surprit à espérer la venue avant qu’il n’accomplisse l’injuste besogne qu’on lui avait ordonnée. Il pénétra enfin dans la grotte des esprits et disposa les ossements sacrés de l’Ours des Cavernes en lignes parallèles. Puis il invoqua les esprits maléfiques, dont les mog-ur étaient seuls à connaître le nom.

Ayla était toujours assise sur le seuil de la caverne quand le mog-ur en ressortit sans la voir.

— Je suis le mog-ur. Tu es le chef. Tu m’as ordonné de punir Ayla de la Malédiction Suprême, c’est chose faite, déclara Goov, et il se détourna avec ostentation.

Les événements s’étaient passés si vite que chacun avait du mal à y croire. On n’agissait pas de cette façon. Brun aurait longuement pesé et préparé le clan avant de prononcer pareille sentence. Il n’aurait jamais agi de la sorte. Pourquoi Broud l’avait-il maudite ? Elle s’était peut-être montrée insolente, mais elle n’avait fait que défendre Creb. On ne condamnait pas une femme à mort pour une insolence, par ailleurs compréhensible. Et Broud, qu’avait-il fait à Ayla ? Il lui avait pris son enfant et avait déplacé Creb de son foyer pour se venger d’elle. Maintenant, plus personne n’avait de foyer. Pourquoi Broud avait-il fait une chose pareille ? Les esprits avaient toujours protégé la jeune femme, qui avait porté chance au clan, jusqu’à ce que Broud ordonne à Goov de la maudire. Broud avait attiré sur eux le malheur. Il avait mécontenté les esprits protecteurs et déchaîné les forces maléfiques. Et Mog-ur était mort. Le vieux sorcier, le grand Mog-ur ne pourrait plus rien pour eux.

Ayla eut du mal à comprendre ce qui lui arrivait. Elle toisait avec un étrange détachement tous les membres du clan qui passaient devant elle sans la voir, le regard perdu dans le vague, et ne sortit de son abattement que devant la réaction d’Uba, qui s’était mise à pleurer la mort d’Ayla et à se lamenter sur le sort du petit garçon qu’elle tenait dans ses bras.

Durc ! Mon enfant ! Mon petit ! Il ne reverra jamais sa mère. Que va-t-il devenir ? Il ne lui reste plus qu’Uba. Elle s’occupera bien de lui, mais que pourra-t-elle faire contre Broud ? Broud hait Durc parce qu’il est mon fils. Frénétiquement, Ayla regarda autour d’elle et aperçut Brun non loin de là. Brun ! C’était lui et lui seul qui pourrait protéger Durc.

Ayla courut vers l’homme fort et sensé qui commandait le clan la veille encore et elle se jeta à ses pieds en baissant la tête. Puis elle comprit qu’il ne lui taperait jamais sur l’épaule. Quand elle releva la tête, il fixait le feu, derrière elle. Il peut me voir et m’entendre, s’il le désire, pensa Ayla. Je sais qu’il le peut. Creb et Iza se souvenaient parfaitement de tout ce que je leur avais dit la première fois que j’ai été maudite.

— Brun, je sais que tu me crois morte, et que tu penses que je ne suis qu’un esprit. Je vais m’en aller, je te le promets, mais j’ai peur pour Durc. Broud le déteste, tu le sais. Que lui arrivera-t-il à présent que Broud est le chef ? Durc fait partie du clan, Brun, tu l’as accepté. Je t’en supplie, Brun, protège-le. Tu le peux. Ne laisse pas Broud lui faire du mal !