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Ce geste affectueux ébranla profondément Creb. Il résista au désir de lui rendre son étreinte car il était impensable qu’on le vît embrasser cette étrange fillette hors des limites du foyer familial. Mais il la laissa presser sa petite joue ferme et douce contre son visage broussaillant de barbe avant de se dégager.

Creb ramassa son bâton et s’en aida pour se relever. Comme il s’éloignait, il songea à l’enfant. Je vais lui apprendre à parler et à communiquer correctement, se promit-il. Je ne vais tout de même pas confier son éducation à une femme. Il ne pouvait se cacher cependant que son véritable désir était de passer davantage de temps avec l’enfant. Sans en être vraiment conscient, il la considérait déjà comme un membre à part entière du clan.

Quant à Brun, il n’avait pas réfléchi aux conséquences que pourrait avoir la permission donnée à Iza de recueillir une enfant étrangère. Toutefois, il ne pensait pas avoir commis une erreur. Comment aurait-il pu prévoir qu’ils trouveraient sur leur route une fillette blessée n’appartenant pas à la race du Clan ? Grâce aux soins d’Iza, l’enfant était maintenant hors de danger, mais pouvait-il la chasser sans se heurter à Iza qui, bien qu’elle n’eût aucun pouvoir personnel, comptait maints alliés invisibles parmi les esprits ? Et voilà que Creb à son tour, le Mog-ur, homme écouté de tous les esprits, semblait manifestement séduit par la petite. Brun n’avait nulle envie de se mesurer à si forte partie. En outre, il ne s’en était pas encore fait la réflexion, mais le clan, avec l’enfant, comptait maintenant vingt et un membres.

Le lendemain matin, en examinant la jambe d’Ayla, la guérisseuse constata une nette amélioration de son état. Grâce à ses soins avisés, l’infection s’était à peu près résorbée et les quatre sillons parallèles se refermaient peu à peu en s’atténuant, même s’il en resterait à jamais des cicatrices. Iza considéra comme inutile le renouvellement de l’emplâtre mais elle prépara néanmoins une infusion d’écorce de saule. Avec son aide, Ayla essaya de se lever. Elle grimaça de douleur en s’appuyant sur sa jambe blessée mais, au bout de quelques pas, elle eut moins mal.

Une fois debout, la fillette se révéla encore plus grande que ne le pensait Iza. Ses jambes fines, droites et fuselées où pointaient des genoux arrondis incitèrent la guérisseuse à croire qu’elles étaient déformées, car tous ceux du Clan avaient les membres inférieurs fortement arqués. Mais à part une légère claudication, l’enfant ne semblait guère éprouver de difficultés à marcher. Comme les yeux bleus, les jambes droites devaient être une caractéristique normale chez les Autres, se dit Iza.

La guérisseuse enveloppa Ayla dans la couverture et la hissa sur sa hanche au moment du départ ; elle n’était pas suffisamment guérie pour marcher normalement mais, de temps à autre, Iza la laissait faire quelques pas toute seule. La fillette montrait un appétit féroce, et Iza constata qu’elle avait pris du poids, car elle était plus lourde à porter. Et c’est avec soulagement qu’elle la déposait par terre, d’autant que le chemin devenait de plus en plus pénible.

Le clan abandonna derrière lui la vaste étendue des steppes pour traverser une contrée vallonnée qui fit bientôt place à d’abruptes montagnes dont les sommets enneigés se rapprochaient sensiblement chaque jour. Si d’épaisses forêts croissaient sur les pentes, ce n’étaient plus les conifères de la forêt boréale mais des arbres aux troncs noueux et aux larges feuilles caduques. La température s’était réchauffée bien plus vite que ne le laissait présager la saison, à la grande surprise de Brun. Les hommes avaient troqué leur fourrure contre un pagne court en cuir, laissant le torse nu. Les femmes n’avaient pas changé de vêtements, trouvant plus commode de porter leurs ballots vêtues de peaux pour se protéger des frottements.

Le paysage n’avait rien de commun avec la froide prairie qui entourait leur ancienne caverne. Iza dut recourir de plus en plus souvent à ses connaissances ancestrales tandis que le clan traversait les vallées ombreuses et les collines boisées. L’écorce brun foncé des chênes, des hêtres, des pommiers et des érables alternait avec celle plus tendre et plus souple des saules, des bouleaux, des peupliers, des aulnes et des noisetiers. L’air avait une senteur particulière qui semblait portée par une douce brise tiède en provenance du sud. Des chatons pendaient encore aux branches feuillues des bouleaux. Des pétales fragiles tombaient en pluie rose et blanche, promesse précoce d’un automne fructueux.

Ils cheminaient avec difficulté à travers des sous-bois denses, d’où ils ne sortaient que pour longer des pentes ravinées par les eaux et le soleil. Quand ils franchissaient une arête, les collines autour d’eux offraient à leur vue une formidable palette de verts. Avec l’altitude les sapins argentés réapparaissaient, tachés plus haut du bleu des épicéas. Le vert sombre des conifères se mêlait au véronèse des arbres à feuilles caduques et au vert amande d’autres espèces à petites feuilles. Les mousses et les herbes ajoutaient leurs teintes à la mosaïque des oxalides[3], de l’oseille sauvage et des succulentes accrochées aux roches. Les fleurs sauvages mouchetaient les sous-bois du blanc des trilliums[4], du bleu des violettes, du rose pâle des aubépines, tandis que le jaune des jonquilles et le bleu et jaune des gentianes dominaient dans les prairies de montagne. Dans les rares endroits préservés de l’ardeur du soleil, les dernières anémones dressaient comme un défi leurs têtes blanches.

Le clan décida de faire halte après avoir atteint le sommet d’un escarpement. Au-dessous, le paysage ondoyant des collines s’interrompait brusquement devant les steppes qui s’étendaient jusqu’à l’horizon. De leur poste d’observation, les hommes pouvaient distinguer de nombreux troupeaux pâturant dans les hautes herbes dont le vert commençait déjà à jaunir au soleil de l’été. Des chasseurs se déplaçant rapidement, débarrassés des femmes lourdement chargées, pourraient fort bien gagner ces étendues herbeuses en moins d’une matinée et y choisir leurs proies parmi une grande variété de gibier. Le ciel était encore dégagé vers l’est, au-dessus de la vaste prairie, mais de gros nuages noirs menaçants arrivaient du sud. Ils ne tarderaient pas à rencontrer la chaîne de montagnes et à éclater en orages sur le clan.

Brun et ses hommes tenaient conseil, à l’écart des femmes et des enfants qui, cependant, à leurs airs préoccupés et à leurs gestes, comprirent vite ce qui les tourmentait. Ils se demandaient en effet s’ils ne seraient pas plus avisés de rebrousser chemin. Non seulement la région leur était totalement inconnue, mais ils s’éloignaient beaucoup trop des steppes à leur goût. Certes ils avaient entraperçu de nombreux animaux dans les bois au pied des collines, mais ce n’était rien par comparaison avec les superbes troupeaux engraissés dans les riches herbages des plaines. Il était infiniment plus facile de chasser le gibier à découvert qu’à l’abri des épaisses forêts où les prédateurs eux aussi vivaient dissimulés. Les animaux des plaines avaient un instinct grégaire qui les poussait à vivre en hardes et non en solitaires ou en petits groupes, comme c’était le cas des espèces de la forêt.

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3

Herbe riche en acide oxalique, dont la multiplication par bulbes et tubercules est fréquente, et parfois cultivée pour ses fleurs ornementales. (NScan)

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4

Le nom « Trillium » viendrait peut-être du suédois « trilling », triplet. Les différentes parties de la plantes sont en effet ternaires. Les fleurs qui apparaissent au printemps ont une odeur plus ou moins prononcée, souvent fruitée ou épicée. (NScan)