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Grod, la torche haut levée, et Brun, brandissant sa massue, prêt à toute éventualité, disparurent dans la faille obscure. Ils suivirent en silence un étroit passage qui tourna brusquement et déboucha soudain dans une seconde caverne. Au fond de celle-ci, plus petite que la précédente et presque circulaire, ils découvrirent un amoncellement d’ossements que la lueur de la torche parait de reflets d’ivoire. Brun s’avança pour voir de plus près et, les yeux écarquillés, fit un signe à Grod. Les deux rebroussèrent chemin.

Appuyé sur son bâton, Mog-ur attendait, inquiet. Lorsque Brun et Grod débouchèrent du passage, il remarqua avec surprise l’agitation inaccoutumée du chef. Sur un geste de lui, Creb suivit les deux hommes à l’intérieur de la faille. En arrivant dans la grotte secondaire, Grod leva sa torche, et le sorcier étrécit les yeux en découvrant la pile d’ossements. Il s’en approcha avec impatience et, se laissant choir à genoux, il se mit à fouiller. Il aperçut dans le tas un grand objet oblong. Il le tira. C’était un crâne.

Il n’y avait aucun doute possible. Le crâne au front fortement arqué était absolument identique à celui que Mog-ur transportait dans ses affaires. Le sorcier s’assit par terre et, soulevant le lourd crâne à hauteur de ses yeux, plongea son regard dans les deux orbites noires avec un mélange d’incrédulité et de respect. Ursus lui-même avait séjourné dans cette caverne. A en juger par la quantité d’ossements, les ours des cavernes avaient passé plusieurs hivers en ces lieux. Mog-ur comprenait enfin l’excitation de Brun. Que le Grand Ours des Cavernes eût hiberné dans cette grotte, il ne pouvait y avoir de meilleur présage. L’essence de la puissante créature que le Peuple du Clan vénérait entre toutes imprégnait la roche même. Chance et protection étaient assurées au clan qui y résiderait. A en juger par l’âge des ossements, la grotte était manifestement inhabitée depuis des années, attendant seulement qu’ils la découvrent.

C’était une caverne parfaite, bien située, spacieuse, pourvue d’un réduit idéal pour y célébrer les rites secrets du Clan. Mog-ur imaginait déjà les cérémonies. La petite grotte serait son domaine réservé. Leur quête était enfin terminée, leur clan avait trouvé une demeure, à condition que la première chasse soit fructueuse.

Lorsque les trois hommes quittèrent la caverne, le soleil brillait dans le ciel tandis que le vent chassait rapidement les derniers nuages. Brun y vit un heureux présage ; mais il aurait également trouvé de bon augure le plus formidable déluge, tant sa satisfaction était grande. De la terrasse à l’entrée de la caverne, il regarda le panorama qui s’étendait à ses pieds. Devant lui, dans l’échancrure de deux collines brillait une vaste étendue d’eau, et il comprit alors la raison de la douceur du climat et du changement de la végétation.

La caverne se trouvait au pied d’une chaîne de montagnes située à l’extrémité sud d’une péninsule qui avançait dans une mer intérieure. La péninsule était reliée en deux points au continent, au nord par une large bande de terre, et à l’est par une langue étroite de marais salants faisant la jonction avec la région des hautes montagnes. Les marais les séparaient également d’une autre mer intérieure, plus petite, située au nord-est.

Les montagnes dans leur dos protégeaient la bande côtière des grands vents froids venus du glacier continental au nord. Les vents maritimes apportaient assez d’humidité et de chaleur pour que se développent les essences forestières à feuilles caduques communes aux climats tempérés.

Le site de la caverne était vraiment idéal. Non seulement la température y était plus élevée que n’importe où alentour, mais on y trouvait du bois en abondance pour affronter sans crainte les rigueurs de l’hiver.

La grande mer proche pourvoirait poissons et crustacés et les falaises le long du rivage abritaient des colonies d’oiseaux marins et leurs œufs. La forêt tempérée était un paradis pour qui savait y cueillir les fruits, les noix, les baies, les graines et les gousses des légumineuses. Les sources et ruisseaux constituaient une réserve d’eau fraîche inépuisable. Mais le principal avantage résidait dans la proximité des steppes dont les verts pâturages engraissaient d’importants troupeaux de ruminants qui fourniraient non seulement de la viande mais aussi des peaux pour les vêtements et des os pour l’outillage. Le petit clan qui vivait de la chasse et de la cueillette dépendait de la terre, et cette terre à leurs pieds déployait toute son abondance.

Comme il s’en retournait vers le clan qui attendait impatiemment, Brun regardait à peine où il posait les pieds. Il n’aurait su imaginer caverne plus parfaite. Les esprits protecteurs étaient revenus, pensait-il. Peut-être ne les avaient-ils jamais abandonnés, peut-être désiraient-ils simplement que le clan s’en aille, pour s’installer ici, dans cette grotte plus grande, plus avantageuse. Il n’y avait pas d’autre explication ! Les esprits s’étaient lassés de leur ancienne caverne, ils en voulaient une nouvelle, et ils avaient déclenché un tremblement de terre pour les obliger à partir. Peut-être avaient-ils également besoin parmi eux de ceux et celles qui avaient perdu la vie dans le séisme. Ils m’ont mis à l’épreuve, songea-t-il encore. Voilà pourquoi j’étais incapable de décider si nous devions ou pas rebrousser chemin. Brun était heureux que sa qualité de chef n’ait pas été prise en défaut. Si cela n’avait pas été contraire à sa position, il aurait pris le pas de course pour annoncer la bonne nouvelle à son clan.

Lorsque les trois hommes réapparurent, il leur fut inutile d’informer les autres qu’ils étaient arrivés au terme de leur voyage. Tout le monde le savait déjà. Iza, la seule avec Ayla à avoir vu la caverne, n’avait jamais douté que Brun en prendrait possession. Et à présent, pensait-elle, il ne pourrait plus exiger le départ d’Ayla. Sans elle, il aurait décidé de rebrousser chemin. Le totem de l’enfant est décidément aussi puissant que bénéfique et la chance qu’il apporte avec lui s’étend aux membres de notre clan. Iza considéra la fillette à côté d’elle, inconsciente de l’enthousiasme dont elle était indirectement la cause. Mais si la chance était avec elle, pourquoi avait-elle perdu ses parents et ceux de sa race ? Iza secoua la tête d’un air perplexe. Décidément, les voies des esprits étaient impénétrables.

Brun aussi pensait à l’enfant et il reconnaissait en son for intérieur qu’Iza n’aurait jamais découvert la caverne si elle ne s’était mise à la recherche d’Ayla. Il avait été contrarié quand il avait vu la petite s’éloigner du groupe, alors qu’il avait donné l’ordre d’attendre. Mais sans l’indiscipline de l’enfant, la grotte leur serait restée cachée. Pourquoi les esprits avaient-ils guidé les pas de la fillette ? Comme toujours, Mog-ur avait raison. Les esprits ne désavouaient pas la pitié d’Iza ni la présence d’Ayla parmi eux. On pouvait même dire que cette dernière avait leur faveur.

Brun jeta un regard à l’homme estropié qui aurait dû devenir chef à sa place. Nous avons bien de la chance que mon frère soit notre mog-ur. C’est étrange, se dit-il, car cela fait si longtemps que je n’ai pas pensé à lui comme étant mon frère. Quand Brun était jeune et qu’il s’efforçait d’acquérir le courage et le sang-froid qu’on attendait de celui destiné à être chef, la présence de son frère lui avait été d’un grand secours. Creb était l’aîné, et il avait son propre combat à mener contre son infirmité et les douleurs physiques et morales qu’elle lui valait, mais rien de ce qui pouvait tourmenter Brun ne lui échappait. Que son jeune frère eût le moindre doute quant à ses capacités à commander et à donner l’exemple, Creb était là, à ses côtés, présence silencieuse mais rassurante et pleine de compréhension.