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— Je peux toujours essayer. Je demanderai à Ursus de m’aider. Les esprits savent se faire comprendre, Brun. Si elle doit appartenir au clan, son totem me le fera savoir.

Brun réfléchit un instant aux paroles de Mog-ur.

— Même si tu découvres son totem, quel chasseur voudra d’elle plus tard ? Iza et son enfant représentent déjà une charge assez lourde et les chasseurs ne sont pas nombreux parmi nous. Le compagnon d’Iza n’est pas le seul à avoir péri dans le tremblement de terre. Le fils de Grod a été tué ; c’était un chasseur jeune et fort. Le compagnon d’Aga n’est plus, il l’a laissée avec deux enfants et sa vieille mère à nourrir. Quant à Oga, poursuivit Brun avec émotion, elle a perdu le compagnon de sa mère, mort encorné par un mouflon, puis sa mère dans l’éboulement de la caverne. Dans quelque temps, je la donnerai à Broud, ce qui lui fera plaisir. Tu vois que les hommes ont déjà suffisamment de bouches à nourrir sans se charger en plus de cette étrangère, Mog-ur. Si je l’accepte dans le clan, à qui vais-je donner Iza ?

— A qui comptais-tu la donner, de toute façon, Brun ? dit le sorcier. (Mais avant que le chef, mal à l’aise, ait pu lui répondre, il enchaîna :) Iza et l’enfant ne seront un fardeau pour aucun chasseur, Brun. Je m’occuperai d’elles.

— Toi !

— Et pourquoi pas ? Ce sont deux femmes. Pour le moment du moins, il n’y a aucun garçon à éduquer. Ma position de mog-ur m’autorise à recevoir une part de toutes les chasses, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais réclamé mon dû, car je n’en ai jamais eu besoin, mais aujourd’hui, je peux le faire. Ne serait-il pas beaucoup plus simple que tous les chasseurs me remettent la part qui revient de droit au mog-ur pour qu’ainsi je subvienne aux besoins d’Iza et de la fillette, plutôt que de charger l’un d’eux de s’occuper d’elles ? J’avais l’intention de te faire part de mon désir de fonder un foyer avec Iza dès que nous aurions trouvé une nouvelle caverne, à moins qu’un autre homme ne la désire, naturellement. Voilà des années que je partage le feu de ma sœur ; il me serait pénible de voir cette situation changer. En outre, Iza soulage mes rhumatismes. Si son enfant est une fille, je la prendrai également avec moi. Si c’est un garçon, eh bien, nous verrons à ce moment-là...

L’idée fit son chemin dans l’esprit de Brun. Elle ne lui déplaisait pas vraiment. Cela arrangerait tout le monde, en effet. Mais pourquoi Creb voulait-il cela ? se demanda-t-il. Iza s’occuperait de lui et de ses maux, quel que soit l’homme dont elle partagerait le feu. Pourquoi un homme de son âge tiendrait-il soudain à s’entourer d’enfants ? Pourquoi ce désir d’éduquer une petite fille étrangère à sa propre race ? Peut-être Creb se sentait-il responsable de cette enfant. Brun n’aimait pas trop l’idée d’intégrer la fillette dans le clan, mais il lui déplaisait encore plus de la voir vivre hors des règles et échapper à son autorité. Mais si Creb se chargeait de son éducation et qu’il lui apprenait à se comporter comme il se doit, son intégration serait moins problématique. Non, Brun ne voyait pas de raison de refuser à Mog-ur ce que ce dernier lui réclamait.

— D’accord, répondit-il avec un geste d’acquiescement. Si tu parviens à découvrir son totem, Mog-ur, nous accepterons la fillette dans le clan et elle pourra vivre avec Iza dans ton foyer, au moins jusqu’à la naissance de l’enfant.

Et, pour la première fois de sa vie, Brun se surprit à souhaiter qu’un enfant à naître soit une fille plutôt qu’un garçon.

Une fois sa décision prise, Brun se sentit soulagé. Le devenir d’Iza le préoccupait depuis des jours, sans qu’une solution ne se manifeste, du moins dans l’immédiat. Ce problème à présent résolu, il allait pouvoir se consacrer à des tâches plus importantes. La proposition de Creb avait en outre l’avantage de résoudre un problème personnel. En effet, depuis que le compagnon d’Iza avait trouvé la mort dans l’éboulement de l’ancienne caverne, Brun ne voyait pas comment il pourrait faire autrement que de prendre Iza et son enfant à naître, ainsi que Creb, dans son propre foyer. Or, il avait déjà la responsabilité de Broud et d’Ebra, et également d’Oga. Aussi la perspective de deux bouches supplémentaires, plus une autre à venir, aurait inévitablement créé des tensions autour de son feu, le seul endroit où il pouvait se détendre et oublier un instant sa tâche de chef de clan. Et puis cela n’aurait certainement pas plu à sa compagne, Ebra.

Celle-ci s’entendait bien avec Iza, mais de là à l’accueillir dans son foyer... Sans que rien n’ait jamais été exprimé à ce sujet, Brun savait qu’Ebra jalousait la position d’Iza. Compagne du chef, Ebra aurait occupé le rang le plus haut parmi les femmes dans tout autre clan. Mais Iza descendait directement d’une lignée de guérisseuses qui étaient les plus renommées parmi tous les clans, et elle ne devait sa situation élevée qu’à elle-même. Quand Iza avait recueilli la fillette, Brun avait pensé qu’il faudrait également prendre cette enfant en charge. Il ne lui était pas venu à l’idée que Mog-ur lui en demande la garde, ni qu’il requière la présence d’Iza. Creb ne pouvait chasser mais il avait bien d’autres ressources.

Ce problème résolu, Brun se hâta de rejoindre le clan qui attendait impatiemment de son chef la confirmation de ce qu’ils avaient tous deviné.

— Notre voyage est terminé, annonça-t-il d’un geste bref. Nous avons trouvé une caverne.

— Iza, dit Creb à la femme qui préparait une décoction d’écorce de saule pour Ayla. Je ne mangerai pas ce soir.

Iza inclina la tête pour signifier qu’elle avait compris. Elle savait qu’il allait méditer pour se préparer à la cérémonie. Il ne mangeait jamais avant de méditer.

Le clan campait près du cours d’eau au pied de la pente douce menant à la caverne, dans laquelle ils s’installeraient seulement quand elle aurait été consacrée selon le rituel établi. Bien qu’il ne fût pas convenable de faire preuve d’impatience, chacun trouvait quelque prétexte pour s’en approcher et jeter un coup d’œil à l’intérieur. Les femmes s’obstinaient à ramasser du bois mort près de l’entrée, et les hommes, sous couvert de veiller sur elles dans cette contrée inconnue, leur emboîtaient le pas. Le soulagement était grand dans le clan après tous ces jours d’angoisse qui avaient suivi le tremblement de terre. La nouvelle caverne, tout au moins ce qu’ils pouvaient en voir depuis ses abords, leur plaisait. Elle leur paraissait beaucoup plus spacieuse que celle qu’ils avaient perdue. Les femmes désignaient avec satisfaction la petite mare tout près de l’entrée. Elles n’auraient pas à descendre jusqu’à la rivière pour aller chercher de l’eau. Elles attendaient avec impatience que se déroule la cérémonie consacrant la caverne, l’un des rares rites auxquels elles avaient le droit de participer.

Mog-ur quitta le campement affairé. Il désirait trouver un endroit tranquille où il pourrait réfléchir sans être dérangé. Il suivit la berge de la rivière dont les eaux vives se jetaient beaucoup plus bas dans la mer intérieure. Une brise tiède soufflait de nouveau du sud. Seuls quelques nuages blanchissaient au loin le ciel clair de cette fin d’après-midi. La végétation était dense des deux côtés du cours d’eau, et il contournait machinalement les obstacles, plongé qu’il était dans ses réflexions. Un bruit dans un taillis devant lui le fit s’arrêter net. Il était en terrain inconnu, et il n’avait que son lourd bâton pour se défendre, mais la puissance de son bras valide en faisait une arme redoutable. Il le brandit au-dessus de lui, à l’affût des grognements et des mouvements agitant les buissons devant lui.

Soudain, un animal surgit de l’écran de verdure, son corps robuste supporté par de courtes pattes trapues. Des canines pointues se dressaient comme des défenses, de chaque côté de son groin. Quoique Creb n’en eût encore jamais rencontré le nom de la bête lui revint en mémoire. Un sanglier. Le porc sauvage le regarda d’un air belliqueux en grattant le sol, puis se détourna et disparut dans l’épaisseur des fourrés. Creb poussa un soupir de soulagement et reprit son chemin. Parvenu auprès d’un banc de sable étroit, il déplia sa couverture, y déposa le crâne de l’ours des cavernes et s’assit en lui faisant face. Il exécuta les gestes rituels, requérant l’assistance d’Ursus, puis chassa de son esprit toutes les préoccupations qui ne concernaient pas exclusivement les enfants dont il devait découvrir le totem.