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Elle se réveilla en hurlant !

La planète était toujours en effervescence, et un lointain grondement montant des profondeurs de la terre la plongea dans une terreur sans nom. Elle se leva d’un bond, prête à fuir, mais elle avait beau écarquiller les yeux, tout était noir autour d’elle. Pendant un instant, ne se rappelant plus où elle se trouvait, elle se demanda avec une folle angoisse pourquoi elle ne voyait plus rien. Où étaient les bras aimants qui avaient toujours été là pour la réconforter quand un cauchemar la réveillait en sursaut la nuit ? Et puis, lentement, la mémoire lui revint et, tremblante de peur et de froid, elle s’enfouit de nouveau dans sa couche d’aiguilles de pin. L’aube grisaillait quand le sommeil l’emporta à nouveau.

La matinée était déjà bien avancée quand elle ouvrit les yeux, mais l’ombre épaisse du sous-bois l’empêchait de s’en rendre compte. La veille, elle s’était écartée de la rivière à la tombée de la nuit, et un instant la panique la saisit quand elle se vit entourée d’arbres.

La soif lui rappela la proximité du cours d’eau qu’elle entendait cascader. Elle se laissa conduire par le bruit et retrouva la rivière avec un immense soulagement. Elle était aussi perdue sur cette rive boueuse que dans la forêt, mais elle se sentait rassurée de pouvoir suivre une voie toute tracée qui lui permettait d’étancher sa soif tant qu’elle la longerait. Si la veille l’eau avait suffi à la rassasier, il n’en était plus de même à présent, et la faim commençait à la tarauder.

Elle savait que certaines plantes ou racines étaient bonnes à manger, mais elle ignorait lesquelles. La première feuille qu’elle goûta était amère et lui piqua la langue. Elle la recracha et se rinça la bouche. Cette expérience malheureuse la rendit hésitante et elle préféra boire encore un peu pour calmer sa faim, puis elle se remit en route, en suivant la rive. La pénombre de la forêt dense lui semblait menaçante, et elle ne tenait pas à s’écarter de la rivière éclaboussée de soleil. Quand la nuit tomba, elle ne s’aventura pas plus loin que la lisière des bois et se terra de nouveau sous une épaisse couche d’aiguilles de pin.

Sa deuxième nuit solitaire ne fut qu’une répétition plus douloureuse encore de la première. La peur et la faim étaient ses seules compagnes. Sa détresse était telle qu’elle se mit à chasser de sa mémoire le souvenir du tremblement de terre et de sa propre existence avant qu’il ne la bouleverse. Mais elle se garda également de penser au lendemain si chargé de menaces.

Quand, au matin, elle se remit en route, elle concentra son attention sur l’instant, sur le prochain obstacle à franchir, le prochain affluent à traverser, le prochain tronc d’arbre abattu à escalader. Suivre la rivière devint une fin en soi, non parce que cela la conduirait quelque part, mais parce que c’était pour elle la seule façon de se donner un but, un objectif, une ligne de conduite. Cela valait mieux que de rester inactive.

Peu à peu la faim se transforma en une douleur sourde et obsédante. Elle pleurait de temps à autre tout en cheminant, et ses larmes traçaient des sillons brillants sur son visage sale. Son petit corps nu était maculé de poussière et de boue, et ses cheveux, autrefois blonds et soyeux, étaient tout emmêlés, remplis d’aiguilles de pin, de brindilles et de terre.

Sa progression s’avéra plus difficile lorsque la forêt de conifères fit place à une végétation plus rase, où dominaient d’épais taillis, de hautes herbes et des graminées, un sol caractéristique des zones couvertes d’espèces à petites feuilles caduques. Il pleuvait par intermittence, et elle se mettait alors à l’abri d’un tronc d’arbre abattu, d’un gros rocher ou d’un affleurement en surplomb, quand elle ne continuait pas son chemin sous la pluie, pataugeant dans la boue. La nuit venue, elle se fit un lit de feuilles sèches dans lequel elle se blottit pour dormir.

Les grandes quantités d’eau qu’elle buvait réduisaient en l’hydratant le risque d’hypothermie, mais elle était très affaiblie. Elle ne sentait même plus sa faim, seulement un tiraillement au creux de l’estomac et, de temps à autre, quelques vertiges. Elle s’efforça de ne plus y penser, de ne plus penser à rien, si ce n’est au courant, à suivre le courant.

Le soleil qui pénétrait le lit de feuilles la tira de son sommeil. Elle quitta son petit abri tiède et douillet pour aller boire à la rivière, le corps encore couvert de brindilles. Un beau ciel bleu et un soleil resplendissant avaient heureusement remplacé les pluies de la veille. Après avoir marché un moment, la fillette s’aperçut que la rive qu’elle suivait s’élevait progressivement, et lorsqu’elle décida de se désaltérer à nouveau, un fort escarpement la séparait de l’eau. Elle descendit la pente avec les plus grandes précautions, mais son pied glissa et elle roula jusqu’en bas.

Égratignée et endolorie, elle se retrouva dans la boue au bord du courant, trop fatiguée, trop faible et trop malheureuse pour faire un mouvement. De grosses larmes ruisselaient le long de ses joues et ses gémissements plaintifs dominaient le bouillonnement des eaux vives. Mais personne ne vint à son secours. Secouée par les sanglots, elle donna libre cours à son désespoir. Elle n’avait plus envie de se relever, elle ne voulait plus continuer.

Quand elle eut cessé de pleurer, elle resta prostrée dans la boue jusqu’au moment où une racine qui lui labourait douloureusement les côtes et un goût de terre dans sa bouche la décidèrent à se lever. Elle vacilla légèrement, une fois debout, et s’en fut d’un pas incertain étancher sa soif. L’eau fraîche la revigora quelque peu, et elle ne tarda pas à se mettre en marche, se frayant courageusement un chemin à travers les branches et les souches d’arbres, pataugeant au bord de la rivière qui, déjà gonflée par les pluies printanières, avait doublé de volume en recevant ses affluents.

Elle entendit un grondement dans le lointain, bien avant d’apercevoir l’impressionnante cataracte qui déferlait à la confluence de la rivière et d’un autre cours d’eau. Plus loin, les courants rapides se jetaient sur les rochers avant de s’enfoncer dans les plaines verdoyantes des steppes.

A première vue, son chemin lui parut bloqué par la chute d’eau déferlant dans un bruit assourdissant au milieu d’un nuage de gouttelettes, mais en se rapprochant, elle remarqua qu’une étroite corniche courait derrière la chute au pied de la falaise érodée par le ruissellement. Elle considéra longuement le passage qui lui permettrait peut-être de franchir l’obstacle, puis, rassemblant tout son courage, elle s’engagea prudemment sur la corniche en s’agrippant des deux mains à la roche mouillée pour ne pas glisser. Le bruit était terrifiant, et vertigineux le déversement incessant de l’eau.

Elle était presque arrivée de l’autre côté quand la saillie sur laquelle elle avançait s’étrécit de plus en plus et se fondit dans la paroi abrupte. Elle fut obligée de revenir sur ses pas. Quand elle eut regagné son point de départ, elle contempla les flots impétueux et décida de les affronter. Il n’y avait pas d’autre solution.

L’eau était froide et les courants violents. Elle s’avança dans la rivière, fit quelques brasses et se laissa porter au-delà de la chute jusqu’à la rive opposée du cours d’eau que ce large affluent avait considérablement grossi. La nage avait ajouté à sa fatigue mais, sur le moment, elle se sentit ravigotée par la fraîcheur de l’eau.

La température était étonnamment élevée en cette fin de printemps, et lorsque les arbres et les arbustes firent place à la prairie, l’ardeur du soleil se révéla fort agréable. Mais à mesure qu’il s’élevait dans le ciel, ses rayons brûlants prélevèrent leur tribut sur les maigres forces qui restaient à l’enfant. Au cours de l’après-midi, elle eut le plus grand mal à suivre la bande de sable qui courait entre la rivière et une falaise escarpée. La surface miroitante de l’eau réverbérait le vif éclat du soleil et la roche calcaire gorgée de chaleur l’éblouissait de sa blancheur.