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— Je te suis éperdument reconnaissant.

— Je note l’adverbe.

Berko note aussi que Landsman a pleuré ; un de ses sourcils se lève, reste en suspens, puis redescend lentement comme une nappe se posant sur une table.

— Bébé va bien ? demande Landsman.

— Les dents.

Berko décroche un cintre d’une patère fixée au recto de la porte de la chambre. Sur le cintre sont suspendus les vêtements de Landsman, propres et brossés. Berko palpe la poche du blazer de Landsman et en sort une pochette d’allumettes. Puis il vient se planter devant le lit et tend les papiros et les allumettes.

— Honnêtement, je n’ai aucune idée de ce que je fais ici, déclare Landsman.

— C’est une idée d’Ester-Malke, elle connaît ton amour des hôpitaux. Ils ont dit que tu n’avais pas besoin de rester.

— Assieds-toi.

Il n’y a pas de chaise dans la pièce. Landsman se pousse de côté ; Berko s’installe sur le bord du lit, déclenchant l’alarme chez les ressorts.

— Ça t’est vraiment égal si je fume ?

— Pas vraiment, non. Va près de la fenêtre.

Landsman bascule hors du lit. En remontant le store de bambou, il est surpris de voir qu’il tombe des cordes. L’odeur de la pluie pénètre par l’entrebâillement de cinq centimètres de la fenêtre, ce qui explique le parfum des cheveux de Bina dans son rêve. Baissant les yeux vers le parking de l’immeuble, Landsman remarque que la neige a fondu sous les trombes d’eau. La lumière le déconcerte aussi.

— Quelle heure est-il ?

— Quatre heures trente… deux, répond Berko sans consulter sa montre.

— Quel jour est-on ?

— Dimanche.

Landsman ouvre complètement la fenêtre et pose la fesse gauche sur le rebord. La pluie tombe sur sa tête endolorie. Il allume sa papiros, inhale à fond la fumée et tente de décider si cette information le dérange ou non.

— Il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé, dit-il. De dormir toute une journée.

— Tu devais en avoir besoin, observe platement Berko. – Puis, après un regard oblique en direction de Landsman : À propos, juste pour information, c’est Ester-Malke qui t’a enlevé ton pantalon.

Landsman secoue la cendre de sa cigarette par la fenêtre.

— On m’a tiré dessus.

— Égratigné. Les toubibs ont dit que c’était comme une brûlure, ils n’ont pas eu besoin de recoudre.

— Ils étaient trois. Rafaël Zilberblat, un mickey que j’ai pris pour son frère et une poule. Le frère m’a piqué ma voiture, mon portefeuille, ma plaque et mon sholem. Je suis resté en rade là-bas.

— C’est ainsi que les faits ont été reconstitués.

— J’ai voulu appeler au secours, mais le petit Yid à face de rat m’a subtilisé aussi mon shofar.

La mention du téléphone de Landsman fait sourire Berko.

— Quoi ? demande Landsman.

— Alors ton mickey roule tranquillement. Sur l’Ickes Highway, en route vers Yakobi, Fairbanks, Irkoutsk.

— Oui, oui.

— Ton téléphone sonne, ton mickey répond.

— Et c’est toi ?

— Bina.

— Ça, ça me plaît.

— Deux minutes au téléphone avec le Zilberblat, et elle obtient ses coordonnées, son signalement, le nom de son chien quand il avait onze ans. Deux latkès le ramassent cinq minutes plus tard devant Krestov. Ta voiture t’attend, ton portefeuille contenait toujours son argent.

Landsman feint de s’intéresser à la manière dont la braise transforme le tabac sec en flocons de cendre.

— Et ma plaque et mon arme ? s’inquiète-t-il.

— Ah !

— Ah !

— Ta plaque et ton arme sont actuellement entre les mains de ton officier supérieur.

— A-t-elle l’intention de me les rendre ?

Berko tend le bras pour lisser le creux que Landsman a laissé à la surface du lit.

— J’étais en service commandé, reprend Landsman dont la voix semble geignarde même à ses propres oreilles. J’ai eu un tuyau sur Rafi Zilberblat. – Il hausse les épaules et passe ses doigts sur le bandage de sa nuque. – Je voulais juste discuter avec le Yid.

— Tu aurais dû m’appeler d’abord.

— Je ne voulais pas te déranger un dimanche.

Ce n’est pas une excuse, et elle se révèle encore plus boiteuse que ne s’y attendait Landsman.

— Nu, je suis un con, reconnaît Landsman. Et un mauvais policier en plus.

— Règle numéro un.

— Je sais. J’ai eu juste envie d’agir sans attendre. Je ne pensais pas que les choses allaient tourner ainsi.

— Quoi qu’il en soit, reprend Berko, le mickey, le petit frère, s’appelle Willy Zilberblat. Il a avoué au nom de son défunt frère. Oui, il affirme que Rafi a tué Viktor, avec la moitié d’une paire de ciseaux.

— Tu vois ?

— Toutes choses égales d’ailleurs, je dirais que Bina a des raisons d’être contente de toi sur ce coup-là. Tu l’as résolu avec beaucoup d’efficacité.

— La moitié d’une paire de ciseaux…

— N’est-ce pas ingénieux ?

— Simple, au moins.

— Et la poule qui a été traitée si rudement… c’était toi aussi ?

— Oui, c’était moi.

— Bravo, Meyer. – Aucun sarcasme ne transparaît dans la voix ou la physionomie de Berko. – Tu as envoyé une balle à Yacheved Flederman.

— Non, je n’ai pas fait ça !

— Tu as eu une sacrée journée.

— L’infirmière ?

— Nos collègues de l’escouade B sont ravis de tes exploits.

— Celle qui a tué le vieux chnoque… comment s’appelle-t-il ?… Herman Pozner ?

— C’était leur seule affaire non élucidée de l’an dernier. Ils la croyaient au Mexique.

— Merde ! s’exclame Landsman en anglo-américain.

— Tabatchnik et Carpas ont déjà glissé un mot en ta faveur à Bina, à ce que j’ai cru comprendre.

Landsman écrase sa papiros contre le mur extérieur de l’immeuble puis, d’une chiquenaude, envoie le mégot sous la pluie. Tabatchnik et Carpas sont vraiment plus forts que Landsman et Shemets. Sans contestation possible.

— Même quand j’ai du pot, dit-il, ce n’est pas de pot… – Il soupire. – Des échos en provenance de l’île Verbov ?

— Pas un bruit.

— Rien dans les journaux ?

— Pas dans le Licht ni dans le Rut. – Titres des principaux quotidiens des chapeaux noirs. – Aucune rumeur qui me soit revenue. Personne n’en parle, rien, silence radio.

Landsman descend de son rebord de fenêtre pour se diriger vers le téléphone posé sur la table de chevet. Il compose un numéro qu’il a mémorisé il y a des années, pose une question, obtient une réponse, raccroche.

— Les verbovers ont enlevé le corps de Mendel Shpilman tard hier soir.

Pépiant tel un oiseau robot, le téléphone tressaille dans la main de Landsman, qui le tend à Berko.

— Il a l’air en forme, déclare ce dernier au bout d’un moment. Oui, il aura besoin d’un peu de repos, j’imagine. Très bien. – Il abaisse le combiné et le regarde fixement, couvrant le micro avec son pouce. – Ton ex-femme.

— J’entends que tu es en forme, dit Bina à Landsman, une fois celui-ci en ligne.

— C’est ce qu’on me dit, répond Landsman.

— Prends du recul, suggère-t-elle. Change-toi les idées.

La teneur de ses mots met une seconde à arriver jusqu’à lui, son ton est si gentil et si calme.

— Tu ne ferais pas ça, murmure-t-il. Bina, je t’en prie, dis-moi que ce n’est pas vrai.