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— Jésus-Christ, Landsman ! Tu ressembles à un putain de fœtus de cochon mariné que j’ai vu un jour en bocal ! D’une main, il dénoue la lanière tressée et fait glisser sa cape d’un coup d’épaule, puis jette celle-ci à Landsman. L’espace d’un instant, elle est froide comme l’acier sur le corps de ce dernier puis, celui d’après, merveilleusement chaude. Si Dick garde son sourire narquois, à l’intention de Landsman – seul Landsman s’en aperçoit –, il éteint jusqu’à la dernière lueur d’humour de ses yeux.

— J’ai parlé à ton ex-femme, dit-il dans un quasi-chuchotement, la voix qu’il prend pour menacer les suspects et intimider les témoins. Après avoir eu ton message. Merde ! Tu as encore moins le droit d’être ici qu’un putain de rat-taupe africain aveugle. – Il élève la voix de manière presque théâtrale. – Inspecteur Landsman, que vous ai-je dit que j’allais faire à votre cul de Juif la prochaine fois que je vous prendrais à cavaler en territoire indien sans vêtements ?

— Je… je… ne me souviens pas, répond Landsman, pris d’un violent tremblement de gratitude et de froid mêlés. Vous a… avez dit tant de choses !

Dick se dirige vers la Caudillo et frappe à la portière close comme s’il voulait entrer. La portière s’ouvre ; Dick reste planté derrière et discute à voix basse avec celui qui est assis au chaud à l’intérieur. Au bout d’un moment, Dick revient et lance à Gold :

— Le responsable désire vous parler.

Gold contourne la portière restée ouverte pour parler au responsable. À son retour, on dirait qu’on lui a retiré les sinus par les oreilles et qu’il en veut à Landsman pour ça. Il adresse un signe de tête à Dick.

— Inspecteur Landsman, reprend Dick. Merde, je crains fort que vous ne soyez en état d’arrestation.

32.

Au service des urgences de l’hôpital amérindien de St. Cyril, un médecin indien examine Landsman et le déclare apte à la détention. Le médecin, qui s’appelle Rau, vient en réalité de Madras et connaît déjà toutes les blagues d’usage. Il est beau dans le style de l’acteur Sal Mineo : grands yeux d’obsidienne et bouche en forme de rose glacée. Légères gelures, dit-il à Landsman, rien de grave, même si une heure et quarante-sept minutes après son sauvetage, Landsman semble toujours ne pas pouvoir contenir les frissons qui montent de ses vices cachés pour secouer son corps. Il a froid jusqu’à ses alvéoles osseuses.

— Mais où est le grand toutou avec son petit tonneau de cognac autour du cou ? s’exclame Landsman, après que le médecin lui a dit qu’il pouvait enlever sa couverture pour endosser la tenue de détenu qui repose en une pile bien rangée à côté du lavabo. Quand arrive-t-il ?

— Vous aimez tant le cognac ? demande le Dr Rau comme s’il lisait un manuel de conversation et n’éprouvait absolument aucun intérêt pour sa question, ni pour la réponse que Landsman pourrait lui apporter.

Landsman catalogue tout de suite sa réplique comme un classique de l’interrogatoire, si froide qu’elle laisse une brûlure. Le Dr Rau garde les yeux résolument fixés sur un coin vide de la salle.

— Est-ce quelque chose dont vous ressentez le besoin ?

— Qui a parlé de besoin ? réplique Landsman, tâtonnant pour fermer la braguette à boutons d’un pantalon en serge usé.

Chemise de travail en coton, tennis en toile dépourvues de lacets. On veut le déguiser en ivrogne ou en vagabond des plages, ou en quelque autre catégorie de raté qui se présente nu au bureau des admissions, sans domicile fixe ni moyens d’existence connus. Les chaussures sont trop grandes, sinon tout lui va parfaitement.

— Pas d’envie irrépressible ? – Il y a une cendre sur le A du badge du médecin, que celui-ci enlève de l’ongle d’un doigt. – Vous ne ressentez pas le besoin d’un verre en ce moment ?

— Peut-être que j’ai simplement envie d’un verre, répond Landsman. Avez-vous pensé à ça ?

— Peut-être, dit le médecin. Ou peut-être avez-vous une affection particulière pour les gros chiens qui bavent.

— O.K., ça suffit, docteur, lance Landsman. Arrêtons de jouer.

— Très bien. – Le Dr Rau tourne son visage grassouillet vers Landsman, les iris de ses yeux pareils à de la fonte. – En me fondant sur mon examen, je dirais que vous êtes en état de manque, inspecteur Landsman. En plus du froid, vous souffrez de déshydratation, de tremblements, de palpitations, et vos pupilles sont dilatées. Votre taux de sucre sanguin est bas, ce qui m’indique que vous n’avez sans doute rien mangé. La perte d’appétit est un autre symptôme du manque. Votre pression artérielle est élevée et, à ce que je comprends, votre comportement récent semble avoir été complètement erratique, voire violent.

Landsman tire sur les pointes froissées de son col de chemise en chambray pour tenter de les lisser. Elles n’arrêtent pas de remonter, à la manière des stores de fenêtres bon marché.

— Docteur, déclare-t-il, d’un homme aux globes oculaires à rayons X à un autre, je respecte votre finesse d’esprit, mais je vous en prie, dites-moi, si l’Inde devait être supprimée et que, d’ici à deux mois, vous deviez être jeté, avec tous ceux que vous aimez, dans la gueule du loup sans avoir nulle part où aller, ni personne pour vous défendre, et que la moitié du monde venait de passer le dernier millénaire à essayer de massacrer des Hindous, ne pensez-vous pas que vous pourriez vous mettre à boire ?

— À boire ou à divaguer devant des médecins inconnus.

— La viande congelée ne rend pas plus sage le terre-neuve au cognac, rétorque mélancoliquement Landsman.

— Inspecteur Landsman.

— Oui, doc.

— Je vous observe depuis onze minutes et, pendant ce laps de temps, vous avez tenu trois longs discours. Des délires, appellerais-je ça.

— Oui, admet Landsman, à qui le sang monte pour la première fois au visage. Ça m’arrive parfois…

— Vous aimez faire des discours ?

— Ça va, ça vient.

— Des logorrhées.

— J’ai déjà entendu ce terme.

Pour la première fois aussi, Landsman remarque que le Dr Rau mastique discrètement quelque chose entre ses molaires. Une légère odeur d’anis émane de ses lèvres couleur rose fané.

Le médecin inscrit une note sur le diagramme de Landsman.

— Actuellement, voyez-vous un psychiatre ou suivez-vous un traitement contre la dépression ?

— La dépression ? Vous me trouvez déprimé ?

— C’est un mot comme un autre, répond le médecin. Je décèle des symptômes possibles. D’après ce que m’a dit l’inspecteur Dick et aussi d’après mon examen, il ne paraît pas à tout le moins impossible que vous puissiez souffrir d’un désordre émotionnel.

— Vous n’êtes pas la première personne à me dire ça, reconnaît Landsman. Je suis désolé de devoir vous l’annoncer.

— Suivez-vous un traitement ?

— Non, pas vraiment.

— Pas vraiment ?

— Non, je refuse.

— Vous refusez.

— J’ai… vous savez… peur de risquer de perdre mon mordant.