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— Non, dit Berko. – Puis, en élevant le ton : Non.

Il écoute le raisonnement de sa femme un peu moins d’une minute. Landsman ne sait pas ce qu’elle peut lui dire, si elle prêche le sermon de l’éthique professionnelle, du savoir-vivre ou du pardon, ou encore celui du devoir d’un fils envers son père, qui transcende ou précède tous les autres. À la fin, Berko secoue la tête, jette un coup d’œil sur la banquette arrière où est allongé le vieux Juif.

— D’accord.

Il referme son téléphone portable.

— Tu n’as qu’à me déposer à l’hôpital, dit-il, vaincu. Appelle-moi quand tu auras trouvé ce putain de Litvak.

37.

— J’aimerais parler à Katherine Sweeney, dit Bina au téléphone.

Sweeney, l’attorney général adjoint des États-Unis, est une femme sérieuse et compétente, et peut très bien écouter ce pour quoi Bina l’a appelée. Landsman allonge le bras, tend la main à travers le bureau et coupe la communication du bout d’un doigt. Bina le regarde fixement en clignant les paupières avec de grands et lents battements d’ailes. Il l’a prise par surprise. Un exploit rare.

— Ils sont derrière tout ça, déclare Landsman, le doigt encore sur le bouton.

— Kathy Sweeney est derrière tout ça, martèle Bina, gardant le combiné à l’oreille.

— Enfin, non, j’en doute.

— Le bureau de l’attorney de Sitka, alors ?

— Peut-être. Non, probablement pas.

— Mais tu parles bien du département de la Justice ?

— Oui, non, je ne sais pas. Bina, excuse-moi. C’est juste que j’ignore jusqu’où remontent les ramifications.

La surprise a fait long feu ; le regard de Bina est ferme, sans un cillement d’yeux.

— D’accord. Maintenant, tu m’écoutes. Première chose, enlève ton sale doigt velu de mon téléphone.

Landsman retire l’index offensant avant que les rayons laser des yeux de Bina le coupent proprement à hauteur de la deuxième phalange.

— Ne touche pas à mon téléphone, Meyer.

— Plus jamais.

— Si l’histoire que tu m’as racontée est vraie, reprend Bina en maîtresse d’école s’adressant à une classe de crétins âgés de cinq ans, il faut que je parle à Kathy Sweeney. Il faut sans doute aussi que je parle au département d’État. Il faut peut-être même que je saisisse le Département de la Défense.

— Mais…

— Parce que je ne sais pas si tu es au courant, mais la Terre promise ne fait pas partie de ce secteur.

— Je t’en prie, bien sûr. Mais écoute-moi. Un poids lourd, très lourd, s’est introduit dans la base de données de la F.A.A. et a écrasé ce dossier. Le même genre de poids lourd a promis au conseil tlingit qu’il pourrait récupérer le district s’il laissait un peu de temps à Litvak pour réaliser son programme sur Peril Strait.

— C’est Dick qui t’a dit ça ?

— Il l’a insinué très fortement. Et avec tout le respect que je dois aux Lederer de Boca Raton, je suis sûr que le même poids lourd a libellé des chèques pour les aspects clandestins de l’opération. Le camp d’entraînement, les armes et le support logistique, l’élevage bovin. Ils sont derrière tout ça.

— Le gouvernement américain.

— C’est ce que je soutiens.

— Parce qu’en haut lieu ils croient que l’idée d’une bande de Juifs tarés courant dans toute la Palestine arabe, à faire sauter des sanctuaires et à suivre des messies pour déclencher la troisième guerre mondiale, est vraiment une bonne idée.

— Ils sont assez fous pour ça, Bina, tu le sais. Peut-être espèrent-ils la troisième guerre mondiale, peut-être veulent-ils déclencher une nouvelle croisade… Peut-être pensent-ils qu’avec tout ça, ils feront revenir Jésus. Ou ça n’a peut-être aucun rapport, et il s’agit seulement de pétrole, tu sais, pour sécuriser une bonne fois pour toutes leur approvisionnement. Je n’en sais rien.

— Un complot du gouvernement, Meyer.

— Je sais ce que tu penses.

— Poulets parlants et compagnie, Meyer.

— Je suis désolé.

— Tu as promis.

— Je sais.

Elle décroche son téléphone et compose le numéro de l’attorney général adjoint.

— Bina, je t’en prie, raccroche-moi ce téléphone.

— Je t’ai suivi dans un tas de sombres histoires, Meyer Landsman. Sur ce coup, je ne marche pas.

Landsman se dit qu’il ne peut pas lui en vouloir.

Quand elle a Sweeney en ligne. Bina lui raconte les rudiments de l’histoire de Landsman : les verbovers et un groupe de Juifs messianiques se sont ligués pour préparer un attentat contre un important sanctuaire musulman de Palestine. Elle laisse de côté les éléments surnaturels ou qui relèvent de la spéculation. Elle omet aussi les morts de Naomi Landsman et de Mendel Shpilman et réussit à faire paraître l’ensemble juste assez tiré par les cheveux pour être crédible.

— Je vais voir si nous pouvons retrouver la trace de ce Litvak, assure-t-elle à Sweeney. O.K., Kathy. Merci. Je sais, je l’espère.

Bina raccroche. Elle ramasse la boule souvenir sur son bureau, avec sa ligne des toits de Sitka miniatures, la secoue puis regarde tomber la neige. Elle a déménagé tout le reste du bureau : le bric-à-brac, les photos. Il ne reste plus que la boule à neige et ses diplômes encadrés au mur. Un caoutchouc, un ficus et une orchidée rose tachetée de blanc dans un pot en verre glauque. L’ensemble est toujours aussi coquet que le dessous d’un autobus. Bina siège au milieu, sévère dans son nouveau tailleur-pantalon, les cheveux remontés et maintenus en place à grand renfort de pinces métalliques, de chouchous et autres babioles utiles tirées du tiroir de son bureau.

— Elle n’a pas ri, si ? remarque Landsman.

— Ce n’est pas son genre, rétorque Bina. Mais non, elle n’a pas ri. Elle demande un complément d’informations. Pour ce que ça vaut, j’ai eu l’impression que ce n’était pas la première fois qu’elle entendait parler d’Alter Litvak. Elle a dit qu’elle le mettrait bien peut-être en examen si nous parvenions à le localiser.

— Buchbinder, dit Landsman. Le Dr Rudolf Buchbinder. Tu te rappelles l’autre soir, il sortait de la Polar-Shtern au moment où tu entrais.

— Ce dentiste d’en bas d’Ibn Ezra Street ?

— Il m’a dit qu’il s’installait à Jérusalem. J’ai pensé qu’il disait n’importe quoi.

— L’Institut Machin, se souvient-elle.

— Avec un M…

— Myriam.

— Moriah.

Elle interroge son ordinateur et trouve mention de l’Institut Moriah dans l’annuaire des numéros sur liste rouge, au 822 Max Nordau Street, septième étage.

— 822, réfléchit Landsman. Euh…

— Ce n’est pas dans ton bloc ?

Bina compose le numéro de téléphone qu’elle a exhumé.

— Juste de l’autre côté de la rue, acquiesce Landsman, se sentant penaud. L’hôtel Blackpool.

— La routine, dit-elle, interrompant son appel d’une extrémité de doigt pour composer un numéro à quatre chiffres. Gelbfish au bout du fil.

Elle prend des dispositions pour que des agents de police et des policiers en civil surveillent les portes et les entrées de l’hôtel Blackpool. Elle repose le combiné sur son socle, puis reste immobile à le contempler.