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Car il remarquait, avec une surprise qui tenait de l’épouvante, qu’au lieu de se faire valoir comme toute femme que l’on recherche et dont on a besoin, elle allait au-devant des vœux de son interlocuteur avec une bonne grâce bien différente de cette fierté léonine du dernier souper, pris à la même place et dans la même maison.

Jeanne, cette fois, faisait les honneurs de chez elle en femme non seulement maîtresse d’elle-même, mais encore maîtresse des autres. Nul embarras dans son regard, nulle réserve dans sa voix. N’avait-elle pas, pour prendre ces hautes leçons d’aristocratie, fréquenté tout le jour la fleur de la noblesse française; une reine sans rivale ne l’avait-elle pas appelée ma chère comtesse?

Aussi le cardinal, soumis à cette supériorité, en homme supérieur lui-même, ne tenta-t-il point d’y résister.

– Comtesse, dit-il en lui prenant la main, il y a deux femmes en vous.

– Comment cela? demanda la comtesse.

– Celle d’hier, et celle d’aujourd’hui.

– Et laquelle préfère Votre Éminence?

– Je ne sais. Seulement, celle de ce soir est une Armide, une Circé, quelque chose d’irrésistible.

– Et à qui vous n’essaierez pas de résister, j’espère, monseigneur, tout prince que vous êtes.

Le prince se laissa glisser de son siège et tomba aux genoux de madame de La Motte.

– Vous demandez l’aumône? dit-elle.

– Et j’attends que vous me la fassiez.

– Jour de largesse, répondit Jeanne; la comtesse de Valois a pris rang, elle est une femme de la cour; avant peu elle comptera parmi les femmes les plus fières de Versailles. Elle peut donc ouvrir sa main et la tendre à qui bon lui semble.

– Fût-ce à un prince? dit monsieur de Rohan.

– Fût-ce à un cardinal, répondit Jeanne.

Le cardinal appuya un long et brûlant baiser sur cette jolie main mutine; puis, ayant consulté des yeux le regard et le sourire de la comtesse, il se leva. Et, passant dans l’antichambre, dit deux mots à son coureur.

Deux minutes après, on entendit le bruit de la voiture qui s’éloignait.

La comtesse releva la tête.

– Ma foi! comtesse, dit le cardinal, j’ai brûlé mes vaisseaux.

– Et il n’y a pas grand mérite à cela, répondit la comtesse, puisque vous êtes au port.

Chapitre 42

Où l’on commence à voir les visages sous les masques

Les longues causeries sont le privilège heureux des gens qui n’ont plus rien à se dire. Après le bonheur de se taire ou de désirer, par interjection, le plus grand, sans contredit, est de parler beaucoup sans phrases.

Deux heures après le renvoi de sa voiture, le cardinal et la comtesse en étaient au point où nous disons. La comtesse avait cédé, le cardinal avait vaincu, et cependant le cardinal, c’était l’esclave; la comtesse, c’était le triomphateur.

Deux hommes se trompent en se donnant la main. Un homme et une femme se trompent dans un baiser.

Mais ici chacun ne trompait l’autre que parce que l’autre voulait être trompé.

Chacun avait un but. Pour ce but, l’intimité était nécessaire. Chacun avait donc atteint son but.

Aussi le cardinal ne se donna-t-il point la peine de dissimuler son impatience. Il se contenta de faire un petit détour, et ramenant la conversation sur Versailles et sur les honneurs qui y attendaient la nouvelle favorite de la reine:

– Elle est généreuse, dit-il, et rien ne lui coûte pour les gens qu’elle aime. Elle a le rare esprit de donner un peu à beaucoup de monde, et de donner beaucoup à peu d’amis.

– Vous la croyez donc riche? demanda madame de La Motte.

– Elle sait se faire des ressources avec un mot, un geste, un sourire. Jamais ministre, excepté Turgot peut-être, n’a eu le courage de refuser à la reine ce qu’elle demandait.

– Eh bien! moi, dit madame de La Motte, je la vois moins riche que vous ne la faites, pauvre reine, ou plutôt pauvre femme!

– Comment cela?

– Est-on riche quand on est obligée de s’imposer des privations?

– Des privations! contez-moi cela, chère Jeanne.

– Oh! mon Dieu, je vous dirai ce que j’ai vu, rien de plus, rien de moins.

– Dites, je vous écoute.

– Figurez-vous deux affreux supplices que cette malheureuse reine a endurés.

– Deux supplices! Lesquels, voyons?

– Savez-vous ce que c’est qu’un désir de femme, mon cher prince?

– Non, mais je voudrais que vous me l’apprissiez, comtesse.

– Eh bien! la reine a un désir qu’elle ne peut satisfaire.

– De qui?

– Non, de quoi.

– Soit, de quoi?

– D’un collier de diamants.

– Attendez donc, je sais. Ne voulez-vous point parler des diamants de Bœhmer et Bossange?

– Précisément.

– Oh! la vieille histoire, comtesse.

– Vieille ou neuve, n’est-ce pas un véritable désespoir pour une reine, dites, que de ne pouvoir posséder ce qu’a failli posséder une simple favorite? Quinze jours d’existence de plus au roi Louis XV, et Jeanne Vaubernier avait ce que ne peut avoir Marie-Antoinette.

– Eh bien! chère comtesse, voilà ce qui vous trompe, la reine a pu avoir cinq ou six fois ces diamants, et la reine les a toujours refusés.

– Oh!

– Quand je vous le dis, le roi les lui a offerts, et elle les a refusés de la main du roi.

Et le cardinal raconta l’histoire du vaisseau.

Jeanne écouta avidement, et lorsque le cardinal eut fini:

– Eh bien! dit-elle, après?

– Comment, après?

– Oui, qu’est-ce que cela prouve?

– Qu’elle n’en a point voulu, ce me semble.

Jeanne haussa les épaules.

– Vous connaissez les femmes, vous connaissez la cour, vous connaissez les rois, et vous vous laissez prendre à une pareille réponse?

– Dame! je constate un refus.

– Mon cher prince, cela constate une chose: c’est que la reine a eu besoin de faire un mot brillant, un mot populaire, et qu’elle l’a fait.

– Bon! dit le cardinal, voilà comme vous croyez aux vertus royales, vous? Ah! sceptique! Mais saint Thomas était un croyant, près de vous.

– Sceptique ou croyante, je vous affirme une chose, moi.

– Laquelle?

– C’est que la reine n’a pas eu plutôt refusé le collier, qu’elle a été prise d’une envie folle de l’avoir.

– Vous vous forgez ces idées-là, ma chère, et d’abord, croyez bien à une chose, c’est qu’à travers tous ses défauts, la reine a une qualité immense.

– Laquelle?

– Elle est désintéressée! Elle n’aime ni l’or ni l’argent, ni les pierres. Elle pèse les minéraux à leur valeur; pour elle une fleur au corset vaut un diamant à l’oreille.

– Je ne dis pas non. Seulement, à cette heure, je soutiens qu’elle a envie de se mettre plusieurs diamants au cou.

– Oh! comtesse, prouvez.

– Rien ne sera plus facile; tantôt j’ai vu le collier.

– Vous?

– Moi; non seulement je l’ai vu, mais je l’ai touché.

– Où cela?

– À Versailles, toujours.

– À Versailles?

– Oui, où les joailliers l’apportaient pour essayer de tenter la reine une dernière fois.

– Et c’est beau.

– C’est merveilleux.

– Alors, vous qui êtes vraiment femme, vous comprenez qu’on pense à ce collier.

– Je comprends qu’on en perde l’appétit et le sommeil.

– Hélas! que n’ai-je un vaisseau à donner au roi!

– Un vaisseau?

– Oui, il me donnerait le collier; et une fois que je l’aurais, vous pourriez manger et dormir tranquille.

– Vous riez?

– Non, je vous jure.

– Eh bien! je vais vous dire une chose qui vous étonnera fort.