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– Dites.

– Ce collier, je n’en voudrais pas!

– Tant mieux, comtesse, car je ne pourrais pas vous le donner.

– Hélas! ni vous ni personne, c’est bien ce que sent la reine, et voilà pourquoi elle le désire.

– Mais je vous répète que le roi le lui offrait.

Jeanne fit un mouvement rapide, un mouvement presque importun.

– Et moi, dit-elle, je vous dis que les femmes aiment surtout ces présents-là quand ils ne sont pas faits par des gens qui les forcent de les accepter.

Le cardinal regarda Jeanne avec plus d’attention.

– Je ne comprends pas trop, dit-il.

– Tant mieux; brisons là. Que vous fait d’abord ce collier, puisque nous ne pouvons pas l’avoir?

– Oh! si j’étais le roi et que vous fussiez la reine, je vous forcerais bien de l’accepter.

– Eh bien! sans être le roi, forcez la reine à le prendre, et vous verrez si elle est aussi fâchée que vous croyez de cette violence.

Le cardinal regarda Jeanne encore une fois.

– Vrai, dit-il, vous êtes sûre de ne pas vous tromper; la reine a ce désir?

– Dévorant. Écoutez, cher prince, ne m’avez-vous pas dit une fois, ou n’ai-je point entendu dire que vous ne seriez point fâché d’être ministre?

– Mais il est très possible que j’aie dit cela, comtesse.

– Eh bien! gageons, mon cher prince…

– Quoi?

– Que la reine ferait ministre l’homme qui s’arrangerait de façon que ce collier fût sur sa toilette dans huit jours.

– Oh! comtesse.

– Je dis ce que je dis… Aimez-vous mieux que je pense tout bas?

– Oh! jamais.

– D’ailleurs, ce que je dis ne vous concerne pas. Il est bien clair que vous n’allez pas engloutir un million et demi dans un caprice royal; ce serait, par ma foi! payer trop cher un portefeuille que vous aurez pour rien et qui vous est dû. Prenez donc tout ce que je vous ai dit pour du bavardage. Je suis comme les perroquets: on m’a éblouie au soleil, et me voilà répétant toujours qu’il fait chaud. Ah! monseigneur, que c’est une rude épreuve qu’une journée de faveur pour une petite provinciale! Ces rayons-là, il faut être aigle comme vous pour les regarder en face.

Le cardinal devint rêveur.

– Allons, voyons, dit Jeanne, voilà que vous me jugez si mal, voilà que vous me trouvez si vulgaire et si misérable, que vous ne daignez plus même me parler.

– Ah! par exemple!

– La reine jugée par moi, c’est moi.

– Comtesse!

– Que voulez-vous? j’ai cru qu’elle désirait les diamants parce qu’elle a soupiré en les voyant; je l’ai cru parce qu’à sa place je les eusse désirés; excusez ma faiblesse.

– Vous êtes une adorable femme, comtesse; vous avez, par une alliance incroyable, la faiblesse du cœur, comme vous dites, et la force de l’esprit: vous êtes si peu femme en de certains moments, que je m’en effraie. Vous l’êtes si adorablement dans d’autres, que j’en bénis le ciel et que je vous en bénis.

Et le galant cardinal ponctua cette galanterie par un baiser.

– Voyons, ne parlons plus de toutes ces choses-là, dit-il.

– Soit, murmura Jeanne tout bas, mais je crois que l’hameçon a mordu dans les chairs.

Mais tout en disant: «Ne parlons plus de cela», le cardinal reprit:

– Et vous croyez que c’est Bœhmer qui est revenu à la charge? dit-il.

– Avec Bossange, oui, répondit innocemment madame de La Motte.

– Bossange… Attendez donc, fit le cardinal, comme s’il cherchait; Bossange, n’est-ce pas son associé?

– Oui, un grand sec.

– C’est cela.

– Qui demeure?…

– Il doit demeurer quelque part comme au quai de la Ferraille ou bien de l’École, je ne sais pas trop; mais en tout cas dans les environs du Pont-Neuf.

– Du Pont-Neuf; vous avez raison; j’ai lu ces noms-là au-dessus d’une porte en passant dans mon carrosse.

«Allons, allons, murmura Jeanne, le poisson mord de plus en plus.»

Jeanne avait raison, et l’hameçon était entré au plus profond de la proie.

Aussi, le lendemain, en sortant de la petite maison du faubourg Saint-Antoine, le cardinal se fit-il conduire directement chez Bœhmer.

Il comptait garder l’incognito, mais Bœhmer et Bossange étaient les joailliers de la cour, et aux premiers mots qu’il prononça, ils l’appelèrent monseigneur.

– Eh bien! oui, monseigneur, dit le cardinal; mais puisque vous me reconnaissez, tâchez au moins que d’autres ne me reconnaissent pas.

– Monseigneur peut être tranquille. Nous attendons les ordres de monseigneur.

– Je viens pour vous acheter le collier en diamants que vous avez montré à la reine.

– En vérité, nous sommes au désespoir, mais monseigneur vient trop tard.

– Comment cela?

– Il est vendu.

– C’est impossible, puisque hier vous avez été l’offrir de nouveau à Sa Majesté.

– Qui l’a refusé de nouveau, monseigneur, voilà pourquoi l’ancien marché subsiste.

– Et avec qui ce marché a-t-il été conclu? demanda le cardinal.

– C’est un secret, monseigneur.

– Trop de secrets, monsieur Bœhmer.

Et le cardinal se leva.

– Mais, monseigneur.

– Je croyais, monsieur, continua le cardinal, qu’un joaillier de la couronne de France devait se trouver content de vendre en France ces belles pierreries; vous préférez le Portugal, à votre aise, monsieur Bœhmer.

– Monseigneur sait tout! s’écria le joaillier.

– Eh bien! que voyez-vous d’étonnant à cela?

– Mais, si monseigneur sait tout, ce ne peut être que par la reine.

– Et quand cela serait? dit monsieur de Rohan sans repousser la supposition, qui flattait son amour-propre.

– Oh! c’est que cela changerait bien les choses, monseigneur.

– Expliquez-vous, je ne comprends pas.

– Monseigneur veut-il me permettre de lui parler en toute liberté?

– Parlez.

– Eh bien! la reine a envie de notre collier.

– Vous le croyez?

– Nous en sommes sûrs.

– Ah! et pourquoi ne l’achète-t-elle pas alors?

– Mais parce qu’elle a refusé au roi, et que revenir sur cette décision qui a valu tant d’éloges à Sa Majesté, ce serait montrer du caprice.

– La reine est au-dessus de ce que l’on dit.

– Oui, quand c’est le peuple, ou même quand ce sont des courtisans qui disent; mais quand c’est le roi qui parle…

– Le roi, vous le savez bien, a voulu donner ce collier à la reine?

– Sans doute; mais il s’est empressé de remercier la reine quand la reine a refusé.

– Voyons, que conclut M. Bœhmer?

– Que la reine voudrait bien avoir le collier sans paraître l’acheter.

– Eh bien! vous vous trompez, monsieur, dit le cardinal, il ne s’agit point de cela.

– C’est fâcheux, monseigneur, car c’eût été la seule raison décisive pour nous de manquer de parole à monsieur l’ambassadeur de Portugal.

Le cardinal réfléchit.

Si forte que soit la diplomatie des diplomates, celle des marchands leur est toujours supérieure… D’abord, le diplomate négocie presque toujours des valeurs qu’il n’a pas; le marchand tient et serre dans sa griffe l’objet qui excite la curiosité: le lui acheter, le lui payer cher, c’est presque le dépouiller.

Monsieur de Rohan, voyant qu’il était au pouvoir de cet homme:

– Monsieur, dit-il, supposez si vous voulez que la reine ait envie de votre collier.

– Cela change tout, monseigneur. Je puis rompre tous les marchés quand il s’agit de donner la préférence à la reine.

– Combien vendez-vous ce collier?

– Quinze cent mille livres.

– Comment organisez-vous le paiement?

– Le Portugal me payait un acompte, et j’allais porter le collier moi-même à Lisbonne, où l’on me payait à vue.

– Ce mode de paiement n’est pas praticable avec nous, monsieur Bœhmer; un acompte, vous l’aurez s’il est raisonnable.