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Et comme il allait rougir, sorte de déplaisir qu’un homme ne pardonne jamais à la femme qui le cause, Jeanne se hâta de lui prendre la main.

– Pardon, mon prince, dit-elle, j’ai hâte de vous dire en quoi vous vous trompiez sur moi. Vous m’avez crue sotte et méchante?

– Oh! oh! comtesse.

– Enfin…

– Pas un mot de plus; laissez-moi parler à mon tour. Je vous persuaderai peut-être, car, dès aujourd’hui, je vois clairement à qui j’ai affaire. Je m’attendais à trouver en vous une jolie femme, une femme d’esprit, une maîtresse charmante, vous êtes mieux que cela. Écoutez.

Jeanne se rapprocha du cardinal, laissant sa main dans ses mains.

– Vous avez bien voulu être ma maîtresse, mon amie, sans m’aimer. Vous me l’avez dit vous-même, poursuivit monsieur de Rohan.

– Et je vous le redis encore, fit madame de La Motte.

– Vous avez un but, alors?

– Assurément.

– Le but, comtesse?

– Vous avez besoin que je vous l’explique?

– Non, je le touche du doigt. Vous voulez faire ma fortune. N’est-il pas sûr qu’une fois ma fortune faite, mon premier soin sera d’assurer la vôtre? Est-ce bien cela, et me suis-je trompé?

– Vous ne vous êtes pas trompé, monseigneur, et c’est bien cela. Seulement, croyez-moi sans phrases, ce but-là je ne l’ai pas poursuivi au milieu des antipathies et des répugnances, la route a été agréable.

– Vous êtes une aimable femme, comtesse, et c’est tout plaisir que de causer affaires avec vous. Je disais donc que vous avez deviné juste. Vous savez que j’ai quelque part un respectueux attachement?

– Je l’ai vu au bal de l’Opéra, mon prince.

– Cet attachement ne sera jamais partagé. Oh! Dieu me garde de le croire!

– Eh! fit la comtesse, une femme n’est pas toujours reine, et vous valez bien, que je sache, monsieur le cardinal Mazarin.

– C’était un fort bel homme aussi, dit en riant monsieur de Rohan.

– Et un excellent premier ministre, repartit Jeanne avec le plus grand calme.

– Comtesse, avec vous c’est peine perdue de penser, c’est vingt fois surabondant de dire. Vous pensez et vous parlez pour vos amis. Oui, je tends à devenir premier ministre. Tout m’y pousse: la naissance, l’habitude des affaires, certaine bienveillance que me témoignent les cours étrangères, beaucoup de sympathie qui m’est accordée par le peuple français.

– Tout enfin, dit Jeanne, excepté une chose.

– Excepté une répugnance, voulez-vous dire?

– Oui, de la reine; et cette répugnance, c’est le véritable obstacle. Ce qu’elle aime, la reine, il faut toujours que le roi finisse par l’aimer; ce qu’elle hait, il le déteste d’avance.

– Et elle me hait?

– Oh!

– Soyons francs. Je ne crois pas qu’il nous soit permis de rester en si beau chemin, comtesse.

– Eh bien! monseigneur, la reine ne vous aime pas.

– Alors, je suis perdu! Il n’y a pas de collier qui tienne.

– Voilà en quoi vous pouvez vous tromper, prince.

– Le collier est acheté!

– Au moins la reine verra-t-elle que si elle ne vous aime pas, vous l’aimez, vous.

– Oh! comtesse!

– Vous savez, monseigneur, que nous sommes convenus d’appeler les choses par leur nom.

– Soit. Vous dites donc que vous ne désespérez pas de me voir un jour premier ministre?

– J’en suis sûre.

– Je m’en voudrais de ne pas vous demander quelles sont vos ambitions.

– Je vous les dirai, prince, quand vous serez en état de les satisfaire.

– C’est parler, cela, je vous attends à ce jour.

– Merci; maintenant, soupons.

Le cardinal prit la main de Jeanne, et la serra comme Jeanne avait tant désiré que sa main fût serrée quelques jours avant. Mais ce temps était passé.

Elle retira sa main.

– Eh bien! comtesse?

– Soupons, vous dis-je, monseigneur.

– Mais je n’ai plus faim.

– Alors, causons.

– Mais je n’ai plus rien à dire.

– Alors, quittons-nous.

– Voilà, dit-il, ce que vous appelez notre alliance. Vous me congédiez?

– Pour être vraiment l’un à l’autre, dit-elle, monseigneur, soyons tout à fait l’un et l’autre à nous-mêmes.

– Vous avez raison, comtesse; pardon de m’être encore trompé cette fois sur votre compte. Oh! je vous jure bien que ce sera la dernière.

Il lui reprit la main et la baisa si respectueusement, qu’il ne vit pas le sourire narquois, diabolique, de la comtesse, au moment où ces mots avaient retenti: «Ce sera la dernière fois que je me tromperai sur votre compte.»

Jeanne se leva, reconduisit le prince jusqu’à l’antichambre. Là, il s’arrêta, et tout bas:

– La suite, comtesse?

– C’est tout simple.

– Que ferai-je?

– Rien. Attendez-moi.

– Et vous irez?

– À Versailles.

– Quand?

– Demain.

– Et j’aurai réponse?

– Tout de suite.

– Allons, ma protectrice, je m’abandonne à vous.

– Laissez-moi faire.

Elle rentra sur ce mot chez elle, se mit au lit, et considérant vaguement le bel Endymion de marbre qui attendait Diane:

– Décidément, la liberté vaut mieux, murmura-t-elle.

FIN DU TOME I.

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Décembre 2005

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