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«Des écus de trois livres, pensa-t-elle; il doit y en avoir au moins cinquante ou même cent. Allons, c’est cent cinquante ou peut-être trois cents livres qui nous tombent du ciel. Cependant, pour cent il est bien court; mais aussi pour cinquante il est bien long.»

Tandis qu’elle faisait ces observations, les deux dames étaient passées dans la première pièce, où dame Clotilde dormait sur une chaise près d’une chandelle dont la mèche rouge et fumeuse s’allongeait au milieu d’une nappe de suif liquéfié.

L’odeur âcre et nauséabonde saisit à la gorge celle des deux dames de charité qui avait déposé le rouleau sur le chiffonnier. Elle porta vivement la main à sa poche et en tira un flacon.

Mais à l’appel de Jeanne, dame Clotilde s’était réveillée en saisissant à belles mains le reste de la chandelle. Elle l’élevait comme un phare au-dessus des montées obscures, malgré les protestations des deux étrangères qu’on éclairait en les empoisonnant.

– Au revoir, au revoir, madame la comtesse! crièrent-elles.

Et elles se précipitèrent dans les escaliers.

– Où pourrai-je avoir l’honneur de vous remercier, mesdames? demanda Jeanne de Valois.

– Nous vous le ferons savoir, dit l’aînée des deux dames en descendant le plus rapidement possible.

Et le bruit de leurs pas se perdit dans les profondeurs des étages inférieurs.

Mme de Valois rentra chez elle, impatiente de vérifier si ses observations sur le rouleau étaient justes. Mais en traversant la première chambre, elle heurta du pied un objet qui roula de la natte qui servait à calfeutrer le dessous de la porte sur le carreau.

Se baisser, ramasser cet objet, courir à la lampe, telle fut la première inspiration de la comtesse de La Motte.

C’était une boîte en or, ronde, plate et assez simplement guillochée.

Cette boîte renfermait quelques pastilles de chocolat parfumé; mais, si plate qu’elle fût, il était visible que cette boîte avait un double fond, dont la comtesse fut quelque temps à trouver le secret ressort.

Enfin, elle trouva ce ressort et le fit jouer.

Aussitôt un portrait de femme lui apparut, sévère, éclatant de beauté mâle et d’impérieuse majesté.

Une coiffure allemande, un magnifique collier semblable à celui d’un ordre donnaient à la physionomie de ce portrait une étrangeté étonnante.

Un chiffre composé d’un M et d’un T, entrelacés dans une couronne de laurier, occupait le dessus de la boîte.

Mme de La Motte supposa, grâce à la ressemblance de ce portrait avec le visage de la jeune dame, sa bienfaitrice, que c’était un portrait de mère ou d’aïeule, et son premier mouvement, il faut le dire, fut de courir à l’escalier pour rappeler les dames.

La porte de l’allée se refermait.

Puis à la fenêtre pour les appeler, puisqu’il était trop tard pour les rejoindre.

Mais à l’extrémité de la rue Saint-Claude, débouchant dans la rue Saint Louis, un cabriolet rapide fut le seul objet qu’elle aperçut.

La comtesse, n’ayant plus d’espoir de rappeler les deux protectrices, considéra encore la boîte, en se promettant de la faire passer à Versailles; puis, saisissant le rouleau laissé sur le chiffonnier:

– Je ne me trompais pas, dit-elle, il n’y a que cinquante écus.

Et le papier éventré roula sur le carreau.

– Des louis, des doubles louis! s’écria la comtesse. Cinquante doubles louis! deux mille quatre cents livres!

Et la joie la plus avide se peignit dans ses yeux, tandis que dame Clotilde, émerveillée à l’aspect de plus d’or qu’elle n’en avait jamais vu, demeurait la bouche ouverte et les mains jointes.

– Cent louis! répéta Mme de La Motte… Ces dames sont donc bien riches? Oh! je les retrouverai!…

Chapitre 4

Bélus

Mme de La Motte ne s’était pas trompée en croyant que le cabriolet qui venait de disparaître emportait les deux dames de charité.

Ces deux dames, en effet, avaient trouvé au bas de la maison un cabriolet, comme on les construisait à cette époque, c’est-à-dire haut de roues, caisse légère, tablier élevé, avec une sellette commode pour le jockey qui se tenait derrière.

Ce cabriolet, attelé d’un magnifique cheval irlandais, à courte queue, à croupe charnue, sous poil bai, avait été amené rue Saint-Claude par ce même domestique conducteur du traîneau que la dame de charité avait appelé Weber, ainsi que nous l’avons vu plus haut.

Weber tenait le cheval au mors quand les dames arrivèrent; il essayait de modérer l’impatience du fougueux animal, qui battait d’un pied nerveux la neige durcissant peu à peu depuis le retour de la nuit.

Lorsque les deux dames parurent:

– Matame, dit Weber, j’afais fait gommanter Scibion, qui est fort toux et fazile à mener, mais Scibion il s’est tonné un égart hier au zoir; il ne restait que Pélus, et Pélus il est diffizile.

– Oh! pour moi, vous le savez, Weber, répondit l’aînée des deux dames, la chose n’a pas d’importance; j’ai la main nerveuse et je suis habituée à conduire.

– Je sais que Matame mène fort pien, mais les chemins l’être pien mauvais. Où fa Matame?

– À Versailles.

– Bar les poulefards, alors?

– Non pas, Weber, il gèle, et les boulevards seraient pleins de verglas. Les rues doivent offrir moins de résistance, grâce aux milliers de promeneurs qui échauffent la neige. Allons, vite, Weber, vite.

Weber retint le cheval, tandis que les dames montèrent lestement dans le cabriolet; puis il s’élança derrière et avertit qu’il était monté.

L’aînée des deux dames alors, s’adressant à sa compagne:

– Eh bien! dit-elle, que vous semble de cette comtesse, Andrée?

Et en disant ces mots, elle rendit les rênes au cheval qui partit comme un éclair et tourna le coin de la rue Saint-Louis.

C’était le moment où Mme de La Motte ouvrait sa fenêtre pour rappeler les deux dames de charité.

– Je pense, madame, répondit celle des deux femmes que l’on appelait Andrée, je pense que Mme de La Motte est pauvre et très malheureuse.

– Bien élevée, n’est-ce pas?

– Oui, sans doute.

– Tu es froide à son égard, Andrée.

– S’il faut que je vous l’avoue, elle a quelque chose de rusé dans sa physionomie qui ne me plaît pas.

– Oh! vous êtes défiante, vous, Andrée, je le sais; et pour vous plaire, il faut réunir tout. Moi, je trouve cette petite comtesse intéressante et simple dans son orgueil comme dans son humilité.

– C’est une fortune pour elle, madame, que d’avoir eu le bonheur de plaire à Votre…

– Gare! s’écria la dame en jetant vivement de côté son cheval qui allait renverser un portefaix au coin de la rue Saint-Antoine.

– Gare! cria Weber d’une voix de stentor.

Et le cabriolet continua sa course.

Seulement, on entendit les imprécations de l’homme qui avait échappé aux roues, et plusieurs voix grondant comme un écho lui donnèrent à l’instant même l’appui d’une clameur on ne peut plus hostile au cabriolet.

Mais en quelques secondes Bélus mit entre sa maîtresse et les blasphémateurs tout l’espace qui s’étend de la rue Sainte-Catherine à la place Baudoyer.

Là, comme on sait, le chemin se bifurque, mais l’habile conductrice se jeta résolument dans la rue de la Tixéranderie, rue populeuse, étroite et fort peu aristocratique.

Aussi, malgré les gare très réitérés qu’elle lançait, malgré les rugissements de Weber, on n’entendait qu’exclamations furieuses des passants: «Oh! le cabriolet! À bas le cabriolet!»

Bélus passait toujours, et son cocher, malgré la délicatesse d’une main d’enfant, le faisait courir rapidement et surtout habilement dans les mares de neige liquide ou dans les glaciers plus dangereux qui formaient ruisseaux et dépavements.