– Vous avez deviné.
– En vérité, il n’y a qu’eux pour oser faire des entreprises pareilles. Que c’est beau, sire, que c’est beau!
– Madame, madame, dit le roi, vous payez ce collier beaucoup trop cher, prenez-y garde.
– Oh! s’écria la reine, oh! sire.
Et tout à coup son front radieux s’assombrit, se pencha.
Ce changement dans sa physionomie s’opéra si rapide et s’effaça si rapidement encore, que le roi n’eut pas même le temps de le remarquer.
– Voyons, dit-il, laissez-moi un plaisir.
– Lequel?
– Celui de mettre ce collier à votre cou.
La reine l’arrêta.
– C’est bien cher, n’est-ce pas? dit-elle tristement.
– Ma foi! oui, répliqua le roi en riant; mais je vous l’ai dit, vous venez de le payer plus qu’il ne vaut, et ce n’est qu’à sa place, c’est-à-dire à votre col, qu’il prendra son véritable prix.
Et, en disant ces mots, Louis s’approchait de la reine, tenant de ses deux mains les deux extrémités du magnifique collier, pour le fixer par l’agrafe faite elle-même d’un gros diamant.
– Non, non, dit la reine, pas d’enfantillage. Remettez ce collier dans votre écrin, sire.
Et elle secoua la tête.
– Vous me refusez de le voir le premier sur vous?
– À Dieu ne plaise que je vous refusasse cette joie, sire, si je prenais le collier; mais…
– Mais… fit le roi surpris.
– Mais ni vous ni personne, sire, ne verra un collier de ce prix à mon cou.
– Vous ne le porterez pas, madame?
– Jamais!
– Vous me refusez?
– Je refuse de me pendre un million, et peut-être un million et demi au cou, car j’estime ce collier quinze cent mille livres, n’est-ce pas?
– Eh! je ne dis pas non, répliqua le roi.
– Et je refuse de pendre à mon col un million et demi quand les coffres du roi sont vides, quand le roi est forcé de mesurer ses secours et de dire aux pauvres: «Je n’ai plus d’argent, Dieu vous assiste!»
– Comment, c’est sérieux ce que vous me dites là?
– Tenez, sire, M. de Sartine me disait un jour qu’avec quinze cent mille livres on pouvait avoir un vaisseau de ligne, et, en vérité, sire, le roi de France a plus besoin d’un vaisseau de ligne que la reine de France n’a besoin d’un collier.
– Oh! s’écria le roi, au comble de la joie et les yeux mouillés de larmes, oh! ce que vous venez de faire là est sublime. Merci, merci!… Antoinette, vous êtes une bonne femme.
Et pour couronner dignement sa démonstration cordiale et bourgeoise, le bon roi jeta ses deux bras au cou de Marie-Antoinette, et l’embrassa.
– Oh! comme on vous bénira en France, madame, s’écria-t-il, quand on saura le mot que vous venez de dire.
La reine soupira.
– Il est encore temps, dit le roi avec vivacité. Un soupir de regrets!
– Non, sire, un soupir de soulagement; fermez cet écrin et rendez-le aux joailliers.
– J’avais déjà disposé mes termes de paiements; l’argent est prêt; voyons, qu’en ferai-je? Ne soyez pas si désintéressée, madame.
– Non, j’ai bien réfléchi. Non, bien décidément, sire, je ne veux pas de ce collier; mais je veux autre chose.
– Diable! voilà mes seize cents mille livres écornées.
– Seize cents mille livres? Voyez-vous! Eh quoi, c’était si cher?
– Ma foi! madame, j’ai lâché le mot, je ne m’en dédis pas.
– Rassurez-vous; ce que je vous demande coûtera moins cher.
– Que me demandez-vous?
– C’est de me laisser aller à Paris encore une fois.
– Oh! mais c’est facile, et pas cher surtout.
– Attendez! attendez!
– Diable!
– À Paris, place Vendôme.
– Diable! diable!
– Chez M. Mesmer.
Le roi se gratta l’oreille.
– Enfin, dit-il, vous avez refusé une fantaisie de seize cent mille livres; je puis bien vous passer celle-là. Allez donc chez M. Mesmer; mais, à mon tour, à une condition.
– Laquelle?
– Vous vous ferez accompagner d’une princesse du sang.
La reine réfléchit.
– Voulez-vous Mme de Lamballe? dit-elle.
– Mme de Lamballe, soit.
– C’est dit.
– Je signe.
– Merci.
– Et de ce pas, ajouta le roi, je vais commander mon vaisseau de ligne, et le baptiser Le Collier de la Reine. Vous en serez la marraine, madame; puis je l’enverrai à La Pérouse.
Le roi baisa la main de sa femme, et sortit de l’appartement tout joyeux.
Chapitre 8
Le petit lever de la reine
À peine le roi fut-il sorti que la reine se leva et vint à la fenêtre respirer l’air vif et glacial du matin.
Le jour s’annonçait brillant et plein de ce charme qu’une avance du printemps donne à certains jours d’avriclass="underline" aux gelées de la nuit succédait la douce chaleur d’un soleil déjà sensible; le vent avait tourné depuis la veille du nord à l’est.
S’il demeurait dans cette direction, l’hiver, ce terrible hiver de 1784, était fini.
Déjà, en effet, on voyait à l’horizon rose sourdre cette vapeur grisâtre, qui n’est autre chose que l’humidité fuyant devant le soleil.
Dans les parterres, le givre tombait peu à peu des branches, et les petits oiseaux commençaient à poser librement sur les bourgeons déjà formés leurs griffes délicates.
La fleur d’avril, la ravenelle, courbée sous la gelée, comme ces pauvres fleurs dont parle Dante, levait sa tête noircissante du sein de la neige à peine fondue, et sous les feuilles de la violette, feuilles épaissies, dures et larges, le bouton oblong de la fleur mystérieuse lançait les deux follioles elliptiques qui précèdent l’épanouissement et le parfum.
Dans les allées, sur les statues, sur les rampes des grilles, la glace glissait en diamants rapides; elle n’était pas encore de l’eau, elle n’était déjà plus de la glace.
Tout annonçait la lutte sourde du printemps contre les frimas, et présageait la prochaine défaite de l’hiver.
– Si nous voulons profiter de la glace, s’écria la reine interrogeant l’atmosphère, je crois qu’il faut se hâter. N’est-ce pas, madame de Misery? ajouta-t-elle en se retournant, car voilà le printemps qui pousse.
– Votre Majesté avait envie depuis longtemps d’aller faire une partie sur la pièce d’eau des Suisses, répliqua la première femme de chambre.
– Eh bien! aujourd’hui même nous ferons cette partie, dit la reine, car demain peut-être, serait-il trop tard.
– Alors, pour quelle heure la toilette de Votre Majesté?
– Pour tout de suite. Je déjeunerai légèrement et je sortirai.
– Sont-ce là les seuls ordres de la reine?
– On s’informera si Mlle de Taverney est levée, et on lui dira que je désire la voir.
– Mlle de Taverney est déjà dans le boudoir de Sa Majesté, répliqua la femme de chambre.
– Déjà! demanda la reine, qui savait mieux que personne à quelle heure Andrée avait dû se coucher.
– Oh! madame, elle attend déjà depuis plus de vingt minutes.
– Introduisez-la.
En effet, Andrée entra chez la reine au moment où le premier coup de neuf heures sonnait à l’horloge de la cour de Marbre.
Déjà vêtue avec soin, comme toute femme de la cour qui n’avait pas le droit de se montrer en négligé chez sa souveraine, Mlle de Taverney se présenta souriante et presque inquiète.
La reine souriait aussi, ce qui rassura Andrée.
– Allez, ma bonne Misery, dit-elle; envoyez-moi Léonard et mon tailleur.
Puis, ayant suivi des yeux Mme Misery et vu la portière se fermer derrière elle:
– Rien, dit-elle à Andrée; le roi a été charmant, il a ri, il a été désarmé.
– Mais a-t-il su? demanda Andrée.
– Vous comprenez, Andrée, que l’on ne ment pas lorsqu’on n’a pas tort et que l’on est reine de France.