– C’est vrai, madame, répondit Andrée en rougissant.
– Et cependant, ma chère Andrée, il paraît que nous avons eu un tort.
– Un tort, madame, dit Andrée; oh! plus d’un, sans doute?
– C’est possible, mais enfin voilà le premier: c’est d’avoir plaint Mme de La Motte; le roi ne l’aime pas. J’avoue pourtant qu’elle m’a plu, à moi.
– Oh! Votre Majesté est trop bon juge pour que l’on ne s’incline pas devant ses arrêts.
– Voici Léonard, dit Mme de Misery en rentrant.
La reine s’assit devant sa toilette de vermeil, et le célèbre coiffeur commença son office.
La reine avait les plus beaux cheveux du monde, et sa coquetterie consistait à faire admirer ses cheveux.
Léonard le savait, et au lieu de procéder avec rapidité, comme il l’eût fait à l’égard de toute autre femme, il laissait à la reine le temps et le plaisir de s’admirer elle-même.
Ce jour-là, Marie-Antoinette était contente, joyeuse même: elle était en beauté; de son miroir, elle passait à Andrée, à qui elle envoyait les plus affectueux regards.
– Vous n’avez pas été grondée, vous, dit-elle, vous, libre et fière, vous de qui tout le monde a un peu peur parce que, comme la divine Minerve, vous êtes trop sage.
– Moi, madame, balbutia Andrée.
– Oui, vous, vous le rabat-joie de tous les étourneaux de la cour. Oh! mon Dieu! que vous êtes heureuse d’être fille, Andrée, et surtout de vous trouver heureuse de l’être.
Andrée rougit et essaya un triste sourire.
– C’est un vœu que j’ai fait, dit-elle.
– Et que vous tiendrez, ma belle vestale? demanda la reine.
– Je l’espère.
– À propos, s’écria la reine, je me rappelle…
– Quoi? Votre Majesté.
– Que, sans être mariée, vous avez cependant un maître depuis hier.
– Un maître, madame!
– Oui, votre cher frère; comment l’appelez-vous? Philippe, je crois.
– Oui, madame, Philippe.
– Il est arrivé?
– Depuis hier, comme Votre Majesté me faisait l’honneur de me le dire.
– Et vous ne l’avez pas encore vu? Égoïste que je suis, je vous ai arrachée à lui hier pour vous mener à Paris; en vérité, c’est impardonnable.
– Oh! madame, dit Andrée en souriant, je vous pardonne de grand cœur, et Philippe aussi.
– Est-ce bien sûr?
– J’en réponds.
– Pour vous?
– Pour moi et pour lui.
– Comment est-il?
– Toujours beau et bon, madame.
– Quel âge a-t-il maintenant?
– Trente-deux ans.
– Pauvre Philippe, savez-vous que voilà tantôt quatorze ans que je le connais, et que sur les quatorze ans j’ai été neuf ou dix ans sans le voir.
– Quand Votre Majesté voudra bien le recevoir, il sera heureux d’assurer à Votre Majesté que l’absence n’apporte aucune atteinte aux sentiments de respectueux dévouement qu’il avait voués à la reine.
– Puis-je le voir tout de suite?
– Mais dans un quart d’heure il sera aux pieds de Votre Majesté, si Votre Majesté le permet.
– Bien, bien – je le permets –, je le veux même.
La reine achevait à peine, que quelqu’un de vif, de rapide, de bruyant, glissa, ou plutôt bondit sur le tapis du cabinet de toilette et vint réfléchir son visage rieur et narquois dans la même glace où Marie-Antoinette souriait au sien.
– Mon frère d’Artois, dit la reine, ah! en vérité, vous m’avez fait peur.
– Bonjour à Votre Majesté, dit le jeune prince. Comment Votre Majesté a t-elle passé la nuit?
– Très mal, merci, mon frère.
– Et la matinée?
– Très bien.
– Voilà l’essentiel. Tout à l’heure je me suis bien douté que l’épreuve avait été supportée heureusement, car j’ai rencontré le roi qui m’a délicieusement souri. Ce que c’est que la confiance!
La reine se mit à rire. Le comte d’Artois, qui n’en savait pas plus, rit aussi pour un tout autre motif.
– Mais j’y pense, dit-il, étourdi que je suis, je n’ai seulement pas questionné cette pauvre demoiselle de Taverney sur l’emploi de son temps.
La reine se mit à regarder dans son miroir, grâce aux réflexions duquel rien de ce qui se passait dans la chambre ne lui échappait.
Léonard venait de terminer son œuvre, et la reine, délivrée du peignoir de mousseline des Indes, endossait sa robe du matin.
La porte s’ouvrit.
– Tenez, dit-elle au comte d’Artois, si vous avez quelque chose à savoir d’Andrée, la voici.
Andrée entrait en effet au moment même, tenant par la main un beau gentilhomme brun de visage, aux yeux noirs profondément empreints de noblesse et de mélancolie, un vigoureux soldat au front intelligent, au maintien sévère, pareil à l’un de ces beaux portraits de famille comme les a peints Coypel ou Gainsborough.
Philippe de Taverney était vêtu d’un habit gris foncé finement brodé d’argent, mais ce gris semblait noir, cet argent semblait du fer: la cravate blanche, le jabot blanc mat tranchaient sur la veste de couleur sombre, et la poudre de la coiffure rehaussait la mâle énergie du teint et des traits.
Philippe s’avança, une main dans celle de sa sœur, l’autre arrondie autour de son chapeau.
– Votre Majesté, dit Andrée en s’inclinant avec respect, voici mon frère.
Philippe salua gravement et avec lenteur.
Quand il releva la tête, la reine n’avait pas encore cessé de regarder dans son miroir. Il est vrai qu’elle voyait dans son miroir tout aussi bien que si elle eût regardé Philippe en face.
– Bonjour, monsieur de Taverney, dit la reine.
Et elle se retourna.
Elle était belle de cet éclat royal qui confondait autour de son trône les amis de la royauté et les adorateurs de la femme, elle avait la puissance de la beauté, et qu’on nous pardonne cette inversion de l’idée, elle avait aussi la beauté de la puissance.
Philippe, en la voyant sourire, en sentant cet œil limpide, fier et doux à la fois, s’arrêter sur lui, Philippe pâlit et laissa voir dans toute sa personne l’émotion la plus vive.
– Il paraît, monsieur de Taverney, continua la reine, que vous nous donnez votre première visite. Merci.
– Votre Majesté daigne oublier que c’est à moi de la remercier, répliqua Philippe.
– Que d’années, dit la reine, que de temps passé depuis que nous ne nous sommes vus; le temps le plus beau de la vie, hélas!
– Pour moi, oui, madame, mais non pour Votre Majesté, à qui tous les jours sont de beaux jours.
– Vous avez donc pris du goût à l’Amérique, monsieur de Taverney, que vous y êtes resté alors que tout le monde en revenait?
– Madame, dit Philippe, M. de La Fayette, en quittant le Nouveau-Monde, avait besoin d’un officier de confiance à qui il pût laisser une part dans le commandement des auxiliaires. M. de La Fayette m’a en conséquence proposé au général Washington, qui a bien voulu m’accepter.
– Il paraît, dit la reine, que de ce Nouveau-Monde dont vous me parlez nous reviennent force héros.
– Ce n’est pas pour moi que Votre Majesté dit cela, répondit Philippe en souriant.
– Pourquoi pas? fit la reine.
Puis, se retournant vers le comte d’Artois:
– Regardez donc, mon frère, la belle mine et l’air martial de M. de Taverney.
Philippe, se voyant ainsi mis en rapport avec M. le comte d’Artois, qu’il ne connaissait pas, fit un pas vers lui, sollicitant du prince la permission de le saluer.
Le comte fit un signe de la main, Philippe s’inclina.
– Un bel officier, s’écria le jeune prince; un noble gentilhomme, dont je suis heureux de faire la connaissance. Quelles sont vos intentions en revenant en France?
Philippe regarda sa sœur:
– Monseigneur, dit-il, j’ai l’intérêt de ma sœur qui domine le mien; ce qu’elle voudra que je fasse, je le ferai.
– Mais il y a M. de Taverney le père, je crois? dit le comte d’Artois.