En ce moment, une voix se fit entendre.
– Puis-je pénétrer, mon frère, dit-elle.
«M. le comte de Provence, le malvenu!» grommela le roi en poussant un livre d’astronomie ouvert aux plus grandes figures.
– Entrez, dit-il.
Un personnage gros, court et rouge, à l’œil vif, entra d’un pas trop respectueux pour un frère, trop familier pour un sujet.
– Vous ne m’attendiez pas, mon frère? dit-il.
– Non, ma foi!
– Je vous dérange?
– Non; mais auriez-vous quelque chose à me dire d’intéressant?
– Un bruit si drôle, si grotesque…
– Ah! ah! une médisance.
– Ma foi! oui, mon frère.
– Qui vous a diverti?
– Oh! à cause de l’étrangeté.
– Quelque méchanceté contre moi.
– Dieu m’est témoin que je ne rirais pas, s’il en était ainsi.
– C’est contre la reine, alors.
– Sire, figurez-vous qu’on m’a dit sérieusement, mais là, très sérieusement… je vous le donne en cent, je vous le donne en mille…
– Mon frère, depuis que mon précepteur m’a fait admirer cette précaution oratoire, comme modèle du genre, dans Mme de Sévigné, je ne l’admire plus… Au fait.
– Eh bien! mon frère, dit le comte de Provence un peu refroidi par cet accueil brutal, on dit que la reine a découché l’autre jour. Ah! ah! ah!
Et il s’efforça de rire.
– Ce serait bien triste si cela était vrai, dit le roi avec gravité.
– Mais cela n’est pas vrai, n’est-ce pas, mon frère?
– Non.
– Il n’est pas vrai, non plus, que l’on ait vu la reine attendre à la porte des Réservoirs?
– Non.
– Le jour, vous savez, où vous ordonnâtes de fermer la porte à onze heures?
– Je ne sais pas.
– Eh bien! figurez-vous, mon frère, que le bruit prétend…
– Qu’est-ce que cela, le bruit? Où est-ce? Qui est-ce?
– Voilà un trait profond, mon frère, très profond. En effet, qui est le bruit? Eh bien! cet être insaisissable, incompréhensible, qu’on appelle le bruit, prétend qu’on avait vu la reine avec M. le comte d’Artois, bras dessus bras dessous, à minuit et demi, ce jour-là.
– Où?
– Allant à une maison que M. d’Artois possède, là, derrière les écuries. Est ce que Votre Majesté n’a pas ouï parler de cette énormité?
– Si fait, bien, mon frère; j’en ai entendu parler, il le faut bien.
– Comment, sire?
– Oui, est-ce que vous n’avez pas fait quelque chose pour que j’en entende parler?
– Moi?
– Vous.
– Quoi donc, sire, qu’ai-je fait?
– Un quatrain, par exemple, qui a été imprimé dans le Mercure.
– Un quatrain! fit le comte plus rouge qu’à son entrée.
– On vous sait favori des Muses.
– Pas au point de…
– De faire un quatrain qui finit par ce vers:
Hélène n’en dit rien au bon roi Ménélas.
– Moi, sire!…
– Ne niez pas, voici l’autographe du quatrain; votre écriture… hein! Je me connais mal en poésie, mais en écriture, oh! comme un expert…
– Sire, une folie en amène une autre.
– Monsieur de Provence, je vous assure qu’il n’y a eu folie que de votre part, et je m’étonne qu’un philosophe ait commis cette folie; gardons cette qualification à votre quatrain.
– Sire, Votre Majesté est dure pour moi.
– La peine du talion, mon frère. Au lieu de faire votre quatrain, vous auriez pu vous informer de ce qu’avait fait la reine; je l’ai fait, moi; et au lieu du quatrain contre elle, contre moi, par conséquent, vous eussiez écrit quelque madrigal pour votre belle-sœur. Après cela, direz-vous, ce n’est pas un sujet qui inspire; mais j’aime mieux une mauvaise épître qu’une bonne satire. Horace disait cela aussi, Horace, votre poète.
– Sire, vous m’accablez.
– N’eussiez-vous pas été sûr de l’innocence de la reine, comme je le suis, répéta le roi avec fermeté, vous eussiez bien fait de relire votre Horace. N’est-ce pas lui qui a dit ces belles paroles? Pardon, j’écorche le latin:
Rectius hoc est:
Hoc faciens vivum melius, sic dulcis amicis occuram.
«Cela est mieux; si je le fais, je serai plus honnête; si je le fais, je serai bon pour mes amis.»
Vous traduiriez plus élégamment, vous mon frère, mais je crois que c’est là le sens.
Et le bon roi, après cette leçon donnée en père plutôt qu’en frère, attendit que le coupable commençât une justification.
Le comte médita quelque temps sa réponse, moins comme un homme embarrassé que comme un orateur en quête de délicatesses.
– Sire, dit-il, tout sévère qu’est l’arrêt de Votre Majesté, j’ai un moyen d’excuse et un espoir de pardon.
– Dites, mon frère.
– Vous m’accusez de m’être trompé, n’est-ce pas, et non d’avoir eu mauvaise intention?
– D’accord.
– S’il en est ainsi, Votre Majesté, qui sait que n’est pas homme celui qui ne se trompe pas, Votre Majesté admettra bien que je ne me sois pas trompé pour quelque chose?
– Je n’accuserai jamais votre esprit, qui est grand et supérieur, mon frère.
– Eh bien! sire, comment ne me serais-je pas trompé à entendre tout ce qui se débite? Nous autres princes, nous vivons dans l’air de la calomnie, nous en sommes imprégnés. Je ne dis pas que j’ai cru, je dis que l’on m’a dit.
– À la bonne heure! puisqu’il en est ainsi; mais…
– Le quatrain? Oh! les poètes sont des êtres bizarres; et puis, ne vaut-il pas mieux répondre par une douce critique qui peut être un avertissement que par un sourcil froncé? Des attitudes menaçantes mises en vers n’offensent pas, sire; ce n’est pas comme les pamphlets, au sujet desquels on est fort à demander coercition à Votre Majesté; des pamphlets comme celui que je viens vous montrer moi-même.
– Un pamphlet!
– Oui, sire; il me faut absolument un ordre d’embastillement contre le misérable auteur de cette turpitude.
Le roi se leva brusquement.
– Voyons! dit-il.
– Je ne sais si je dois, sire…
– Certainement, vous devez; il n’y a rien à ménager dans cette circonstance. Avez-vous ce pamphlet?
– Oui, sire.
– Donnez.
Et le comte de Provence tira de sa poche un exemplaire de l’Histoire d’Etteniotna, épreuve fatale que le bâton de Charny, que l’épée de Philippe, que le brasier de Cagliostro avaient laissé passer dans la circulation.
Le roi jeta les yeux avec la rapidité d’un homme habitué à lire les passages intéressants d’un livre ou d’une gazette.
– Infamie! dit-il, infamie!
– Vous voyez, sire, qu’on prétend que ma sœur a été au baquet de Mesmer.
– Eh bien! oui, elle y a été!
– Elle y a été! s’écria le comte de Provence.
– Autorisée par moi.
– Oh! sire.
– Et ce n’est pas de sa présence chez Mesmer que je tire induction contre sa sagesse, puisque j’avais permis qu’elle allât place Vendôme.
– Votre Majesté n’avait pas permis que la reine s’approchât du baquet pour expérimenter par elle-même…
Le roi frappa du pied. Le comte venait de prononcer ces paroles précisément au moment où les yeux de Louis XVI parcouraient le passage le plus insultant pour Marie-Antoinette, l’histoire de sa prétendue crise, de ses contorsions, de son voluptueux désordre, de tout ce qui, enfin, avait signalé chez Mesmer le passage de Mlle Oliva.
– Impossible, impossible, dit le roi devenu pâle. Oh! la police doit savoir à quoi s’en tenir là-dessus!
Il sonna.
– M. de Crosne, dit-il, qu’on m’aille chercher M. de Crosne.
– Sire, c’est aujourd’hui jour de rapport hebdomadaire et M. de Crosne attend dans l’Œil-de-Bœuf.