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– Qu’il entre.

– Permettez-moi, mon frère, dit le comte de Provence d’un ton hypocrite.

Et il fit mine de sortir.

– Restez, lui dit Louis XVI. Si la reine est coupable, eh bien! monsieur, vous êtes de la famille, vous pouvez le savoir; si elle est innocente, vous devez le savoir aussi, vous qui l’avez soupçonnée.

M. de Crosne entra.

Ce magistrat, voyant M. de Provence avec le roi, commença par présenter ses respectueux hommages aux deux plus grands du royaume; puis, s’adressant au roi:

– Le rapport est prêt, sire, dit-il.

– Avant tout, monsieur, fit Louis XVI, expliquez-nous comment il s’est publié à Paris un pamphlet aussi indigne contre la reine?

Etteniotna? dit M. de Crosne.

– Oui.

– Eh bien! sire, c’est un gazetier nommé Réteau.

– Oui. Vous savez son nom, et vous ne l’avez, ou empêché de publier, ou arrêté après la publication!

– Sire, rien n’était plus facile que de l’arrêter; je vais même montrer à Votre Majesté l’ordre d’écrou tout préparé dans mon portefeuille.

– Alors, pourquoi l’arrestation n’est-elle pas opérée?

M. de Crosne se tourna du côté de M. de Provence.

– Je prends congé de Votre Majesté, dit celui-ci plus lentement.

– Non, non, répliqua le roi; je vous ai dit de rester; eh bien! restez.

Le comte s’inclina.

– Parlez, monsieur de Crosne; parlez ouvertement, sans réserve; parlez vite et net.

– Eh bien! voici, répliqua le lieutenant de police: je n’ai pas fait arrêter le gazetier Réteau, parce qu’il fallait de toute nécessité que j’eusse, avant cette démarche, une explication avec Votre Majesté.

– Je la sollicite.

– Peut-être, sire, vaut-il mieux donner à ce gazetier un sac d’argent et l’envoyer se faire pendre ailleurs, très loin.

– Pourquoi?

– Parce que, sire, quand ces misérables disent un mensonge, le public à qui on le prouve est fort aise de les voir fouetter, essoriller, pendre même. Mais quand, par malheur, ils mettent la main sur une vérité…

– Une vérité?

M. de Crosne s’inclina.

– Oui. Je sais. La reine a été en effet au baquet de Mesmer. Elle y a été, c’est un malheur, comme vous dites; mais je le lui avais permis.

– Oh! sire, murmura M. de Crosne.

Cette exclamation du sujet respectueux frappa le roi encore plus qu’elle n’avait fait sortant de la bouche du parent jaloux.

– La reine n’est pas perdue pour cela, dit-il, je suppose?

– Non, sire, mais compromise.

– Monsieur de Crosne, que vous a dit votre police, voyons?

– Sire, beaucoup de choses qui, sauf le respect que je dois à Votre Majesté, sauf l’adoration toute respectueuse que je professe pour la reine, sont d’accord avec quelques allégations du pamphlet.

– D’accord, dites-vous?

– Voici comment: une reine de France qui va dans un costume de femme ordinaire, au milieu de ce monde équivoque attiré par ces bizarreries magnétiques de Mesmer, et qui va seule…

– Seule! s’écria le roi.

– Oui, sire.

– Vous vous trompez, monsieur de Crosne.

– Je ne crois pas, sire.

– Vous avez de mauvais rapports.

– Tellement exacts, sire, que je puis vous donner le détail de la toilette de Sa Majesté, l’ensemble de sa personne, ses pas, ses gestes, ses cris.

– Ses cris!

Le roi pâlit et froissa la brochure.

– Ses soupirs mêmes ont été notés par mes agents, ajouta timidement M. de Crosne.

– Ses soupirs! La reine se serait oubliée à ce point!… La reine aurait fait si bon marché de mon honneur de roi, de son honneur de femme!

– C’est impossible, dit le comte de Provence; ce serait plus qu’un scandale, et Sa Majesté en est incapable.

Cette phrase était un surcroît d’accusation plutôt qu’une excuse. Le roi le sentit; tout en lui se révoltait.

– Monsieur, dit-il au lieutenant de police, vous maintenez ce que vous avez dit?

– Hélas, jusqu’au dernier mot, sire.

– Je vous dois à vous, mon frère, dit Louis XVI en passant son mouchoir sur son front mouillé de sueur, je vous dois une preuve de ce que j’ai avancé. L’honneur de la reine est celui de toute ma maison. Je ne le risque jamais. J’ai permis à la reine d’aller au baquet de Mesmer; mais je lui avais enjoint de mener avec elle une personne sûre, irréprochable, sainte même.

– Ah! dit M. de Crosne, s’il en eût été ainsi…

– Oui, dit le comte de Provence, si une femme comme Mme de Lamballe, par exemple…

– Précisément, mon frère, c’est Mme la princesse de Lamballe que j’avais désignée à la reine.

– Malheureusement, sire, la princesse n’a pas été emmenée.

– Eh bien! ajouta le roi frémissant, si la désobéissance a été telle, je dois sévir et je sévirai.

Un énorme soupir lui ferma les lèvres après lui avoir déchiré le cœur.

– Seulement, dit-il plus bas, un doute me reste: ce doute, vous ne le partagez pas, c’est naturel; vous n’êtes pas le roi, l’époux, l’ami de celle qu’on accuse… Ce doute, je veux l’éclaircir.

Il sonna; l’officier de service parut.

– Qu’on voie, dit le roi, si Mme la princesse de Lamballe n’est pas chez la reine, ou dans son appartement à elle-même.

– Sire, Mme de Lamballe se promène dans le petit jardin avec Sa Majesté la reine et une autre dame.

– Priez Mme la princesse de monter ici sur-le-champ.

L’officier partit.

– Maintenant, messieurs, encore dix minutes; je ne saurais prendre un parti jusque-là.

Et Louis XVI, contre son habitude, fronça le sourcil et lança sur les deux témoins de sa profonde douleur un regard presque menaçant.

Les deux témoins gardèrent le silence. M. de Crosne avait une tristesse réelle, M. de Provence avait une affectation de tristesse qui se fût communiquée au dieu Momus en personne.

Un léger bruit de soie derrière les portes avertit le roi que la princesse de Lamballe approchait.

Chapitre 36

La princesse de Lamballe

La princesse de Lamballe entra, belle et calme, le front découvert, les boucles éparses de sa haute coiffure rejetées fièrement hors des tempes, ses sourcils noirs et fins comme deux traits de sépia, son œil bleu, limpide, dilaté, plein de nacre, son nez droit et pur, ses lèvres chastes et voluptueuses à la fois: toute cette beauté, sur un corps d’une beauté sans rivale, charmait et imposait.

La princesse apportait avec elle, autour d’elle, ce parfum de vertu, de grâce, d’immatérialité, que La Vallière répandit avant sa faveur et depuis sa disgrâce.

Quand le roi la vit venir, souriante et modeste, il se sentit pénétré de douleur.

«Hélas! pensa-t-il, ce qui sortira de cette bouche sera une condamnation sans appel.»

– Asseyez-vous, dit-il, princesse, en la saluant profondément.

M. de Provence s’approcha pour lui baiser la main.

Le roi se recueillit.

– Que souhaite de moi Votre Majesté? dit la princesse avec la voix d’un ange.

– Un renseignement, madame; un renseignement précis, ma cousine.

– J’attends, sire.

– Quel jour êtes-vous allée, en compagnie de la reine, à Paris? Cherchez bien.

M. de Crosne et le comte de Provence se regardèrent surpris.

– Vous comprenez, messieurs, dit le roi; vous ne doutez pas, vous, je doute encore, moi; par conséquent j’interroge comme un homme qui doute.

– Mercredi, sire, répliqua la princesse.

– Vous me pardonnez, continua Louis XVI; mais, ma cousine, je désire savoir la vérité.

– Vous la connaîtrez en questionnant, sire, dit simplement Mme de Lamballe.

– Qu’allâtes-vous faire à Paris, ma cousine?

– J’allai chez M. Mesmer, place Vendôme, sire.