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– Madame!

– Est-ce que les Anglais, continua la reine qui s’animait par degrés, ne vous ont pas envoyé aussi leurs colères de flamme et de mitraille, colères dangereuses pour la vie, n’est-ce pas? Mais que vous importe, à vous? Vous êtes sauf, vous êtes fort; et à cause de cette colère des ennemis que vous avez vaincus, le roi vous a félicité, caressé, le peuple sait votre nom et l’aime.

– Eh bien! madame? murmura Charny, qui voyait avec crainte cette fièvre exalter insensiblement les nerfs de Marie-Antoinette.

– À quoi j’en veux arriver? dit-elle, le voici: bénis soient les ennemis qui lancent sur nous la flamme, le fer, l’onde écumante; bénis soient les ennemis qui ne menacent que de la mort!

– Mon Dieu! madame, répliqua Charny, il n’y a pas d’ennemis pour Votre Majesté – il n’y en a pas plus que de serpents pour l’aigle. Tout ce qui rampe en bas attaché au sol ne gêne pas ceux qui planent dans les nuages.

– Monsieur, se hâta de répondre la reine, vous êtes je le sais, revenu sain et sauf de la bataille; sorti sain et sauf de la tempête, vous en êtes sorti triomphant et aimé; tandis que ceux dont un ennemi, comme nous en avons nous autres, salit la renommée avec sa bave de calomnie, ceux-là ne courent aucun risque de la vie, c’est vrai, mais ils vieillissent après chaque tempête; ils s’habituent à courber le front, dans la crainte de rencontrer, ainsi que j’ai fait aujourd’hui, la double injure des amis et des ennemis fondue en une seule attaque. Et puis, monsieur, si vous saviez combien il est dur d’être haï!

Andrée attendit avec anxiété la réponse du jeune homme; elle tremblait qu’il ne répliquât par la consolation affectueuse que semblait solliciter la reine.

Mais Charny, tout au contraire, essuya son front avec son mouchoir, chercha un point d’appui sur le dossier d’un fauteuil et pâlit.

La reine, le regardant:

– Ne fait-il pas trop chaud, ici? dit-elle.

Madame de La Motte ouvrit la fenêtre avec sa petite main, qui secoua l’espagnolette comme eût fait le poing vigoureux d’un homme. Charny but l’air avec délices.

– Monsieur est accoutumé au vent de la mer, il étouffera dans les boudoirs de Versailles.

– Ce n’est point cela, madame, répondit Charny, mais j’ai un service à deux heures, et à moins que Sa Majesté ne m’ordonne de rester…

– Non pas, monsieur, dit la reine; nous savons ce que c’est qu’une consigne, n’est-ce pas, Andrée?

Puis se retournant vers Charny, et avec un ton légèrement piqué:

– Vous êtes libre, monsieur, dit-elle.

Et elle congédia le jeune officier du geste.

Charny salua en homme qui se hâte et disparut derrière la tapisserie.

Au bout de quelques secondes, on entendit dans l’antichambre comme une plainte, et comme le bruit que font plusieurs personnes en se pressant.

La reine se trouvait près de la porte, soit par hasard, soit qu’elle eût voulu suivre des yeux Charny, dont la retraite précipitée lui avait paru extraordinaire.

Elle leva la tapisserie, poussa un faible cri et parut prête à s’élancer.

Mais Andrée, qui ne l’avait pas perdue de vue, se trouva entre elle et la porte.

_ Oh! madame! fit-elle.

La reine regarda fixement Andrée, qui soutint fermement ce regard.

Madame de La Motte allongea la tête.

Entre la reine et André était un léger intervalle, et par cet intervalle, elle put voir monsieur de Charny évanoui, auquel les serviteurs et les gardes portaient secours.

La reine, voyant le mouvement de madame de La Motte, referma vivement la porte.

Mais trop tard; madame de La Motte avait vu.

Marie-Antoinette, le sourcil froncé, la démarche pensive, alla se rasseoir dans son fauteuil; elle était en proie à cette préoccupation sombre qui suit toute émotion violente. On n’eût pas dit qu’elle se doutât qu’on vécût autour d’elle.

Andrée, de son côté, quoique restée debout et appuyée à un mur, ne semblait pas moins distraite que la reine.

Il se fit un moment de silence.

– Voilà quelque chose de bizarre, dit tout haut et tout à coup la reine, dont la parole fit tressaillir ses deux compagnes surprises, tant cette parole était inattendue: monsieur de Charny me paraît douter encore…

Douter de quoi, madame? demanda Andrée.

– Mais de mon séjour au château la nuit de ce bal.

– Oh! madame.

– N’est-ce pas, comtesse, n’est-ce pas que j’ai raison, dit la reine, et que monsieur de Charny doute encore?

– Malgré la parole du roi? Oh! c’est impossible, madame, fit Andrée.

– On peut penser que le roi est venu par amour-propre à mon secours. Oh! il ne croit pas! non, il ne croit pas! c’est facile à voir.

Andrée se mordit les lèvres.

– Mon frère n’est point si incrédule que monsieur de Charny, dit-elle; il paraissait bien convaincu, lui.

– Oh! ce serait mal, continua la reine, qui n’avait point écouté la réponse d’Andrée. Et, dans ce cas-là, ce jeune homme n’aurait point le cœur droit et pur comme je le pensais.

Puis frappant dans ses mains avec colère:

– Mais au bout du compte, s’écria-t-elle, s’il a vu, pourquoi croirait-il? Monsieur le comte d’Artois aussi a vu, monsieur Philippe aussi a vu, il le dit du moins; tout le monde avait vu, et il a fallu la parole du roi pour qu’on croie ou plutôt pour qu’on fasse semblant de croire. Oh! il y a quelque chose sous tout cela, quelque chose que je dois éclaircir, puisque nul n’y songe. N’est-ce pas, Andrée, qu’il faut que je cherche et découvre la raison de tout ceci?

– Votre Majesté a raison, dit Andrée, et je suis sûre que madame de La Motte est de mon avis, et qu’elle pense que Votre Majesté doit chercher jusqu’à ce qu’elle trouve. N’est-ce pas, madame?

Madame de La Motte, prise au dépourvu, tressaillit et ne répondit pas.

– Car enfin, continua la reine, on dit m’avoir vue chez Mesmer.

– Votre Majesté y était, se hâta de dire madame de La Motte avec un sourire.

– Soit, répondit la reine, mais je n’y ai point fait ce que dit le pamphlet. Et puis, on m’a vue à l’Opéra, et là je n’y étais point.

Elle réfléchit; puis tout à coup et vivement:

– Oh! s’écria-t-elle, je tiens la vérité.

– La vérité? balbutia la comtesse.

– Oh! tant mieux! dit Andrée.

– Qu’on fasse venir monsieur de Crosne, interrompit joyeusement la reine à madame de Misery qui entra.

Chapitre 39

Monsieur de Crosne

Monsieur de Crosne, qui était un homme fort poli, se trouvait on ne peut plus embarrassé depuis l’explication du roi et de la reine.

Ce n’est pas une médiocre difficulté que la parfaite connaissance de tous les secrets d’une femme, surtout quand cette femme est la reine, et qu’on a mission de prendre les intérêts d’une couronne et le soin d’une renommée.

Monsieur de Crosne sentit qu’il allait porter tout le poids d’une colère de femme et d’une indignation de reine; mais il s’était courageusement retranché dans son devoir, et son urbanité bien connue devait lui servir de cuirasse pour amortir les premiers coups.

Il entra paisiblement, le sourire sur les lèvres.

La reine, elle, ne souriait pas.

– Voyons, monsieur de Crosne, dit-elle, à notre tour de nous expliquer.

– Je suis aux ordres de Votre Majesté.

– Vous devez savoir la cause de tout ce qui m’arrive, monsieur le lieutenant de police!

Monsieur de Crosne regarda autour de lui d’un air un peu effaré.

– Ne vous inquiétez pas, poursuivit la reine: vous connaissez parfaitement ces deux dames: vous connaissez tout le monde, vous.

– À peu près, dit le magistrat; je connais les personnes, je connais les effets, mais je ne connais pas la cause de ce dont parle Votre Majesté.