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Bossange salua.

– Les connaissez-vous, ces diamants, comtesse? s’écria la reine avec un regard à l’adresse de Jeanne.

– Non, madame.

– De beaux diamants!… C’est dommage que ces messieurs ne les aient point apportés.

– Les voici, fit Bossange avec empressement.

Et il tira du fond de son chapeau, qu’il portait sous son bras, la petite boîte plate qui renfermait cette parure.

– Voyez, voyez, comtesse, vous êtes femme, cela vous amusera, dit la reine.

Et elle s’écarta un peu du guéridon de Sèvres sur lequel Bœhmer venait d’étaler avec art le collier, de façon que le jour, en frappant les pierres, en fît jaillir les feux d’un plus grand nombre de facettes.

Jeanne poussa un cri d’admiration. Et de fait, rien n’était plus beau; on eût dit une langue de feux, tantôt verts et rouges, tantôt blancs comme la lumière elle-même. Bœhmer faisait osciller l’écrin et ruisseler les merveilles de ces flammes liquides.

– Admirable! admirable! s’écria Jeanne en proie au délire d’une admiration enthousiaste.

– Quinze cent mille livres qui tiendraient dans le creux de la main, répliqua la reine avec l’affectation d’un flegme philosophique que monsieur Rousseau de Genève eût déployé en pareille circonstance.

Mais Jeanne vit autre chose dans ce dédain que le dédain lui-même, car elle ne perdit pas l’espoir de convaincre la reine, et après un long examen:

– Monsieur le joaillier avait raison, dit-elle; il n’y a au monde qu’une reine digne de porter ce collier, c’est Votre Majesté.

– Cependant, Ma Majesté ne le portera pas, répliqua Marie-Antoinette.

– Nous n’avons pas dû le laisser sortir de France, madame, sans venir déposer aux pieds de Votre Majesté tous nos regrets. C’est un joyau que toute l’Europe connaît maintenant et qu’on se dispute. Que telle ou telle souveraine s’en pare au refus de la reine de France, notre orgueil national le permettra, quand vous, madame, vous aurez encore une fois, définitivement, irrévocablement refusé.

– Mon refus a été prononcé, répondit la reine. Il a été public. On m’a trop louée pour que je m’en repente.

– Oh! madame, dit Bœhmer, si le peuple a trouvé beau que Votre Majesté préférât un vaisseau à un collier, la noblesse, qui est française aussi, n’aurait pas trouvé surprenant que la reine de France achetât un collier après avoir acheté un vaisseau.

– Ne parlons plus de cela, fit Marie-Antoinette en jetant un dernier regard à l’écrin.

Jeanne soupira, pour aider le soupir de la reine.

– Ah! vous soupirez, vous, comtesse. Si vous étiez à ma place, vous feriez comme moi.

– Je ne sais pas, murmura Jeanne.

– Avez-vous bien regardé? se hâta de dire la reine.

– Je regarderais toujours, madame.

– Laissez cette curieuse, messieurs; elle admire. Cela n’ôte rien aux diamants; ils valent toujours quinze cent mille livres, malheureusement.

Ce mot-là sembla une occasion favorable à la comtesse.

La reine regrettait, donc elle avait eu envie. Elle avait eu envie, donc elle devait désirer encore, n’ayant pas été satisfaite. Telle était la logique de Jeanne, il faut le croire, puisqu’elle ajouta:

– Quinze cent mille livres, madame, qui, à votre col, feraient mourir de jalousie toutes les femmes, fussent-elles Cléopâtre, fussent-elles Vénus.

Et, saisissant dans l’écrin le royal collier, elle l’agrafa si habilement, si prestidigieusement sur la peau satinée de Marie-Antoinette, que celle-ci se trouva en un clin d’œil inondée de phosphore et de chatoyantes couleurs.

– Oh! Votre Majesté est sublime ainsi, dit Jeanne.

Marie-Antoinette s’approcha vivement d’un miroir: elle éblouissait.

Son col fin et souple autant que celui de Jeanne Gray, ce col mignon comme le tube d’un lis, destiné comme la fleur de Virgile à tomber sous le fer, s’élevait gracieusement avec ses boucles dorées et frisées du sein de ce flot lumineux.

Jeanne avait osé découvrir les épaules de la reine, en sorte que les derniers rangs du collier tombaient sur sa poitrine de nacre. La reine était radieuse, la femme était superbe. Amants ou sujets, tout se fût prosterné.

Marie-Antoinette s’oublia jusqu’à s’admirer ainsi. Puis, saisie de crainte, elle voulut arracher le collier de ses épaules.

– Assez, dit-elle, assez!

– Il a touché Votre Majesté, s’écria Bœhmer, il ne peut plus convenir à personne.

– Impossible, répliqua fermement la reine. Messieurs, j’ai un peu joué avec ces diamants, mais prolonger le jeu, ce serait une faute.

– Votre Majesté a tout le temps nécessaire pour s’accoutumer à cette idée, glissa Bœhmer à la reine; demain nous reviendrons.

– Payer tard, c’est toujours payer. Et puis, pourquoi payer tard? Vous êtes pressés. On vous paie sans doute plus avantageusement.

– Oui, Votre Majesté, comptant, riposta le marchand redevenu marchand.

– Prenez! prenez! s’écria la reine; dans l’écrin les diamants. Vite! vite!

– Votre Majesté oublie peut-être qu’un pareil joyau, c’est de l’argent, et que dans cent ans le collier vaudra toujours ce qu’il vaut aujourd’hui.

– Donnez-moi quinze cent mille livres, comtesse, répliqua en souriant forcément la reine, et nous verrons.

– Si je les avais, s’écria celle-ci; oh…

Elle se tut. Les longues phrases ne valent pas toujours une heureuse réticence.

Bœhmer et Bossange eurent beau mettre un quart d’heure à serrer, à cadenasser leurs diamants, la reine ne bougea plus.

On voyait à son air affecté, à son silence, que l’impression avait été vive, la lutte pénible.

Selon son habitude, dans les moments de dépit, elle allongea les mains vers un livre, dont elle feuilleta quelques pages sans lire.

Les joailliers prirent congé en disant:

– Votre Majesté a refusé?

– Oui… et oui, soupira la reine, qui, cette fois, soupira pour tout le monde.

Ils sortirent.

Jeanne vit que le pied de Marie-Antoinette s’agitait au-dessus du coussin de velours dans lequel son empreinte était marquée encore.

Elle souffre, pensa la comtesse immobile.

Tout à coup la reine se leva, fit un tour dans sa chambre, et s’arrêtant devant Jeanne dont le regard la fascinait:

– Comtesse, dit-elle d’une voix brève, il paraît que le roi ne viendra pas. Notre petite supplique est remise à une prochaine audience.

Jeanne salua respectueusement et se recula jusqu’à la porte.

– Mais je penserai à vous, ajouta la reine avec bonté.

Jeanne appuya ses lèvres sur sa main, comme si elle y déposait son cœur, et sortit, laissant Marie-Antoinette toute possédée de chagrins et de vertiges.

«Les chagrins de l’impuissance, les vertiges du désir, se dit Jeanne. Et elle est la reine! Oh! non! elle est femme!»

La comtesse disparut.

Chapitre 41

Deux ambitions qui veulent passer pour deux amours

Jeanne aussi était femme, et sans être reine.

Il en résulta qu’à peine dans sa voiture, Jeanne compara ce beau palais de Versailles, ce riche et splendide ameublement, à son quatrième étage de la rue Saint-Claude, ces laquais magnifiques à sa vieille servante.

Mais presque aussitôt l’humble mansarde et la vieille servante s’enfuirent dans l’ombre du passé, comme une de ces visions qui, n’existant plus, n’ont jamais existé, et Jeanne vit sa petite maison du faubourg Saint-Antoine si distinguée, si gracieuse, si confortable, comme on dirait de nos jours, avec ses laquais moins brodés que ceux de Versailles, mais aussi respectueux, aussi obéissants.

Cette maison et ces laquais, c’était son Versailles à elle; elle y était non moins reine que Marie-Antoinette, et ses désirs formés, pourvu qu’elle sût les borner, non pas au nécessaire, mais au raisonnable, étaient aussi bien et aussi vite exécutés que si elle eût tenu le sceptre.