Charny le détrompa bientôt; il ressemblait à ces fers rougis au feu dont la teinte s’affaiblit à l’œil à mesure que la chaleur diminue d’intensité. Le fer est noir et ne parle plus à la vue, mais il est encore assez brûlant pour dévorer tout ce qu’on lui présentera.
Louis vit le jeune homme reprendre son calme et sa logique des bons jours. Charny fut réellement si raisonnable qu’il se crut obligé d’expliquer au médecin le brusque changement de sa résolution.
– La reine, dit-il, m’a plus guéri en me faisant honte, que votre science, cher docteur, ne l’eût fait avec d’excellents remèdes; me prendre par l’amour-propre, voyez-vous, c’est me dompter comme on dompte un cheval avec un mors.
– Tant mieux, tant mieux, murmurait le docteur.
– Oui, je me souviens qu’un Espagnol, ils sont assez vantards, me disait un jour pour me prouver sa force de volonté, qu’il lui avait suffi, dans un duel où il était blessé, de vouloir retenir son sang, pour que le sang ne coulât pas et ne réjouît pas l’œil de l’adversaire. J’ai ri de cet Espagnol, cependant je suis un peu comme lui; si ma fièvre, si ce délire que vous me reprochez voulaient reparaître, je les chasserais, je gage, en disant: délire et fièvre, vous ne reparaîtrez plus.
– Nous avons des exemples de ce phénomène, dit gravement le docteur. Toutefois, permettez-moi de vous féliciter. Vous voilà guéri moralement?
– Oh! oui.
– Eh bien! vous ne tarderez pas à voir tout le rapport qu’il y a entre le moral et le physique de l’homme. C’est une belle théorie que je rédigerais en livre si j’avais le temps. Sain d’esprit, vous serez sain de corps en huit jours.
– Cher docteur, merci.
– Et pour commencer vous allez donc partir?
– Quand il vous plaira. Tout de suite.
– Attendons ce soir. Modérons-nous. Procéder par les extrêmes, c’est risquer toujours.
– Attendons au soir, docteur.
– Irez-vous loin?
– Au bout du monde, s’il le faut.
– C’est trop loin pour une première sortie, dit le docteur avec le même flegme. Contentons–nous de Versailles d’abord, hein?
– Versailles soit, puisque vous le voulez.
– Il me semble, dit le docteur, que ce n’est pas une raison pour vous expatrier, que d’être guéri de votre blessure.
Ce sang-froid étudié acheva de mettre Charny sur ses gardes.
– C’est vrai, docteur, j’ai une maison à Versailles.
– Eh bien! voilà notre affaire: on vous y portera ce soir.
– C’est que vous ne m’avez pas bien compris, docteur. Je désirais faire un tour dans mes terres.
–Ah! dites donc cela. Vos terres, que diable! mais vos terres ne sont pas au bout du monde.
– Elles sont sur les frontières de Picardie, à quinze ou dix-huit lieues d’ici.
– Vous voyez bien!
Charny serra la main du docteur, comme pour le remercier de toutes ses délicatesses.
Le soir, ces quatre valets qu’il avait si rudement éconduits lors de leur première tentative emportèrent Charny jusqu’à son carrosse, qui l’attendait au guichet des communs.
Le roi, ayant chassé toute la journée, venait de souper et dormait. Charny, un peu préoccupé de partir sans prendre congé, fut pleinement rassuré par le docteur, qui promit d’excuser le départ en le motivant par un besoin de changement.
Charny, avant d’entrer dans son carrosse, se donna la douloureuse satisfaction de regarder jusqu’au dernier moment les fenêtres de l’appartement de la reine. Nul ne pouvait le voir. Un des laquais, portant un flambeau à la main, éclairait le chemin, sans éclairer la physionomie.
Charny ne rencontra sur les degrés que plusieurs officiers, ses amis, prévenus assez à temps pour que le départ n’eût pas l’air d’une fuite.
Escorté jusqu’au carrosse par ces joyeux compagnons, Charny put permettre à ses yeux d’errer sur les fenêtres: celles de la reine resplendissaient de lumière. Sa Majesté, un peu souffrante, avait reçu les dames dans sa chambre à coucher.
Celles d’Andrée, mornes et noires, cachaient derrière le pli des rideaux de damas une femme tout anxieuse, toute palpitante, qui suivait sans être aperçue jusqu’au mouvement du malade et de son escorte.
Le carrosse partit enfin, mais si lentement qu’on entendait chaque fer des chevaux sur le pavé sonore.
– S’il n’est pas à moi, murmura Andrée, il n’est plus à personne, du moins.
– S’il lui reprend des envies de mourir, dit le docteur en entrant chez lui, au moins ne mourra-t-il ni chez moi ni dans mes mains. Diantre soit des maladies de l’âme! On n’est pas le médecin d’Antiochus et de Stratonice pour guérir ces maladies-là.
Charny arriva sain et sauf à sa maison. Le docteur lui vint rendre visite le soir, et le trouva si bien, qu’il se hâta d’annoncer que ce serait la dernière visite qu’il lui ferait.
Le malade soupa d’un blanc de poulet et d’une cuillerée de confitures d’Orléans.
Le lendemain, il reçut la visite de son oncle, monsieur de Suffren, la visite de monsieur de La Fayette, celle d’un envoyé du roi. Il en fut à peu près de même le surlendemain, et puis on ne s’occupa plus de lui.
Il se levait et marchait dans son jardin.
Au bout de huit jours, il pouvait monter un cheval de paisible allure; ses forces étaient revenues. Sa maison n’étant pas encore assez délaissée, il demanda au médecin de son oncle et fit demander au docteur Louis l’autorisation de partir pour ses terres.
Louis répondit de confiance que la locomotion était le dernier degré de la médication des blessures; que monsieur de Charny avait une bonne chaise, et que la route de Picardie était unie comme un miroir, et que demeurer à Versailles, quand on pouvait si bien et si heureusement voyager, serait folie.
Charny fit charger un gros fourgon de bagages; il offrit ses adieux au roi, qui le combla de bontés, pria monsieur de Suffren de présenter ses respects à la reine, ce soir-là malade, et qui ne recevait pas. Puis, montant dans sa chaise à la porte même du château royal, il partit pour la petite ville de Villers-Cotterêts, d’où il devait gagner le château de Boursonnes, situé à une lieue de cette petite ville qu’illustraient déjà les premières poésies de Demoustier.
Chapitre 8
Deux cœurs saignants
Le lendemain du jour où la reine avait été surprise par Andrée fuyant Charny, agenouillé devant elle, mademoiselle de Taverney entra suivant son habitude dans la chambre royale, à l’heure de la petite toilette, avant la messe.
La reine n’avait pas encore reçu de visite. Elle venait seulement de lire un billet de madame de La Motte, et son humeur était riante.
Andrée, plus pâle encore que la veille, avait dans toute sa personne ce sérieux et cette froide réserve qui appelle l’attention, et force les plus grands à compter avec les plus petits.
Simple, austère pour ainsi dire dans sa toilette, Andrée ressemblait à une messagère de malheur, ce malheur fût-il pour elle ou pour d’autres.
La reine était dans ses jours de distractions; aussi ne prit-elle point garde à cette démarche lente et grave d’Andrée, à ses yeux rougis, à la blancheur de ses tempes et de ses mains.
Elle tourna la tête tout juste autant qu’il fallait pour faire entendre son salut amical.
– Bonjour, petite.
Andrée attendit que la reine lui donnât une occasion de partir. Elle attendit, bien sûre que son silence, que son immobilité, finiraient par attirer les yeux de Marie-Antoinette.
Ce fut ce qui arriva. Ne recevant point de réponse autre qu’une grande révérence, la reine se tourna, et obliquement, aperçut ce visage frappé de douleur et de rigidité.
– Mon Dieu! qu’y a-t-il, Andrée? fit-elle en se retournant tout à fait; est-ce qu’il t’arrive malheur?
– Un grand malheur, oui, madame, répondit la jeune femme.
– Quoi donc?
– Je vais quitter Votre Majesté.