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— Pour le coup, cela relève de la gendarmerie ! Avez-vous tenté l’aventure ?

— Vous êtes gracieux, vous ! s’indigna Plan-Crépin. Si c’est à moi que vous faites allusion, je vous rappelle que je ne suis pas une inconnue pour eux, pas plus que notre marquise. Recevoir de la grenaille de plomb est presque aussi désagréable que des balles. Nous sommes confrontées à une véritable forteresse.

— Je n’en doute pas. Et si vous me montriez votre poste d’observation ?

On se leva de table et les dames réintégrèrent le salon où elles trouvèrent Honorine occupée à lire l’office du soir. En effet, elle ne participait aux repas que lorsqu’il n’y avait pas jeûne ou abstinence. De son côté, Marie-Angéline conduisit Adalbert dans la chambre de Mme de Sommières où la longue-vue de l’amiral arracha à celui-ci un sifflement admiratif :

— Vous êtes outillées, on dirait ?

— Oui, mais ça ne nous avance pas à grand-chose.

Pendant de longues minutes, Adalbert examina le château ennemi. La chance était avec lui car, pendant le dîner, un fort vent d’ouest s’était levé, balayant les nuages de pluie, nettoyant la nuit redevenue claire. Il ne put que vérifier ce qu’on lui avait dit : aucune lumière à aucune des fenêtres dont l’opacité annonçait des volets intérieurs. Aucun signe de vie. Même au-dessus des cheminées où ne se montrait aucune fumée…

— On jurerait que cette baraque est vide ! J’ai bien envie d’y aller voir !

— Maintenant ?

— Pourquoi pas ? Je laisserai la voiture dans le bosquet que l’on aperçoit sur la droite. Et les murs n’ont pas l’air tellement hauts.

— Alors je vais avec vous. Et inutile de perdre du temps à discuter ! Il vous faut quelqu’un pour faire le guet.

Adalbert connaissait suffisamment Plan-Crépin pour savoir qu’il se fatiguerait à discuter. Quelques minutes plus tard, équipée d’une des « tenues de campagne » de Prisca, un béret noir cachant ses cheveux, munie d’un fusil et sa vaste poche lestée d’une poignée de cartouches, elle prenait place dans la voiture en compagnie d’Adalbert.

La distance était courte entre Saint-Adour et le petit bois repéré par Adalbert. On y cacha l’automobile puis on se mit en marche. Plan-Crépin le fusil à l’épaule et Adalbert nanti d’un rouleau de corde, ils atteignirent rapidement le mur d’enceinte d’Urgarrain et entreprirent d’en faire le tour afin de s’assurer qu’il n’existait pas d’autre ouverture que la grille d’entrée. Mais il n’y en avait aucune. Pas même une porte dérobée qui n’eût guère opposé de difficultés aux doigts agiles de l’archéologue.

— On va être obligés d’escalader ! chuchota-t-il. Ce gros chêne dont les branches débordent me semble le moyen adéquat. Je vais vous hisser sur mes épaules et là-haut vous attacherez la corde à l’arbre, de façon qu’un bout retombe de chaque côté. Je… je commence à manquer d’entraînement.

La nuit cacha le sourire goguenard de Marie-Angéline qui se garda prudemment de demander de quand datait sa dernière escalade de pyramide.

— Bah, fit-elle, bonne fille, ça ne s’oublie pas si facilement !

— À condition de ne pas avoir de kilos en trop.

— Allons donc ! Vous êtes mince comme un saule !

— Et en plus elle se f… de moi !

Kilos ou pas, ils se retrouvèrent rapidement assis côte à côte sur le faîte du mur, heureusement dépourvu de ces horreurs du genre tessons de bouteilles ou griffes de fer dont les gens particulièrement méfiants ornent leurs clôtures. De ce perchoir, leurs yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, ils eurent, au-delà d’un mince rideau d’arbres, une vue d’ensemble du château posé comme un défi au sommet d’une pente herbue, où celui qui s’aventurait devait être visible de n’importe quel endroit. Pas le moindre bosquet, pas le moindre buisson permettant une tentative d’approche à couvert.

— Aucun moyen d’avancer sans risquer d’être repéré, grogna Adalbert.

— De qui ? On jurerait qu’il n’y a pas un chat. Tout est bouclé, cadenassé sans doute. Quant aux ouvertures, à l’exception des étroites fenêtres des échauguettes, il n’y en a pas sur cette façade latérale. Elles sont toutes sur le devant ou l’arrière. Mais je pense qu’on doit pouvoir atteindre la maison en piquant droit sur ce flanc gauche. Ce serait bien le diable s’il y avait des yeux dans chacune de ces tourelles. Arrivés là, on peut en rasant les murs et en se baissant à l’endroit des fenêtres faire le tour afin d’examiner l’entrée – celle des cuisines j’imagine – qui ne peut manquer d’exister…

— Et une fois à destination, on fait quoi ? demanda Adalbert, sarcastique. On force la serrure, on entre et on dit « bonsoir la compagnie » ?

— Vous me décevez, Adalbert. Je vous croyais plus imaginatif. Dans le matériel de campagne que vous emportez généralement avec vous, y aurait-il un morceau de cire ?

— C’est vrai, j’en ai toujours un !

— Alors c’est le moment ou jamais de l’employer : on cherche l’entrée des cuisines, on prend une empreinte de la serrure… et on revient un soir prochain !

— Limpide ! On va essayer !

Il se laissa tomber du mur sans se servir de la corde, puis tendit les bras à sa compagne pour l’aider à descendre, mais elle venait à peine de toucher terre quand une sorte de ronflement se fit entendre et, aussitôt, deux énormes chiens noirs surgirent de derrière le château et se ruèrent vers les deux imprudents en aboyant furieusement.

— Grimpez ! ordonna Adalbert en saisissant Marie-Angéline par la taille pour qu’elle attrape la corde le plus haut possible.

Elle fit preuve d’une célérité remarquable et Adalbert la suivit. Il était plus que temps : les deux dogues étaient déjà sur eux et Vidal-Pellicorne laissa un morceau de son pantalon dans la gueule de l’un d’eux, mais en un clin d’œil ils furent de l’autre côté du mur en prenant soin de récupérer la corde. Sans s’attarder à regarder derrière eux, ils se précipitèrent dans le bois. Encore un instant et ils retrouvaient la petite route qu’ils dévalèrent, moteur éteint, freins desserrés jusqu’au village, hors de portée des regards des occupants d’Urgarrain. En dépit de la rapidité de leur fuite, ils avaient perçu les deux coups de fusil tirés dans leur direction.

— Une maison vide, hein ? ragea Marie-Angéline.

— Ce n’était qu’une impression… Et puis il n’est pas défendu de rêver !

Ils restèrent un long moment, assis dans la voiture, à écouter décroître les battements de leurs cœurs. Finalement, elle soupira :

— On ferait mieux de rentrer. Nos dames ont dû entendre les détonations et se font certainement du souci.

Pour seule réponse, Adalbert mit la voiture en marche et l’on revint à Saint-Adour. Comme prévu, on les attendait dans l’anxiété. Craignant que l’un d’eux ne fût blessé et que celui-là fût Vidal-Pellicorne, Prisca avait fait préparer une chambre :

— Vous n’allez pas rentrer cette nuit à Biarritz ! déclara-t-elle. Ainsi vous aurez la récompense de voir ce damné château au grand jour.

Fatigué, il accepta et l’on se retrouva dans la cuisine pour une tournée de vin chaud aux herbes de la montagne dont Honorine conservait jalousement le secret.

— C’est à la fois apaisant et réconfortant, annonça-t-elle.

— De toute façon c’est très bon ! apprécia Mme de Sommières, qui cependant ne buvait jamais que du champagne. Au fait, Adalbert, avez-vous eu des nouvelles d’Aldo depuis son départ ?