Une fois Louise déposée sur son lit – la couverture était faite et une chemise de nuit de crêpe de Chine blanche disposée sur l’oreiller –, les deux hommes se retirèrent. Adalbert ayant annoncé qu’il attendrait la sœur salutiste pour la rapatrier, Ramon se hâta de lui proposer quelque chose à boire et il accepta un whisky.
— Il y a le nécessaire dans le salon à côté de l’entrée, à main droite. Le meuble sur lequel sont posés les flacons est un réfrigérateur, le renseigna cet homme qui, à l’évidence, brûlait d’envie de regagner son lit.
Adalbert l’y encouragea :
— Inutile que vous perdiez votre nuit entière. En repartant, je jetterai les clefs dans la boîte aux lettres…
— Oh ! Je remercie mille fois Monsieur ! J’ai eu une lourde journée de nettoyage, Madame étant très stricte sur le moindre grain de poussière.
— Le contraire m’eût étonné ! Dormez bien, mon ami !
N’étant encore jamais entré dans la maison, Adalbert, un verre en main, commença par visiter le rez-de-chaussée pour calmer son énervement croissant. Il était impatient de monter voir ce que faisait Marie-Angéline. Au bout d’un moment qui lui parut durer un siècle, il n’y tint plus, grimpa l’escalier – couvert d’un large chemin en moquette bleue – sans faire le moindre bruit et alla gratter discrètement à la porte. Ne recevant pas de réponse, il recommença, puis une troisième fois et, inquiet finalement, se décida à ouvrir. Mme Timmermans reposait paisiblement dans sa chemise blanche et dans son lit rose, une veilleuse allumée à son chevet… mais Marie-Angéline était invisible…
Il referma précautionneusement la porte, s’avança dans la chambre, appela de nouveau… et cette fois sa complice lui apparut dans l’encadrement d’une porte donnant sur la pièce voisine qui devait être un boudoir. Elle était pâle comme une morte mais, entre ses mains, elle tenait le coffret de cuir bleu frappé de la couronne et du chiffre impériaux :
— Vous l’avez trouvé ? fit-il joyeusement, sotto voce.
— Oui… mais je n’ose pas l’ouvrir. L’émotion, je pense !
— Donnez-le-moi !
Il posa l’objet sur un guéridon, l’ouvrit en tira l’éventail qu’il tendit à sa comparse puis examina le fond. Si les émeraudes avaient une chance de se trouver quelque part, c’était là, mais la boîte était gainée de velours blanc et il semblait difficile de l’ouvrir sans découper le tissu. Le travail avait été exécuté à la perfection et, à moins d’être au courant, personne n’aurait eu l’idée d’aller regarder là-dessous…
— Comment allez-vous faire ? chuchota Marie-Angéline.
— Il va falloir couper à l’endroit le moins visible…
En vue d’une opération de ce genre, il s’était muni d’un scalpel de chirurgien et choisit de l’enfoncer dans le côté de l’ouverture. Le velours se trancha net, ce qui permit à Adalbert de constater qu’il était collé au fond et non simplement tendu. À cet instant, Louise s’agita dans son lit, balbutiant quelques mots incompréhensibles. Le cœur battant, Plan-Crépin se précipita, tâta le front de la dormeuse, ce qui dut la gêner car elle se tourna de l’autre côté…
Pendant ce temps, Adalbert avait incisé une infime partie des parois latérales, suffisamment pour pouvoir glisser ses doigts agiles dans l’ouverture. Soudain il se redressa :
— Regardez !
Accrochées à sa main droite légèrement tremblante, les cinq émeraudes captèrent la lumière qui anima aussitôt les profondeurs d’une merveilleuse teinte d’un vert aussi changeant que celui de l’océan. Sous le choc de la découverte, Marie-Angéline tomba à genoux !
— Le collier sacré ! Mon Dieu !
— À cela près que, comme je le pensais, les ornements d’or qui séparaient chaque pierre ont été remplacés par une simple chaîne d’or. Maintenant il s’agit de tout remettre en ordre.
Il prit dans sa poche cinq cailloux, satisfait de constater qu’il avait visé juste et qu’ils étaient d’une grosseur à peu près égale aux émeraudes, et, avec une infinie délicatesse, il les introduisit dans la cachette, remit la charpie de tissu destinée à empêcher les pierres de rouler, ce qui n’eût pas manqué d’attirer l’attention. La baronne Reichenberg avait décidément fait preuve d’un art achevé. Il peaufina son ouvrage, lissa les minuscules poils du velours recouvrant le fond, cachant ainsi les traits du scalpel, replaça l’éventail, referma le coffret et le rendit à Marie-Angéline.
— Allez le ranger, souffla-t-il, plus épuisé que s’il avait escaladé la Grande Pyramide.
En même temps, il faisait disparaître le collier dans sa poche avec un extraordinaire soulagement. Quand Plan-Crépin revint, les yeux embués de larmes de joie, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre :
— Ouf ! exhala Marie-Angéline. J’ai eu la plus belle frousse de ma vie ! Mais enfin on l’a !
— Allons boire un verre en bas et filons !
Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier coup d’œil à Mme Timmermans qui continuait de dormir d’un sommeil paisible, voire heureux.
— Je me demande si le résultat est le même avec les taureaux de la cousine Prisca ?
— En tout cas, c’est miraculeux et vous avez eu une idée géniale alors que je pataugeais comme un débutant !
En passant par le salon, ils trinquèrent à leur succès puis abandonnèrent la maison en n’oubliant pas de glisser les clefs dans la boîte aux lettres. Adalbert en profita pour poser la question qui le travaillait depuis un moment :
— Dites-moi, Marie-Angéline, où vous avez déniché ce costume ? Tout de même pas chez la chanoinesse ?
— Simplement chez un loueur de costumes. Il y en a un ici et, avec les nombreuses fêtes qui se donnent chez les particuliers et aux deux casinos, il ne manque pas de demandeurs. À l’origine je voulais un habit de religieuse, Saint-Vincent-de-Paul ou autre, et on m’a proposé celui-là pour son originalité. Il n’est pas absolument fidèle au modèle : les broderies du col sont dorées au lieu d’être rouges. Mais ça a fait l’affaire. Quelle est la suite du programme, à présent ?
— Pas compliqué ! Vous rentrez en taxi chez Mme de Saint-Adour et moi je prends le premier train pour rejoindre Aldo. Nous avons à préparer le dernier acte et, avec l’ennemi que nous avons en face de nous, je crains que ce ne soit pas le plus facile.
— Voulez-vous que nous rentrions aussi, notre marquise et moi ?
— Pas jusqu’à nouvel ordre. À Saint-Adour, vous serez plus en sécurité que nulle part ailleurs… À condition de ne pas vous lancer inconsidérément à la recherche du jeune Faugier-Lassagne…
— Et si pourtant je trouvais un indice ?
— Parlez-en avec vos dames et, au besoin, téléphonez chez moi !
Le train Hendaye-Paris s’arrêtait en gare de Biarritz à huit heures du matin. Quand Adalbert y grimpa, il avait la conscience tranquille. Avant de quitter l’hôtel, il avait fait envoyer à la chère Louise une brassée de roses accompagnée d’une lettre où il regrettait de ne pouvoir rester plus longtemps mais l’assurait qu’il prendrait prochainement de ses nouvelles. Une fois installé dans son compartiment, il déplia le journal du matin, alluma une cigarette et n’y pensa plus. Il était tellement heureux en imaginant la joie d’Aldo quand il lui mettrait le collier dans les mains que cela lui tint compagnie tout le temps du voyage.
Arrivé en gare d’Austerlitz, il sauta dans un taxi et rentra chez lui, rue Jouffroy, pour se débarrasser des bagages. Un bonjour à un Théobald d’autant plus ravi de le revoir qu’il avait trouvé les heures longues et Adalbert se ruait sur le téléphone pour appeler le Ritz. Le standardiste de service lui répondit que le prince Morosini n’était pas dans sa chambre, après quoi il demanda Duroy, le réceptionniste qu’il connaissait et qui le reçut avec un soulagement évident.
— Je suis content de vous entendre, Monsieur Vidal-Pellicorne, car, à ne rien vous cacher, nous sommes un peu en peine de Son Excellence.