L’ami Etchegoyen en question avait, lui, à son actif le sauvetage de Faugier-Lassagne qui s’était approché trop près d’Urgarrain, s’était fait canarder et, en s’enfuyant, était tombé dans sa fosse à fumier. Il l’avait recueilli, soigné et gardé chez lui, en lui conseillant, pour son bien, de laisser croire à sa disparition. En fait, le Basque était le bras droit de Mme de Saint-Adour. C’était lui qui décidait des expéditions, réunissait les hommes et traçait les plans. En outre, il était le seul parent encore vivant – mais fâché ! – du dernier propriétaire d’Urgarrain qu’il avait souhaité acheter au moment de la vente. La maison, il la connaissait comme sa poche dans le moindre recoin. À commencer par la vieille galerie souterraine creusée depuis le Moyen Âge permettant de rejoindre une rive de la Nivelle. Aussi était-il pleinement disposé à exécuter les desseins de la chanoinesse à laquelle le liait une ancienne amitié.
Dès son arrivée à Saint-Jean-de-Luz, Adalbert avait pédalé jusqu’à Saint-Adour, à la suite de quoi Prisca s’était précipitée chez Maxime Etchegoyen qui avait battu le rappel avec la satisfaction que l’on imagine.
Pourtant il n’était pas là ce soir pour fêter la victoire à Saint-Adour. Une fois la cause entendue, la bande s’était dispersée telles les feuilles tombées sous le vent d’automne, emportant les deux blessés de la nuit mais laissant sur le terrain une demi-douzaine de morts. Version officielle : lui et quelques amis s’étaient rendus à Urgarrain à la prière de Mme de Saint-Adour dont un parent venait d’être capturé par les gens du château pour le mettre à rançon… et à mort s’il ne payait pas !
Il n’y avait personne en Pays basque qui ne comprît cela ! On y avait le sens de la famille et le sens de l’honneur !…
Quinze jours plus tard, au Havre, trois hommes, debout sur le quai de la gare maritime, regardaient le paquebot Francequitter le port escorté par un remorqueur pour gagner la haute mer et, loin au-delà de l’horizon, les gratte-ciel de New York. Aldo, Adalbert et François Faugier-Lassagne venaient de faire leurs adieux à Doña Luisa de Vargas y Villahermosa et à sa petite-fille Isabel qui rejoignaient les États-Unis en attendant de préparer leur retour au Mexique.
Elles repartaient blessées, meurtries par leurs deuils mais sereines. Avec elles s’en allait le collier sacré de Montezuma, et c’était leur joie de le ramener au pays. Elles l’avaient exprimée en termes chaleureux à ceux qui s’étaient finalement dévoués pour leur cause.
Quand la sirène du navire eut fait entendre son dernier salut, les trois hommes repartirent vers la ville. À ce moment, le plus jeune dit :
— Je garde une inquiétude : ces maudites émeraudes qui portent sur elles encore plus de sang, ne vont-elles pas leur être néfastes ?
— Sincèrement, je ne le pense pas, répondit Morosini. Elles sont leurs servantes dévouées et leurs mains sont pures, comme l’est, grâce à vous, Isabel, qui leur a voué sa vie. Chassez au moins cette idée de votre esprit. Votre peine est déjà suffisamment lourde à porter.
— C’est vrai. J’aurai du mal à l’oublier… Tellement que je n’aurai sûrement jamais envie de me marier.
— Célibataire comme votre père… ou comme moi ? fit Adalbert. Ce n’est pas le plus mauvais état, croyez-moi ! Évidemment, ce sera peut-être plus difficile dans la haute magistrature lyonnaise où les candidates ne doivent pas vous manquer.
— J’y ai renoncé. Je ne serai jamais procureur de la République…
— Quoi ?
Adalbert s’était exclamé. Aldo, lui, se contenta de sourire tandis que François-Gilles expliquait :
— Même endossé par vous, Adalbert, un meurtre reste un meurtre, et c’est de sang-froid que j’ai tiré sur ce misérable qui allait souiller Isabel. Je ne me reconnais plus le droit de requérir contre qui que ce soit !
— Qu’allez-vous faire ?
Cette fois Aldo se chargea de la réponse :
— Continuer la maison Vauxbrun. Il y a longtemps déjà qu’il est séduit par les beaux objets, singulièrement ceux du XVIIIe siècle. Et sous l’égide d’un mentor comme Richard Bailey, il s’en tirera à merveille ! Et la rue de Lille renaîtra.
Après leur avoir serré rapidement la main, le jeune homme courut à la recherche d’un taxi pour rejoindre la gare où ses bagages l’attendaient à la consigne. Avant de monter dans le véhicule, il se retourna et leur adressa un dernier geste d’au revoir.
— Voilà au moins une bonne nouvelle ! fit Adalbert avec satisfaction. J’aime bien ce garçon…
Les deux compères cheminèrent en silence. Ils avaient décidé de passer la nuit au Havre pour tester les talents d’un restaurateur déjà célèbre… La nuit commençait à tomber et un retour nocturne à Paris ne les tentait ni l’un ni l’autre. Inopinément, Adalbert lâcha :
— Je voudrais tout de même savoir ce que tu es allé fabriquer sous le pont Marie ? Pardon ! Quai Bourbon !
— Je te l’ai dit : voir un ami !
— Tu es sûr que ce n’était pas une amie ? Je ne te savais pas aussi cachottier !
— Toi et ta curiosité ! Excuse-moi mais pour une fois tu resteras sur ta faim. Je ne te dirai rien… sinon que ce n’était pas une femme…
Avec détermination, Aldo releva le col de son manteau et enfonça ses deux mains dans ses poches. Il se laisserait couper en morceaux plutôt que d’avouer s’être rendu, comme une midinette amoureuse, chez un voyant renommé dont lui avait parlé le barman du Ritz ! Et encore !
Saint-Mandé, le 20 septembre 2007.
Pour qui veut en savoir plus
Les émeraudes de Cortés ne sont pas le fruit de mon imagination. Je me suis seulement permis de changer la forme de l’une d’elles pour raison poétique, de même que j’ai changé le nom de la jeune épouse du dernier empereur aztèque. Ces pierres magnifiques ont coulé en baie d’Alger dans la nuit du 24 octobre 1541, avec la galère qui portait le conquistador et ses fils. Ceux-ci purent être sauvés mais perdirent leurs biens dont les fameuses émeraudes. Qui sait si, avec nos moyens d’investigation modernes, elles ne referont pas surface un jour ou l’autre !
1 Sorte de corsage-chemise voltigeant au-dessus de sa jupe étroite.
2 Enlèvement d’un Russe blanc important qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque (1930).
3 Voir Les larmes de Marie-Antoinette.
4 L’archiduc Maximilien, devenu en 1864 empereur du Mexique.
5 Voir L’étoile bleue.
6 Voir Les joyaux de la sorcière.
7 Voir Les émeraudes du prophète.
8 Voir L’opale de Sissi.
9 Voir La perle de l’Empereur.
10 Sorte de guinguette typiquement viennoise.
11 Épouse de Léopold II, elle était née archiduchesse d’Autriche.
12 Voir La perle de l’Empereur.
13 Vincent Meylan, Bijoux de reines , Assouline, 2002.
14 L’Intransigeant.
15 Voir Le boiteux de Varsovie, tome I.
16 La branche autrichienne disparaîtra en 1938, pendant l’Anschluss, sous les coups de la Werhrmacht.
17 Entre 1941 et 1943, le quartier a été entièrement détruit par les nazis et sa population exterminée ou déportée.
18 Voir La perle de l’Empereur.
19 « Toutes (les heures) blessent, la dernière tue. »
20 Voir L’étoile bleueet La rose d’York.