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— Tu t’y retrouves, toi, dans les Rothschild ? gloussa Adalbert.

— Non, avoua Aldo en riant. Il y en a trop. Rien qu’en France, trois branches – et je salue les membres de cette famille qu’il m’arrive de rencontrer dans les grandes ventes de joyaux ou d’objets précieux ! – sans compter les Anglais et les Autrichiens que représente le baron Louis. Encore les deux autres branches, celle de Francfort et celle de Naples, ont-elles disparu (16).

— Grâce ! Ne me délivre pas un cours magistral sur les cinq flèches de leur blason, représentant les cinq fils que le vieux Mayer Amschel, le prêteur de Francfort, a lâchés sur l’Europe à la fin du XVIIIe siècle. Je les connais aussi bien que toi ! Appelle plutôt le Crillon !

Aldo s’exécuta dans l’intention de laisser un message mais, comme il venait de le dire, sa chance semblait tenir bon. Le baron rentrait à l’instant et se montra enthousiaste :

— Quelle heureuse surprise que vous soyez à Paris en même temps que moi, mon cher prince ! J’avais justement l’intention d’aller, demain, saluer Mme de Sommières et Mlle du Plan-Crépin…

— Pardon si je vous choque, mais je voudrais que vous acceptiez seulement de déjeuner avec moi, justement demain si vous êtes libre, et au Ritz… Je vous expliquerai pourquoi. Il serait préférable que l’on ne vous voie pas venir rue Alfred-de-Vigny.

— Ah ! Au ton de votre voix, je devine qu’il se passe quelque chose… peut-être en rapport avec la curieuse disparition de M. Vauxbrun ?

— Exactement !

— En ce cas, voulez-vous demain à treize heures ?

— C’est parfait. Je vous attendrai…

Reposant le combiné, Aldo ajouta :

— Voilà ! On déjeune demain au Ritz à treize heures ! Naturellement tu m’accompagnes ?

— Sûrement pas ! N’oublie pas que tu risques d’être surveillé. De même que tu as eu raison de ne pas le laisser venir chez notre marquise, il vaut mieux que tu sois seul avec lui. Cela paraîtra plus naturel : une rencontre fortuite en quelque sorte… Avec moi, ça devient presque un concile…

Si les circonstances n’avaient été aussi dramatiques, Aldo eût été ravi de revoir le chef de la banque Rothschild autrichienne, parce que c’était un homme selon son cœur, qui, au fil des ans, était devenu un véritable ami. D’autant que les Morosini avaient fait leur voyage de noces sur son yacht. Aussi fut-ce avec un large sourire qu’il le vit pénétrer dans le bar de l’hôtel où il l’attendait, heureux de constater que six années ne l’avaient pas changé. Il est vrai que c’était un personnage hors normes.

Mince, blond, élégant, généreux, cultivé, d’un imperturbable sang-froid, le baron Louis était en outre bourré de talents variés. C’était un savant en botanique et en anatomie ainsi qu’un connaisseur, à la limite de l’expert, dans tous les arts. Grand chasseur devant l’Éternel, il montait à cheval mieux qu’un centaure – il était même l’un des rares cavaliers autorisés à monter les fameux « lipizzans » blancs de l’Ecole espagnole de Vienne – et c’était bien entendu un remarquable joueur de polo. Sans compter ses capacités d’homme d’affaires et de banquier. Et, évidemment, sa fortune était énorme, même si le terme semble faible. Dans ces conditions, on peut comprendre que ce célibataire endurci – il avait plus de quarante ans ! – ait été le point de mire d’une multitude de mères pourvues de filles à marier. Ce qui ne l’empêchait pas d’adorer les femmes et de savoir à merveille s’en faire aimer autant pour son charme que pour sa fastueuse générosité.

— Ce déjeuner avec vous m’enchante, déclara-t-il en s’installant en face de Morosini après avoir répondu au salut de la plupart des hommes présents. J’avais l’intention de faire en mai un tour en Méditerranée et d’aller vous surprendre chez vous…

— Surtout ne changez rien à votre programme ! Vous recevoir sera un réel plaisir pour Lisa et pour moi…

— Quelle femme merveilleuse ! Mais je ne vous demande pas si elle va bien puisqu’elle partage tous vos soucis et il n’est pas difficile de deviner que vous en avez !

— Elle est à Vienne avec les enfants. Ils y sont plus en sécurité que dans une demeure que mes magasins ouvrent à tous les vents…

— C’est aussi grave que cela ?

— Hélas… mais nous en parlerons au déjeuner…

Ils bavardèrent à bâtons rompus en dégustant le cocktail au champagne que leur avait préparé Georges, le chef barman, puis sans se presser se dirigèrent vers le restaurant au seuil duquel le célèbre maître d’hôtel Olivier Dabescat, qui les connaissait l’un et l’autre depuis longtemps, les accueillit avec l’étroit sourire soulignant chez lui une joie extravagante. Il les précéda pour les conduire à la « table discrète » que Morosini avait réservée : au fond de la salle et près de la dernière porte-fenêtre donnant sur le jardin abondamment fleuri de tulipes, de myosotis et de primevères par les jardiniers de l’hôtel.

— C’est parfait, Olivier ! approuva Aldo en s’installant. À présent, qu’avez-vous prévu pour M. le baron et moi ?

La carte du Ritz étant, en effet, assez courte, les habitués avaient coutume de s’en remettre à Dabescat qui, connaissant leurs goûts – ce qui représentait une performance de mémoire ! –, ne se trompait jamais.

— Avec votre approbation : une cassolette de queues d’écrevisses, une escalope de foie gras au beurre noisette et un cœur de charolais Marigny. Pour les vins…

— Laissez-nous la surprise, Olivier ! fit Rothschild. C’est plus amusant…

Débarrassés du choix, les deux hommes parlèrent peinture durant la première partie du repas. L’élégante salle aux boiseries claires se remplissait peu à peu mais Dabescat avait fait en sorte que leur table, protégée d’un côté par le mur et de l’autre par la fenêtre, n’eût pas de trop proches voisins et ce ne fut seulement, après s’en s’être assuré, qu’entre charolais et brie de Meaux, Morosini posa sa question :

— Vous n’ignoriez rien… ou presque des secrets de Simon. Nul n’a été plus proche de lui que vous…

— Je le pense effectivement… et m’en honore. L’avoir connu est un privilège que je suis heureux de partager avec vous et Vidal-Pellicorne qui avez été ses fidèles limiers. Interrogez-moi et si je peux je répondrai…

— Connaissez-vous cet artiste qui a réalisé pour lui les copies des pierres du pectoral ?

— Oui. J’avoue même avoir eu recours à son talent en deux ou trois circonstances et il me semble unique au monde. Vous avez besoin de lui ?

Il ne restait plus à Aldo, soulagé d’un grand poids, qu’à raconter les dessous de l’affaire Vauxbrun et le problème qui se posait à lui. Louis de Rothschild l’écouta sans se manifester avant qu’il n’en vienne à sa décevante quête des éventails.

— Permettez-moi de vous interrompre ! J’ai toutes les possibilités de joindre la reine Élisabeth de Belgique et les autres princesses...

— Jusqu’à les convaincre de vous montrer leurs éventails ?

— Je me fais fort d’y parvenir. Le commun des mortels connaît notre manie collectionneuse à nous autres, Rothschild ! Vous serez au moins rassuré sur ce point. Reste évidemment le dernier éventail dont on ne sait où il se trouve.

— C’est pourquoi j’ai pensé faire copier ce damné collier. Mais le temps imparti se rétrécit comme peau de chagrin…

— Je vais vous donner l’adresse du maître… Vous connaissez Amsterdam, j’imagine ?

— Assez bien.

— C’est là qu’il habite, fit le baron Louis en tirant un carnet de sa poche de poitrine, où il écrivit quelques mots avant de déchirer la feuille. N’hésitez pas à dire que vous venez de ma part…

Pour la première fois depuis pas mal de nuits, Aldo put goûter les joies d’un sommeil paisible. Avant de se coucher, il avait téléphoné à Venise pour prier Guy Buteau de lui envoyer, par le premier train, son secrétaire, Angelo Pisani, avec le livre où était reproduit le collier aux cinq émeraudes maléfiques…