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— Les princes Théodore et Nikita de Russie ! commenta Adalbert. Depuis la révolution d’Octobre, les Romanov se sont mis à coloniser Biarritz. Hier, j’ai vu le grand-duc Alexandre, cousin et beau-frère du tsar dont il a épousé la sœur Xénia, sortir de l’église Saint-Alexandre-Nevski. Il habite une belle villa non loin d’ici, à Bidart, où il écrit un bouquin et s’adonne au spiritisme…

— D’où sors-tu ces connaissances ? émit Aldo, sidéré. Je ne te savais pas si au fait de l’ancienne famille impériale ?

— Figure-toi qu’avant d’avoir l’honneur de te connaître, j’ai vécu un certain nombre d’années… dirais-je… aventureuses. Je suis allé plusieurs fois en Russie avant la guerre.

— Il ne me semble pas qu’on y rencontre énormément de pyramides !

— Ne fais pas l’imbécile. T usais très bien que je ne suis pas seulement égyptologue et qu’il m’est arrivé de servir la France autrement ! Cela fait voir du pays et crée des relations. Ainsi, je peux t’apprendre que dans cet hôtel vit une autre sœur de Nicolas II : Olga, princesse d’Oldenburg, en compagnie d’une collection de poupées... Je l’ai croisée hier et, si tu veux, je te présenterai ?

— Je préfère être aussi discret que possible…

— Erreur magistrale ! Il faut nous comporter comme s’il n’y avait pas d’affaire Vauxbrun. Nous allons évoluer sous les yeux de deux femmes qui nous sont proches et, officiellement, nous venons nous reposer et nous changer les idées. Demain soir, il y a gala au golf de Chiberta et nous irons avec la famille : j’ai retenu une table… Ça va beaucoup plaire à Plan-Crépin.

— Et à Tante Amélie ?

— Elle ? Je parie qu’elle connaît tout le monde !

Peut-être pas tout mais une grande partie. Aldo put s’en convaincre, lorsque le quatuor fit son entrée vers neuf heures dans la lumineuse salle de restaurant donnant sur la mer, au nombre de saluts qu’elle récolta. Il s’en était déjà aperçu lors de la fête à Trianon, l’an passé, les apparitions de la marquise, où qu’elle aille, prenaient facilement des allures d’entrées royales. Sa classe, son élégance – même si elle restait fidèle aux modes d’il y a cinquante ans ou peut-être même à cause de cela – étaient inimitables et les sourires qu’elle recevait étaient tous empreints de sympathie et de respect.

Il n’en fut pas ainsi, quelques minutes après leur arrivée, quand les dames mexicaines vinrent s’installer à une table voisine de la leur. Il y eut un léger murmure et des regards admiratifs rendant hommage à la beauté de la jeune femme mais la silhouette noire et monolithique de Doña Luisa n’eut pas l’air d’éveiller les sympathies. L’oreille sensible d’Aldo capta un chuchotement !

— … la Reine de Ruy Blaset sa Camarera Mayor ! Saisissant, non ?

Les deux groupes étaient trop voisins pour ne pas se reconnaître. Aldo et Adalbert se levèrent pour une brève inclination du buste. Tante Amélie, alors occupée à consulter le menu à travers son face-à-main, pencha un peu la tête avec l’ombre d’un sourire. Marie-Angéline, qui leur tournait le dos, à son grand dépit, ne fit rien bien entendu.

Doña Luisa, plus raide que jamais, rendit le salut. Quant à Isabel, elle dirigea vers eux un instant son beau regard sombre dépourvu d’expression. Elle eût peut-être contemplé avec plus de chaleur un pot de fleurs ou un plant de tomates.

— Incroyable ! chuchota Adalbert. On a l’impression qu’elle est sous hypnose ! Lui arrive-t-il quelquefois de sourire ?

Au supplice, Marie-Angéline se tordait le cou dans le vain espoir de regarder derrière son dos sans y paraître.

— Vous risquez le torticolis, Plan-Crépin, fit la marquise, amusée. Et allez devoir souffrir le martyre car voilà du nouveau ! Si je ne me trompe, c’est ce « charmant » Don Miguel qui vient de rejoindre sa tribu !

La malheureuse s’empourpra. Adalbert eut pitié d’elle :

— Changez de place avec moi, Angelina !

— Oh, c’est si gentil !

Ce fut rapidement fait tandis que l’orchestre attaquait un pot-pourri de La Périchole.L’arrivée du jeune homme empêcha les Mexicains de s’en apercevoir. Celui-ci – superbe dans un smoking impeccable – s’excusait de son retard après avoir baisé la main des deux femmes puis, arborant un sourire satisfait, s’installait et consultait brièvement la carte qu’un maître d’hôtel lui tendait. Il porta ensuite son attention sur les tables qui se trouvaient dans son champ de vision. Il semblait d’une humeur charmante et souriait encore lorsque son regard se posa sur Morosini. Le changement fut immédiat : les sourcils se froncèrent tandis qu’il se penchait sur la vieille dame pour lui adresser des mots qui pouvaient se traduire par : « Qu’est-ce que ces gens-là font ici ? » Ce à quoi elle répondit par un haussement d’épaules et détourna la tête. Voyant que l’autre s’obstinait à le fixer, Aldo l’imita, accompagnant son geste d’un demi-sourire dédaigneux.

Il put croire un instant que Miguel allait se jeter sur lui, mais la main de Doña Luisa s’était posée, impérieuse, sur celle du jeune homme et il cessa de s’intéresser à ses voisins.

— Il n’a pas l’air de te porter dans son cœur, remarqua Adalbert qui, lui, n’avait pas hésité à se retourner.

— C’est entièrement réciproque.

— Alors pourquoi continuer à l’observer ?

— Je me demandais si le désagréable personnage que j’ai rencontré au bois de Boulogne pouvait être lui…

— Et alors ?

— En toute sincérité, je ne le pense pas. L’autre m’a paru plus grand, avec de plus larges épaules et un comportement différent ! Plus rude, plus maître de lui ! En revanche, il se peut que Miguel ait été l’un de ceux qui étaient à ses côtés…

— N’importe comment, ce n’est pas ce soir que nous aurons une réponse à ces questions… n’est-ce pas, Angelina ?

Mais elle ne l’avait pas entendu. Son attention était si centrée sur le jeune homme qu’elle en oubliait ce qui refroidissait dans son assiette. Elle le contemplait avec la même expression béate qu’elle eût réservée à une apparition céleste.

— Il suffit, Plan-Crépin ! intima Tante Amélie en lui tapant sur le bras avec son face-à-main. Un peu de tenue, que diable !

Le dîner s’acheva sans incident, les Français abandonnant la place les premiers. Fatiguée par le voyage, Mme de Sommières déclara qu’elle allait se coucher et force fut à son « fidèle bedeau » de lui emboîter le pas. Quant aux deux hommes, ils décidèrent de finir la soirée au casino Bellevue et s’y rendirent à pied en longeant la grande plage pour mieux profiter de la douceur du soir. Le bruit de la ville s’estompait pour laisser la place au ressac.

Dans la nuit, le casino brillait comme une comète. On dansait dans la rotonde et des cordons de lumière soulignaient l’architecture palatiale. L’intérieur mélangeait l’art moderne au style Eugénie avec un certain bonheur, l’élégance des habitués faisait le reste. Pas une robe qui ne fût signée d’un grand couturier, pas un smoking qui ne fût l’œuvre d’un grand tailleur. C’était l’exigence de Biarritz, peut-être parce que, lancée par une impératrice, elle était fréquentée par des rois, l’aristocratie – en majorité espagnole ! – ou les fortunes considérables, telle celle du constructeur André Citroën dont les nuits se passaient au « privé » du casino. Autour des tables de jeu, singulièrement celle du baccara où de très jolies femmes prenaient part à la partie tandis que d’autres, derrière un joueur, en suivaient le déroulement en maniant avec grâce de longs fume-cigarettes en ivoire, en écaille ou en or. Un silence de bon ton, troublé seulement par les voix des croupiers, y régnait avec parfois un murmure suscité par un coup particulièrement heureux.

Aldo et Adalbert mirent quelque argent sur le tapis. Le premier ne gagna rien mais le second, après deux succès, prit la chaise d’un joueur dégoûté par ses poches vides et s’installa.

— Je sens que je suis en veine ! déclara-t-il à Aldo qui resta avec lui un moment puis en eut assez.