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— Vous avez tous deux fait preuve de votre courage, reprit le général. Ce sera consigné dans le procès-verbal. Je suis d’avis de nous séparer…

On se salua protocolairement ; Aldo rendit son épée, reprit ses vêtements et rejoignit la voiture en compagnie de François-Gilles. À sa grande surprise, celui-ci avait perdu son air empesé et souriait aux anges :

— On dirait que ça vous a amusé ?

— Mon Dieu, oui ! J’aurais regretté de ne pas avoir assisté à ce spectacle. Cette dame est la plus étonnante que j’aie jamais vue. Et quelle classe ! Vous pouvez me dire qui elle est ?

— Mme Timmermans. Son époux était le roi du chocolat belge et, comme vous l’avez compris, elle est la belle-mère de mon adversaire. Plus pour longtemps il me semble.

— Comment est sa fille ? La baronne ?

— Charmante, primesautière et complètement folle ! Ou d’une redoutable hypocrisie ! Songeriez-vous à poser votre candidature ? ironisa-t-il. Vous pourriez faire pis : ces dames sont fabuleusement riches ! Ça compte, paraît-il, dans l’ex-capitale des Gaules ?

— Oui, mais pas chez moi. Et j’ai d’autres projets ! Pensez-vous que M. Vidal-Pellicorne sera longtemps absent ?

— Rassurez-vous, ils ne vont pas passer la journée ensemble ! L’espace d’un petit déjeuner, sans doute. Et à propos, si nous allions prendre le nôtre ?

Adalbert reparut peu avant midi. Non seulement son admiratrice et lui avaient pris le petit déjeuner au club-house de Chiberta mais encore ils avaient fait un parcours de golf. Ce qui avait eu l’avantage de lui rouvrir l’appétit :

— Quelle femme étonnante ! déclara-t-il à la « famille » réunie en dépliant sa serviette. Je n’ignore plus rien du pourquoi de la conduite de sa fille l’autre soir !

— Parce qu’il y a une explication logique ? fit Aldo, le regard noir.

— Oh, oui ! Pardonne-moi d’avance, mon vieux, si j’égratigne ton amour-propre mais ça tient en peu de mots : Agathe a un amant…

— Mais elle m’a pratiquement juré qu’elle n’en avait pas ?…

— Elle t’a menti. J’explique. Elle venait de jurer la même chose à son mari au cours d’une scène violente – une occasion saisie au vol ! – à la suite de laquelle elle avait claqué la porte derrière elle pour rentrer chez sa mère. Le temps d’acheter son billet, Waldhaus était sur ses talons et elle a dû courir pour prendre son train, le mari à ses trousses. Par chance, une portière n’était pas encore fermée et un gentilhomme d’une remarquable élégance l’occupait…

— Arrête, veux-tu ?

— Non. C’est nécessaire. Un gentilhomme qui l’a attrapée au vol… et qu’elle a reconnu aussitôt. D’où l’idée de nouer une intrigue avec toi afin de faire croire à Waldhaus que tu étais l’amant en question. Tu te rends compte de l’aubaine que tu représentais ? Un prince, connu universellement, séduisant par-dessus le marché…

— Tu aurais tort de te plaindre, Aldo, remarqua Mme de Sommières, Adalbert a une façon d’égratigner merveilleusement sympathique !

— Ça, Tante Amélie, c’est la sauce qui fait passer le poisson. Et le poisson, c’est la douce Agathe me destinant au rôle de « chandelier ». En se fichant comme d’une guigne des conséquences. Si elle me connaissait à ce point, elle devrait avoir entendu parler de ma femme et de mes enfants ?

— Je n’ai jamais prétendu qu’elle était intelligente ! Rusée, oui. Et elle a poussé le vice jusqu’à te faire suivre par un détective privé. Que tu viennes à Biarritz l’arrangeait grandement, sa mère ayant l’habitude d’y passer le printemps. Ainsi elle était au courant de ta présence au casino l’autre soir !

Tenté de s’abattre sur la table, le poing d’Aldo se crispa :

— Dis-moi que je rêve ? Et c’est elle qui t’a raconté cette salade ?

— Qui veux-tu d’autre ? Elle est sa mère et souviens-toi qu’Agathe aussi nous a confié n’avoir jamais pu lui cacher quoi que ce soit. À présent c’est elle qui prend les choses en main. Elle fait venir son avocat afin de mettre en route la procédure de divorce…

— Sur quoi compte-t-elle s’appuyer ? fit Marie-Angéline, acide. C’est sa fille qui a abandonné le domicile conjugal et si en outre elle a un tendre ami, le divorce la mettra au ban de la bonne société !

— Si vous me laissiez parler ? Notre Agathe a, désormais, le meilleur des prétextes. J’allais vous apprendre que, après ton départ, Aldo, Waldhaus l’a battue comme plâtre. En rentrant hier matin, Mme Timmermans l’a trouvée dans cet état et a immédiatement appelé son médecin. En dépit des objurgations de sa femme de chambre, la baronne n’avait pas osé par crainte du ridicule. Le chirurgien l’a transférée sans attendre dans sa clinique où, dans l’après-midi, le capitaine de gendarmerie est venu dresser un constat. Tu vois, mon cher, tu es vengé.

— Je n’en demandais pas tant ! Elle est très abîmée ?

— Pas mal à ce qu’il semble. Un œil poché, une balafre à la commissure des lèvres due à une chevalière agressive et de copieux hématomes sur les épaules et sur le cou. Ça s’arrangera mais pour le moment elle n’est pas belle à voir.

— Mais quel cuistre ! Je commence à regretter de ne pas avoir pu l’embrocher ce matin ! fit Aldo, indigné.

— Elle devrait plaire un peu moins à cet amant qu’elle a protégé à la perfection, remarqua Plan-Crépin avec satisfaction. Sait-on qui il est ?

— Un banquier belge richissime qui, pour la voir de temps en temps, a acheté dans la banlieue de Vienne une maison, pas grande mais somptueuse, enfouie dans un jardin luxuriant – c’est le cas de le dire ! – et sous la protection d’un serviteur de confiance. Il paraît qu’il en est fou et Agathe le paierait de retour… Cette fois, elle n’aura aucune peine à obtenir le divorce.

— Une divorcée ? Elle ne sera plus reçue dans la bonne société, glapit Marie-Angéline qui tenait à son idée.

— Je ne vous savais pas si féroce, Plan-Crépin, coupa la marquise d’un ton las. Après tout, la bonne société, comme vous dites, n’est plus ce qu’elle était depuis la guerre. Tout change, vous savez ! Cela posé, nous pouvons, je pense, considérer cette affaire comme classée en ce qui nous concerne ?

— Celle-là oui, reprit Adalbert. Reste celle de l’éventail. Par chance – ou son contraire ! – je suis dans les meilleurs termes avec Mme Timmermans. Je l’ai invitée à dîner ce soir à la Réserve pour en savoir davantage sur ses projets immédiats et comment il serait possible de récupérer les émeraudes, puisque tu penses, Aldo, qu’elle les a…

— On ne peut jurer de rien mais si elles se trouvent vraiment dans le double fond d’une boîte, ce ne peut être que celle-là ! À moins qu’elles n’aient été découvertes, ce qui m’étonnerait : la boîte est légèrement plus lourde qu’il ne le faudrait ! D’autre part, j’ai reçu ce matin un courrier de Maître Lair-Dubreuil m’informant qu’aucun des coffrets à éventails hérités par la famille de l’impératrice ne peut receler de cache.

— Donc il faut arriver à explorer celui-là, et à l’insu de sa propriétaire. J’ai beau avoir conscience que ce ne sera pas un vrai vol, je ne vous cache pas que cette fois je me sens gêné. Cette femme est extraordinaire ! J’avoue qu’elle me fascine.

— Normal, grogna Aldo, elle t’adore. Pourquoi ne pas l’épouser ? Tu nageras dans le chocolat jusqu’à la fin de tes jours ! Et l’un des meilleurs qui soient !

Adalbert s’apprêtait à riposter quand un groom s’approcha de Morosini pour lui dire qu’on le demandait au téléphone. Aldo s’excusa, se leva et suivit le jeune garçon jusqu’à la discrète cabine ménagée dans l’espace dévolu à l’homme aux clefs d’or. Celui-ci, qui gardait encore l’écouteur à l’oreille, la lui indiqua du geste. Aldo s’y enferma, décrocha :

— Allô ! Ici Morosini !

Et il entendit le petit rire horripilant qui hantait parfois ses cauchemars. Son sang se glaça.