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— Que me voulez-vous ? fit-il avec rudesse. Le temps imparti n’est pas révolu, que je sache ?

— En effet… Mais j’estime que vous le dépensez à mauvais escient ! Cette parenthèse mondaine me paraît hors de propos.

— Je suis meilleur juge que vous et dès l’instant où je fais en sorte de vous donner satisfaction, je me soucie comme d’une guigne de votre opinion.

— Vous peut-être mais d’autres pourraient se poser des questions. Votre femme par exemple, si elle apprenait vos relations avec certaine petite baronne et la bouffonnerie qui s’en est suivie ce matin !

Aldo sentit une sueur glacée glisser le long de son dos. Ce démon n’ignorait rien de ses faits et gestes…

— Au lieu de me parler de la princesse Morosini, il serait plus intelligent de me donner des nouvelles de Gilles Vauxbrun ! Ou ne fait-il plus partie du marché ?

— Il se porte bien, rassurez-vous ! Seulement il trouve le temps long, ce temps que vous gaspillez si allègrement !

Une partie du poids qui pesait sur le cœur d’Aldo s’envola. Allons, Langlois avait parfaitement su préserver le secret qu’on lui avait demandé ! Et ça, c’était une bonne chose !

— Moi aussi, quoi que vous en pensiez ! Arrangez-vous pour que je le retrouve dans un état satisfaisant…

— Ça, je ne peux pas vous le garantir ! Il a tendance à décliner.

— Prenez garde qu’il ne meure pas ! Sinon notre marché ne tient plus…

— Je vous ferai remarquer que vous n’avez aucun moyen de le savoir, mon cher ! De toute façon, au cas où il lui arriverait malheur, j’aurais toujours la ressource de chercher ailleurs d’autres garanties… Que diriez-vous de Vienne ? Même une forteresse comme le palais Adlerstein peut avoir… une fissure… Sans compter cette attendrissante famille qui ne vous lâche pas d’une semelle.

À nouveau, le rire et puis le déclic annonçant que l’on avait raccroché. Aldo en fit autant mais il dut s’appuyer un instant à la paroi de velours de la cabine pour garder son équilibre. Ses jambes menaçaient de se dérober sous lui… Il attendit un moment que le malaise passe et alla trouver le portier.

— D’où venait cette communication ? demanda-t-il.

— De Paris, Excellence ! C’était l’inter…

— Merci.

D’un pas qu’il avait réussi à raffermir, il regagna la salle à manger mais, en reprenant sa place à table, il entendit Tante Amélie s’inquiéter :

— Que se passe-t-il ? Tu es blême…

D’un geste, Adalbert appela le serveur qui venait d’apporter le café et lui commanda un double cognac qu’il tendit à son ami :

— Bois ! fit-il, visiblement soucieux. C’était qui au téléphone ?

— L’homme qui rit ! répondit Aldo en avalant d’un trait l’alcool ambré qui eut au moins le mérite de lui rendre quelque couleur, après quoi il raconta et conclut : Ce salaud semble avoir le don d’ubiquité. Il ne fait aucun doute que je suis suivi. J’avoue que, pour l’instant, je ne sais trop à quel saint me vouer.

— On va trouver ! décréta Adalbert, affichant une assurance qu’il était loin d’éprouver.

— Il serait sage de nous séparer. Toi, il faut que tu continues ta cour auprès de Mme Timmermans. Tante Amélie et Marie-Angéline vont rester pour finir la semaine pascale… Elles ont reçu des invitations, ainsi que nous… au dîner basque du Miramar, le gala de l’œuf de Pâques, ici même. En fait, vous trois, continuez à mener la vie mondaine pour laquelle nous sommes venus officiellement. Moi seul repars pour Paris.

— Qu’y ferez-vous sans nous ? gémit Marie-Angéline.

— Je ne sais pas encore au juste mais je veux détourner l’attention de l’ennemi, puisqu’il a l’air de s’attacher à mes pas. Il trouve que je perds mon temps à Biarritz. Alors laissons-lui cette douce illusion… En outre, je voudrais savoir si Langlois a enfin des nouvelles de New York.

— Ça m’embête ! protesta Adalbert. Je déteste l’idée de nous séparer. D’autant que, cet après-midi, je conduis notre procureur en herbe à l’auberge la plus proche du château d’Urgarrain.

— Et qu’y fera-t-il ? Des sottises comme d’habitude !

— Allons, essaie de ne pas lui en vouloir ! Il est amoureux et ne tient plus en place depuis qu’il a vu sa bien-aimée quitter l’hôtel. Alors il va s’installer dans le patelin. Sous le prétexte d’une étude sur les chemins de Compostelle. Et moi je le dépose et je reviens. Comme tu dis, il faut que je continue ma cour. Si j’aboutis…

— Tu dois aboutir ! appuya Aldo.

— On fera en sorte. Une fois en possession des émeraudes, je te rejoins puisque tu devras passer une annonce dans les journaux. Et on essaiera de préparer à ce tordu la réception qu’il mérite…

Tante Amélie qui écoutait sans ciller jugea qu’il était temps pour elle de faire entendre son point de vue :

— Les garçons ? Je ne voudrais pas troubler votre quiétude mais vous pourriez peut-être me demander ce que j’en pense. Vous décidez pour moi et je ne suis pas d’accord !

— Pardon, Tante Amélie ! Vous savez que je ne vous quitterai pas sans peine mais je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre…

— Je refuse de continuer à jouer les marionnettes dans ce cirque, à changer de toilette trois fois par jour, à papoter avec la duchesse de San Lucar, la comtesse Pastrè ou Mme André Citroën qui tient absolument à ce que j’aille prendre le thé à Chiberta au milieu des derniers modèles de Chanel, Patou et autres couturiers…

— Quelle est votre intention alors ?

— Ce que nous avions décidé : rejoindre à Saint-Adour la cousine Prisca, ses vaches et son cercueil aux pommes de terre. Attends, je n’ai pas fini ! Pour rendre la chose plus naturelle vous allez, cher Adalbert – et puisque vous vous rendez dans le coin cet après-midi –, m’envoyer un télégramme posté à Ascain, qui est le village le plus proche du château… comme d’Urgarrain, m’annonçant que la cousine ne va pas fort. Et demain on va s’installer là-bas ! C’est à votre convenance, Plan-Crépin ?

Pour la première fois depuis un moment, la vieille fille s’illumina :

— Entièrement. Je suis reconnaissante que nous ayons si bien compris que je souhaitais surtout me rapprocher de ce maudit château… Il est vital que l’on sache ce qu’il s’y passe.

— Soyez tout de même prudente ! recommanda Aldo. Le coup de téléphone venait de Paris mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de danger chez la cousine. Or vous êtes facile à reconnaître !

— Ne vous tourmentez pas ! La vicomtesse de Saint-Adour s’habille en paysan plus souvent qu’en demoiselle et nous sommes à peu près de taille équivalente. Elle me prêtera volontiers ce qu’il me faut…

— Bien, conclut Adalbert. Il n’y a plus qu’à passer à l’action.

Ce soir-là, tandis que Vidal-Pellicorne emmenait dîner Mme Timmermans, Aldo reprenait le Sud-Express à destination de Paris et les deux femmes, le télégramme reçu, faisaient refaire leurs bagages et commandaient une voiture pour le lendemain matin…

À dix heures, elles quittaient l’hôtel du Palais. À peu près à la même heure, Aldo arrivait au Ritz. Il l’avait préféré à la rue Alfred-de-Vigny afin de ne pas imposer un service supplémentaire aux vieux serviteurs de Tante Amélie. En outre, il serait à deux pas du magasin d’antiquités de son pauvre Vauxbrun et l’idée lui souriait assez d’aller bavarder avec Mr Bailey…

TROISIEME PARTIE

D’UN CHÂTEAU L’AUTRE

10

LA CHANOINESSE EN SON DOMAINE

— Urgarrain. C’est là-haut, expliqua la vicomtesse en tendant un bras maigre dans une manche de tricot gris en direction de la blanche silhouette d’un grand manoir couronnant l’une des premières collines montant à l’assaut de la Rhune dont les neuf cents mètres servaient de figure de proue à la côte basque.