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Ce qui fit pouffer la vieille fille :

— Vous ne devez pas savoir vous y prendre ! Je n’aurais pas cru…

— Laissons, voulez-vous ! Alors notre apprenti procureur a disparu ? Heureusement que je lui avais recommandé de se faire minuscule comme l’exigeait son rôle de chercheur de sites sacrés !

— Il a sans doute préféré celui d’amoureux bêlant. Mais qu’est-ce qu’ils ont donc, les Vauxbrun, à devenir idiots à la seule vue de cette Isabel ?

— Elle ressuscite le mythe de Circé, voilà tout ! Si vous me présentiez à présent ?

Marie-Angéline l’introduisit dans le salon où depuis des siècles les Saint-Adour attendaient l’heure du dîner. La vue de la chanoinesse, de sa robe noire, de son ruban et de ses perles impressionna mais il fut vite évident que le nouveau venu lui plaisait et que l’on regrettait de moins en moins la visite des cousines. La vie grâce à elles prenait un tour passionnant, auquel l’adjonction d’un égyptologue ajoutait une touche de mystère… follement captivant ! Mais, bien sûr, Prisca s’efforçait de cacher son plaisir en face de ce qui était un drame.

Terminées les politesses de la porte, on passa à table et ce fut au tour d’Adalbert d’être agréablement surpris. Il s’attendait à un repas marqué au coin d’une austérité conventuelle. Le saumon sauce verte et les ris de veau à la Mareschale suivis d’une tarte meringuée lui remontèrent le moral et lui apportèrent une détente équivalente à celle qu’il eût goûtée rue Alfred-de-Vigny. Durant le repas, Mme de Sommières s’attacha à faire briller le visiteur afin que Prisca pût l’apprécier à sa juste valeur. On parla d’Aldo pour regretter son absence et enfin il fallut bien en venir à ce qui avait motivé l’appel au secours de Marie-Angéline : où était passé François Faugier-Lassagne ?

— Étes-vous sûre que l’aubergiste vous a dit tout ce qu’elle savait ?

— Elle n’avait aucune raison de dissimuler quoi que ce soit. Vous auriez préféré que je la laisse prévenir les gendarmes ?

— Dans l’état actuel des choses, non ! Il aurait fallu donner trop d’explications. Évidemment, s’agissant d’un magistrat, cela les aurait peut-être stimulés, mais qu’auraient-ils fait ? Enquêter à travers le pays, interrogeant les habitants de chaque maison et sans résultat ? Les Basques sont les gens les plus méfiants de la terre quand ils voient surgir un képi, et on n’aurait rien appris, en admettant que quelqu’un se rappelle – ou veuille admettre ! – l’avoir vu dans les parages. Il a dû commettre une bêtise comme s’approcher de trop près du château. Peut-être même essayer d’y entrer, surtout s’il avait pu apercevoir l’objet de sa flamme. J’ai été stupide de l’amener ici !

— Pourquoi vous y êtes-vous risqué, dans ce cas ?

— Pour qu’il se tienne tranquille. Les instructions que je lui avais données étaient formelles : il devait jusqu’à nouvel ordre se contenter d’observer le plus discrètement possible Urgarrain et ses habitants, découvrir leurs habitudes, leurs sorties…

— Le malheur, dit Mme de Sommières, c’est qu’il n’y a rien à observer, nous ne faisons que cela depuis des jours et on ne voit personne, ni dans le jardin, ni derrière une fenêtre quand l’une d’elles s’ouvre. Personne n’entre, personne ne sort. Si les cheminées ne fumaient pas et si, de temps à autre, on ne remarquait une fenêtre ouverte, on pourrait penser que cette maison est déserte. Et la nuit, il ne brille aucune lumière. Ah, j’allais oublier ! Si on ne lâchait pas des coups de fusil à grenaille sur les imprudents qui se permettent de sonner à la grille…

— Pour le coup, cela relève de la gendarmerie ! Avez-vous tenté l’aventure ?

— Vous êtes gracieux, vous ! s’indigna Plan-Crépin. Si c’est à moi que vous faites allusion, je vous rappelle que je ne suis pas une inconnue pour eux, pas plus que notre marquise. Recevoir de la grenaille de plomb est presque aussi désagréable que des balles. Nous sommes confrontées à une véritable forteresse.

— Je n’en doute pas. Et si vous me montriez votre poste d’observation ?

On se leva de table et les dames réintégrèrent le salon où elles trouvèrent Honorine occupée à lire l’office du soir. En effet, elle ne participait aux repas que lorsqu’il n’y avait pas jeûne ou abstinence. De son côté, Marie-Angéline conduisit Adalbert dans la chambre de Mme de Sommières où la longue-vue de l’amiral arracha à celui-ci un sifflement admiratif :

— Vous êtes outillées, on dirait ?

— Oui, mais ça ne nous avance pas à grand-chose.

Pendant de longues minutes, Adalbert examina le château ennemi. La chance était avec lui car, pendant le dîner, un fort vent d’ouest s’était levé, balayant les nuages de pluie, nettoyant la nuit redevenue claire. Il ne put que vérifier ce qu’on lui avait dit : aucune lumière à aucune des fenêtres dont l’opacité annonçait des volets intérieurs. Aucun signe de vie. Même au-dessus des cheminées où ne se montrait aucune fumée…

— On jurerait que cette baraque est vide ! J’ai bien envie d’y aller voir !

— Maintenant ?

— Pourquoi pas ? Je laisserai la voiture dans le bosquet que l’on aperçoit sur la droite. Et les murs n’ont pas l’air tellement hauts.

— Alors je vais avec vous. Et inutile de perdre du temps à discuter ! Il vous faut quelqu’un pour faire le guet.

Adalbert connaissait suffisamment Plan-Crépin pour savoir qu’il se fatiguerait à discuter. Quelques minutes plus tard, équipée d’une des « tenues de campagne » de Prisca, un béret noir cachant ses cheveux, munie d’un fusil et sa vaste poche lestée d’une poignée de cartouches, elle prenait place dans la voiture en compagnie d’Adalbert.

La distance était courte entre Saint-Adour et le petit bois repéré par Adalbert. On y cacha l’automobile puis on se mit en marche. Plan-Crépin le fusil à l’épaule et Adalbert nanti d’un rouleau de corde, ils atteignirent rapidement le mur d’enceinte d’Urgarrain et entreprirent d’en faire le tour afin de s’assurer qu’il n’existait pas d’autre ouverture que la grille d’entrée. Mais il n’y en avait aucune. Pas même une porte dérobée qui n’eût guère opposé de difficultés aux doigts agiles de l’archéologue.

— On va être obligés d’escalader ! chuchota-t-il. Ce gros chêne dont les branches débordent me semble le moyen adéquat. Je vais vous hisser sur mes épaules et là-haut vous attacherez la corde à l’arbre, de façon qu’un bout retombe de chaque côté. Je… je commence à manquer d’entraînement.

La nuit cacha le sourire goguenard de Marie-Angéline qui se garda prudemment de demander de quand datait sa dernière escalade de pyramide.

— Bah, fit-elle, bonne fille, ça ne s’oublie pas si facilement !

— À condition de ne pas avoir de kilos en trop.

— Allons donc ! Vous êtes mince comme un saule !

— Et en plus elle se f… de moi !

Kilos ou pas, ils se retrouvèrent rapidement assis côte à côte sur le faîte du mur, heureusement dépourvu de ces horreurs du genre tessons de bouteilles ou griffes de fer dont les gens particulièrement méfiants ornent leurs clôtures. De ce perchoir, leurs yeux s’étant accoutumés à l’obscurité, ils eurent, au-delà d’un mince rideau d’arbres, une vue d’ensemble du château posé comme un défi au sommet d’une pente herbue, où celui qui s’aventurait devait être visible de n’importe quel endroit. Pas le moindre bosquet, pas le moindre buisson permettant une tentative d’approche à couvert.

— Aucun moyen d’avancer sans risquer d’être repéré, grogna Adalbert.

— De qui ? On jurerait qu’il n’y a pas un chat. Tout est bouclé, cadenassé sans doute. Quant aux ouvertures, à l’exception des étroites fenêtres des échauguettes, il n’y en a pas sur cette façade latérale. Elles sont toutes sur le devant ou l’arrière. Mais je pense qu’on doit pouvoir atteindre la maison en piquant droit sur ce flanc gauche. Ce serait bien le diable s’il y avait des yeux dans chacune de ces tourelles. Arrivés là, on peut en rasant les murs et en se baissant à l’endroit des fenêtres faire le tour afin d’examiner l’entrée – celle des cuisines j’imagine – qui ne peut manquer d’exister…