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— Et une fois à destination, on fait quoi ? demanda Adalbert, sarcastique. On force la serrure, on entre et on dit « bonsoir la compagnie » ?

— Vous me décevez, Adalbert. Je vous croyais plus imaginatif. Dans le matériel de campagne que vous emportez généralement avec vous, y aurait-il un morceau de cire ?

— C’est vrai, j’en ai toujours un !

— Alors c’est le moment ou jamais de l’employer : on cherche l’entrée des cuisines, on prend une empreinte de la serrure… et on revient un soir prochain !

— Limpide ! On va essayer !

Il se laissa tomber du mur sans se servir de la corde, puis tendit les bras à sa compagne pour l’aider à descendre, mais elle venait à peine de toucher terre quand une sorte de ronflement se fit entendre et, aussitôt, deux énormes chiens noirs surgirent de derrière le château et se ruèrent vers les deux imprudents en aboyant furieusement.

— Grimpez ! ordonna Adalbert en saisissant Marie-Angéline par la taille pour qu’elle attrape la corde le plus haut possible.

Elle fit preuve d’une célérité remarquable et Adalbert la suivit. Il était plus que temps : les deux dogues étaient déjà sur eux et Vidal-Pellicorne laissa un morceau de son pantalon dans la gueule de l’un d’eux, mais en un clin d’œil ils furent de l’autre côté du mur en prenant soin de récupérer la corde. Sans s’attarder à regarder derrière eux, ils se précipitèrent dans le bois. Encore un instant et ils retrouvaient la petite route qu’ils dévalèrent, moteur éteint, freins desserrés jusqu’au village, hors de portée des regards des occupants d’Urgarrain. En dépit de la rapidité de leur fuite, ils avaient perçu les deux coups de fusil tirés dans leur direction.

— Une maison vide, hein ? ragea Marie-Angéline.

— Ce n’était qu’une impression… Et puis il n’est pas défendu de rêver !

Ils restèrent un long moment, assis dans la voiture, à écouter décroître les battements de leurs cœurs. Finalement, elle soupira :

— On ferait mieux de rentrer. Nos dames ont dû entendre les détonations et se font certainement du souci.

Pour seule réponse, Adalbert mit la voiture en marche et l’on revint à Saint-Adour. Comme prévu, on les attendait dans l’anxiété. Craignant que l’un d’eux ne fût blessé et que celui-là fût Vidal-Pellicorne, Prisca avait fait préparer une chambre :

— Vous n’allez pas rentrer cette nuit à Biarritz ! déclara-t-elle. Ainsi vous aurez la récompense de voir ce damné château au grand jour.

Fatigué, il accepta et l’on se retrouva dans la cuisine pour une tournée de vin chaud aux herbes de la montagne dont Honorine conservait jalousement le secret.

— C’est à la fois apaisant et réconfortant, annonça-t-elle.

— De toute façon c’est très bon ! apprécia Mme de Sommières, qui cependant ne buvait jamais que du champagne. Au fait, Adalbert, avez-vous eu des nouvelles d’Aldo depuis son départ ?

— Aucune. Et vous pas davantage à ce qu’il semble ?

— Aucune non plus mais il ne comptait pas en donner puisqu’il est rentré uniquement pour détourner de nous l’attention des bandits et que vous puissiez mener à bien votre projet. Avez-vous réussi à visiter la maison de la dame belge ?

— Eh non ! ragea-t-il. Voilà des jours que je la promène dans tous les restaurants élégants et j’attends encore son invitation. Qui n’est pas près de venir, à mon avis.

— Pourquoi ?

— Elle prétexte que la bienséance s’oppose à ce qu’elle reçoive un homme seul tant que sa fille est à la clinique. Et la délicieuse Agathe ne souhaite pas en sortir de sitôt afin d’être à l’abri des voies de fait du baron Waldhaus. Idempour les réceptions. D’autre part, ne connaissant pas la configuration intérieure de la Villa Amanda, je me vois mal m’y introduire. Surtout sans protection extérieure, et Aldo est à Paris… Alors je tourne en rond !

— Adalbert, mon ami, vous êtes un âne ! affirma soudain Plan-Crépin après avoir siroté son vin jusqu’à la dernière goutte avec une évidente satisfaction.

— Oh, s’insurgea sa patronne. Vous perdez la tête, ma parole ? Comment osez-vous l’apostropher de la sorte ? Un peu de respect, que diable ! Ce n’est pas parce que vous venez de courir une aventure ensemble que vous pouvez vous permettre…

— Aurions-nous préféré que je lui dise qu’il s’engourdit dans le chocolat ? Que ses facultés ne sont plus ce qu’elles étaient ou qu’il vieillit ?

Trop suffoquée pour réagir, Mme de Sommières ne trouva rien à répondre. Quant à Adalbert, plus vexé que peiné, il répliqua :

— Eh bien, merci, Marie-Angéline ! Au moins me voilà fixé sur ce que vous pensez de moi !

Elle lui adressa un sourire bourré de malice.

— N’en croyez rien. Ce n’est vraiment pas ce que je pense de vous, à la seule exception que le divin chocolat Timmermans me paraît devenu le philtre magique d’une Yseut frisant la septantaine ! Je me demande si elle n’aurait pas dans l’idée de vous épouser ? D’où ce souci des convenances. Voyez Marie Tudor et Philippe II d’Espagne.

— Je n’ai rien d’un Habsbourg et elle n’est pas laide !

— Nous nous égarons ! coupa la marquise. Où voulez-vous en venir, Plan-Crépin ?

— Ne cherchez pas, marquise, Mlle du Plan-Crépin doit penser qu’elle serait plus habile que moi !

— Seule, non ! Mais à nous deux, oui. Cent fois oui ! affirma-t-elle avec aplomb. Pour le plan auquel je pense, j’ai seulement besoin de deux renseignements. D’abord, combien y a-t-il de domestiques à la Villa Amanda ?

— Trois. Un maître d’hôtel qui sert aussi de chauffeur, une cuisinière qui habite en ville et une femme de chambre. Et après ?

— Le jour de sortie de la femme de chambre. Vous voyez que ce n’est pas compliqué ? ajouta-t-elle avec un large sourire.

— Admettons ! Et alors ?

— Voilà ce que nous allons faire…

11

OÙ PLAN-CRÉPIN PREND LE POUVOIR

Rentré à Biarritz dans la matinée, Adalbert se précipita chez le fleuriste le plus proche de l’hôtel du Palais et y fit l’emplette d’une magnifique corbeille de fleurs qu’il fit porter à la Villa Amanda avec une lettre de repentance, qui lui avait bien demandé une demi-heure de réflexion. Il y exprimait à Mme Timmermans ses regrets d’avoir été contraint de l’abandonner au seuil d’une fête dont elle se promettait tant de plaisir pour voler au secours d’un « Parrain » âgé et très cher qui offrait cette particularité de n’appeler la médecine à son secours que lorsqu’il allait mieux. Grâce à Dieu, l’accident dont il avait été victime était moins grave qu’on ne l’avait cru et l’on en était quitte pour la peur. Rassuré donc, il se hâtait de revenir pour renouer le fil détendu d’une amitié qui lui était devenue précieuse, etc. Il terminait ce chef-d’œuvre d’hypocrisie en proposant de venir chercher son amie pour l’emmener dîner où il lui plairait…

Son pensum achevé, il s’accorda un de ses plaisirs favoris en se plongeant dans un bain où il resta près d’une heure et demie – en ajoutant de l’eau chaude de temps en temps et en fumant un de ces cigares de La Havane « Rey del Mondo » qui représentaient pour lui l’un des sommets de la volupté. Il se trouva même si bien qu’il finit par s’endormir.

Ce fut le téléphone qui le réveilla et le sortit plus vite que prévu d’une eau devenue à peine tiède sur laquelle le havane aux trois quarts consumé flottait à la dérive…

Jurant comme un templier, il se bâcha hâtivement d’un peignoir en tissu éponge et se rua sur le téléphone qu’il atteignit alors qu’il venait de sonner pour la septième fois. Il bénit la patience des standardistes de l’hôtel quand il reconnut la voix et le léger accent belge de Mme Timmermans.

— Vos fleurs sont magnifiques, dit-elle, mais vous ne me deviez aucune compensation. Je suis allée finalement au dîner de Chiberta. Il eût été stupide de laisser perdre les deux couverts que vous aviez retenus et, en arrivant au club-house, j’ai rencontré un vieil ami, le général de Palay, qui cherchait vainement à se procurer une place. Je l’ai tout bonnement invité et nous avons passé une soirée charmante. Leurs Majestés espagnoles étaient superbes et le roi Alphonse…