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— Parce que ça ne m’était pas venu à l’idée ! répondit Aldo avec une désinvolture qui ne sonnait pas très juste. (Et il se dépêcha d’ajouter :) Mais toi-même, que viens-tu faire ? Préparer ton mariage avec la reine du chocolat ?

— Je ne pense pas la revoir de sitôt. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi je poursuivrais des relations autres qu’épisodiques.

L’œil d’Aldo s’alluma :

— Tu as… réussi ?

— Ce n’est pas moi qui ai réussi l’exploit : c’est Marie-Angéline. Je te raconterai plus tard. Quand tu seras redevenu valide !

— Mais je suis valide ! Je me tue à clamer que je veux rentrer chez moi. Qu’on me rende mes vêtements, qu’on me donne la facture et qu’on m’appelle un taxi !

— Ce serait plutôt difficile, mon pauvre vieux. En fait de vêtements, tu n’as plus qu’un pantalon de smoking et une chemise sale. Point de vue finances, tu n’as plus un radis ! Et je te rappelle que s’il nous a discrètement laissés seuls, le bon Langlois est à côté en train de papoter avec un toubib qui te considère comme un danger public ! Alors du calme ! Tu vas gentiment te coucher – ce pyjama est un rêve ! –, tâcher de faire une bonne nuit et demain je t’embarque après être passé au Ritz régler la facture et reprendre tes bagages. Tu vas t’installer chez moi pour te retaper et attendre la suite des opérations.

Docilement, Aldo se recoucha et permit même à Adalbert de le border :

— Il nous reste combien de temps ?

— Quinze jours, tu vois qu’on est dans les délais…

— C’est pourquoi je comprends mal l’agression de l’autre nuit…

— Ça n’a sûrement rien à voir avec notre affaire ! Nos adversaires ne sont pas les seuls truands sur la planète, tant s’en faut, et les nôtres n’auraient aucun profit à te faire disparaître bêtement sous un pont. Ils t’auraient gentiment abattu et point final ! Maintenant roupille ! On parlera demain !

Aldo remonta ses draps jusqu’à son menton en poussant un soupir de soulagement. Adalbert s’apprêtait à sortir, il le retint :

— C’est bien vrai, au moins ? Tu les as ?

— Dors tranquille, elles sont dans mon coffre…

Aldo eut une quinte de toux, but un peu d’eau, se roula en boule et ferma les yeux :

— C’est un miracle ! Un éblouissant miracle !…

— Si tu as des relations avec le Vatican, on pourrait envisager de faire canoniser Plan-Crépin ! Je la verrais volontiers nimbée d’une auréole !

Rendu à lui-même par les bienfaits conjugués d’une salle de bains moderne, de ses propres vêtements et de la savoureuse cuisine de Théobald, Morosini pouvait maintenant contempler à loisir les cinq émeraudes de Montezuma et ne cachait pas son admiration :

— Des pierres exceptionnelles ! Tant par leur grosseur que par leur eau et leur éclat. On peut comprendre que l’épouse de Charles Quint les ait convoitées et Cortés aurait bien mieux fait de les lui offrir au lieu d’en faire sottement présent à sa femme…

— Sa jeune femme, mon bon, et cela explique tout ! Je te ferai remarquer qu’elle a été plus intelligente que lui puisqu’elle les lui a rendues.

— Parce qu’elles lui faisaient peur. C’est alors qu’elles auraient dû rejoindre le trésor royal. Cortés y aurait gagné la paix du cœur et une fin de carrière plus agréable.

— Ce que je me demande, moi, en te regardant, c’est si tu vas trouver, toi, le courage de t’en séparer ? Il y a longtemps que je ne t’avais vu cette expression. Tu as l’air fasciné !

— Je l’avoue, et cela va être d’autant plus dur que nous savons parfaitement, toi et moi, qu’on ne nous rendra plus Gilles Vauxbrun. C’est donc par conséquent un marché de dupes…, dit Aldo pensivement en faisait passer le collier d’une main dans l’autre.

— On va pourtant être obligés de s’y soumettre parce que, si tu veux mon avis, plus vite on s’en débarrassera et mieux cela vaudra pour tout le monde. Demain, j’expédierai Théobald porter aux journaux le texte de l’annonce. Qu’est-ce que c’est, au fait ?

— Une histoire d’enfant prodigue. Je l’ai dans ma trousse de toilette.

Le lendemain, en effet, trois quotidiens parisiens, Le Figaro, L’ Intransigeantet Le Matin, publiaient l’annonce exigée par les assassins de l’antiquaire.

— Il ne reste plus qu’à attendre la réponse, soupira Adalbert en repliant le journal qu’il jeta sur son bureau. Je suppose qu’on va devoir explorer une fois de plus le bois de Boulogne, la forêt de Sénart ou une baraque isolée perdue dans la campagne. Ce qui ne nous laisse pas beaucoup de chances d’en sortir vivants…

— Où que ce soit, nos chances seront minces. Je me demande si le rendez-vous n’aura pas lieu tout simplement rue de Lille, chez Gilles. Ce serait l’endroit idéal pour ce qui devrait être un échange, quel que soit l’état de la seconde clause du marché.

— Il se pourrait que ce jeune imbécile de Faugier-Lassagne prenne la place de son père, je suis à peu près sûr qu’il est en leur pouvoir.

— Moi aussi, mais il ne faut pas rêver. Je crois que nous allons avoir à jouer l’une des parties les plus difficiles de notre association.

Les quotidiens des trois jours suivants n’apportèrent aucune réponse. Ce fut seulement le quatrième que, sur le plateau du courrier apporté par Théobald à l’heure du petit déjeuner, apparut une enveloppe très ordinaire, adressée à M. Vidal-Pellicorne, qui attira l’attention du destinataire. Elle n’avait rien de particulier cependant. Elle était tapée à la machine et le papier en était commun mais l’archéologue possédait un flair de chien de chasse et il la choisit sans hésitation parmi les autres. Il ne se trompait pas. À l’intérieur, il y avait une feuille pliée en quatre portant : « À l’attention du prince Morosini ». Sans la déplier il la tendit à son ami.

— Serait-ce ce que nous attendons ?

Il ne se trompait pas. On y lisait six lignes, toujours aussi impersonnelles :

« Puisque vous aimez tant voyager, soyez mardi soir 12 mai à l’hôtel de l’Infante à Saint-Jean-de-Luz où vous attendrez d’autres instructions. Seul, bien entendu, et sous l’identité jointe (il y avait en effet une carte de presse). Vidal-Pellicorne restera à Paris, sous surveillance… »

— Et il entend me surveiller comment, cet olibrius ? grogna l’intéressé.

— Il te suffira de regarder autour de toi pour t’en rendre compte et tu verras !

— Je ne verrai rien… Tu paries que je suis à Saint-Jean-de-Luz avant toi ?

— Je ne parie rien. Tu es capable de tout…

Une heure plus tard, M. Vidal-Pellicorne, de l’Institut, élégamment vêtu d’alpaga noir sous un chapeau à bord roulé, un long parapluie à la main, faisait venir un taxi devant sa porte et se faisait conduire au musée du Louvre, porte Vivant-Denon, donnant sur la place du Carrousel… Salué par tout ce qu’il rencontra comme personnel, il gagna d’un pas tranquille le département des antiquités égyptiennes qu’il traversa en habitué, tapotant ici les fesses de basalte d’un sphinx et là les genoux de la Dame Tyi, avant de disparaître dans la partie réservée à l’administration. Il n’en ressortit que le soir venu, après que le public se fut retiré, constata qu’il faisait un temps pourri, releva le col de son pardessus et, ouvrant son vaste parapluie, se mit en marche courageusement vers la station de taxis du Palais-Royal. Il arriva chez lui juste à point pour voir démarrer une autre voiture de place emmenant Aldo Morosini prendre en gare d’Austerlitz son train pour le Pays basque…

Lors du retour à Paris de Morosini, Alcide Truchon, de l’agence « L’œil écoute », avait espéré sincèrement, l’ayant vu descendre au Ritz, qu’il n’effectuait là qu’un bref passage avant de rentrer à Venise retrouver femme, enfants et pantoufles. Or il s’était agité plus que jamais. Deux jours de tranquillité puis sortie un soir en smoking, petit voyage quai Bourbon et disparition totale. Il faut dire qu’encouragé par une conduite aussi normale, par la respectabilité de ce quartier aristocratique… et le mauvais temps, Alcide Truchon s’était offert un dîner confortable, voire raffiné, dans certain restaurant de la rue Saint-Louis-en-l’Île. Grâce à Dieu, son agence était généreuse, son client riche et notre homme pensait qu’il méritait, parfois, quelques gâteries. Malheureusement, il n’avait pas revu son gibier ce soir-là. Et il lui avait fallu près de trois jours et une sévère engueulade de son patron pour que les choses reprennent leur cours habituel. Enfin, si l’on pouvait dire, parce que la tenue de sport et la mallette laissaient supposer qu’on allait encore voir du pays !