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— Un moment ! Elles ne sont pas faites pour des pattes sacrilèges. N’oubliez pas qu’il s’agit de pierres sacrées… Avant de poursuivre d’ailleurs et puisque vous avez tué Vauxbrun, je veux savoir quelque chose.

— Quoi ?

— Ce qui s’est exactement passé le jour du mariage et l’explication de l’incroyable comportement de Vauxbrun.

L’autre haussa les épaules :

— L’explication est facile dès l’instant où la drogue entre en jeu, et surtout avec un homme quasi prosterné devant sa fiancée. Quand on l’a rejoint, rue de Poitiers, il n’y a eu qu’à lui dire que Don Pedro acceptait, pour l’aider, de lui prêter le collier mais qu’il fallait passer le prendre au Ritz. On serait juste un peu en retard à l’église, mais il ferait patienter. Une fois en sa possession, nous avons exécuté notre plan et il s’est retrouvé prisonnier.

— Vous êtes de fieffés misérables ! Et la chaussure retrouvée près de la Mare-aux-Fées ?

— Un petit plus pour la police ! On avait d’ailleurs jeté la deuxième de l’autre côté de la route dans un buisson. Amusant, non ?

— Je ne trouve pas. Mais, pour en revenir aux émeraudes, sachez que vous n’êtes pour moi que de simples intermédiaires.

— D’où tenez-vous cette fable ?

— De ce que j’ai appris de la bouche du véritable propriétaire, Don Pedro Olmedo de Quiroga. Et comme cette maison appartient à sa tante Doña Luisa de Vargas y Villahermosa où je suppose qu’il se trouve en famille, je vous serais obligé d’aller le chercher. C’est à lui seul que j’entends remettre ces émeraudes…

Un sourire que l’on pourrait qualifier de diabolique changea l’expression d’un visage qui, au repos, était loin d’être laid :

— Étes-vous vraiment naïf à ce point ?

— Comment ?

— Je veux dire : après notre entrevue du bois de Boulogne, avez-vous cru réellement travailler pour cette tribu mexicaine ?

— Dans mon esprit, il n’a jamais été question d’autre chose. Et si j’ai déploré les moyens employés pour rentrer en possession d’un trésor plusieurs fois centenaire, j’ai fini par comprendre, à défaut d’admettre. Cela dit, je voudrais au moins savoir où se trouvent celle qui est toujours Mme Vauxbrun et les siens ?

— Chevaleresque, hein ?

— N’exagérons rien. Sachez que j’aime savoir où je mets les pieds.

— Alors je vais vous rassurer : cette maison reste la propriété de l’affreuse Doña Luisa et de la ravissante Doña Isabel. Vous pourrez même les saluer tout à l’heure avant de…

— Avant de quoi ?

— Rien. Nous en parlerons l’heure venue…

— Il n’en demeure pas moins que je veux voir Don Pedro, fit Morosini en appuyant sur chaque syllabe. Sinon…

— Sinon, quoi ? Vous n’êtes guère en état de poser des conditions.

— En êtes-vous sûr ? Disons que je pourrais laisser tomber le collier dans le feu…

— Imbécile !

Le geste ébauché par l’inconnu en vue de lancer deux de ses hommes sur Aldo se figea net. Le poing soudain armé du prince qui venait de se baisser rapidement était pointé vers sa tempe.

— Si l’un de vous bouge, je tire ! prévint-il. Et maintenant j’exige de voir Don Pedro !

— Vous auriez du mal, intervint l’un des truands en faisant passer son chewing-gum d’une joue à l’autre. L’a eu la mauvaise idée d’vouloir faire un tour en bateau pour admirer les vagues d’plus près ! Ça lui a rien valu !

— Vous voulez dire qu’il s’est noyé ?… Ou plutôt qu’on l’a noyé ?

— Y a d’ça ! Faut dire qu’il dev’nait encombrant !

— Ça suffit ! Tu parleras quand je te le dirai et… si je te le dis !

— Voilà bien des paroles pour une sordide réalité, coupa Morosini. Vous avez assassiné Don Pedro ! Point final ! Dieu ait son âme. Mais à défaut, je me contenterai de son héritier direct. Faites venir Don Miguel !

— Il n’est pas là !

— Non plus ? Envoyez-le chercher ! Je ne fatigue jamais lorsque je tiens en joue un malfaiteur. Ce que vous êtes indubitablement, Monsieur l’inconnu…

Sans plus se soucier de l’arme braquée sur lui, le jeune homme alla s’étendre à demi sur le banc aux coussins de velours rouge, une jambe négligemment passée sur l’accoudoir. Il eut même pour Aldo un sourire moqueur :

— C’est vrai, pourtant, que l’on ne nous a jamais présentés ? Je ne vois d’ailleurs pas qui aurait pu s’en charger. Pour tous ceux d’ici je suis Gregory Ollierik, mais je crois le moment venu de révéler ma véritable identité. Je vous dois bien ça… mon cousin !

— Cousin ? Qu’allez-vous encore inventer ?

— Rien qui ne soit l’expression exacte de la réalité. Mais si cousin vous déplaît, nous pourrions dire… beau-frère ? Qu’en pensez-vous ?

— Que vous êtes fou !

Le petit rire cruel qu’Aldo avait appris à redouter retentit. À cet instant, il fut saisi d’une envie brutale d’appuyer sur la détente et d’effacer à jamais ce garçon du nombre des vivants, mais c’eût été donner le signal de sa propre mort. Ils étaient cinq sur la galerie dont les armes n’avaient pas bougé. Lentement, il laissa retomber sa main. Cependant, son cerveau travaillait à toute vitesse pour trouver une logique à cette histoire. Il savait que des personnages qui avaient été ses plus impitoyables ennemis, aucun ne subsistait. Cela relevait de l’impossible ! Pourtant il entendit :

— Je m’appelle Gregory Solmanski !

Le rire d’Aldo résonna à travers la maison avec une stridence inhabituelle parce que c’était un rire forcé d’où toute gaieté était absente, remplacée par une angoisse dont Aldo constata avec rage qu’il n’était pas le maître. Il chercha du secours dans l’insolence :

— Un Solmanski surgi du néant ? Bravo !… Cependant n’est-ce pas un peu trop facile, quand une famille est éteinte, de s’emparer du nom et de se l’appliquer… comme un faux nez ?

— Ça l’est encore davantage quand on peut produire les actes en faisant foi. Je conçois que ça vous contrarie. Vous étiez intimement persuadé d’en avoir fini avec ma famille puisque vous avez tué mon père, mon frère et fait assassiner ma sœur par votre cuisinière. Pourtant le fait est là : je suis bel et bien le dernier Solmanski, né à Locarno, le 9 mars 1908, fête de saint Grégoire de Nysse, des amours – brèves mais intenses ! – du comte Roman Solmanski avec la comtesse Adriana Orseolo, votre cousine… qu’entre parenthèses vous avez fait disparaître aussi. D’où ce cousinage qui semble vous chiffonner, ce qui est ridicule puisque, je vous l’ai dit, je me trouve être également votre beau-frère ! Satisfait ?

Aldo serra les dents. Une sueur froide perla à ses tempes en face de ce rejet inattendu vomi par l’enfer. Il lui fallait à tout prix gagner du temps pour se ressaisir. Cherchant une cigarette dans son étui, il réussit à l’allumer d’une main assurée mais il fit un geste maladroit et laissa tomber l’arme sur laquelle fondit le colosse. Cependant il remarquait :

— Intéressante famille ! Votre père était responsable de véritables massacres, votre sœur avait facilement deux morts sur la conscience en attendant d’y ajouter une troisième : la mienne. Quant à votre mère, elle avait assassiné la mienne qui, cependant, la traitait comme sa fille… Mais à présent, j’aimerais savoir comment vous avez pu vivre dans la tribu Solmanski sans que l’on vous voie jamais sur le devant de la scène ?

— Pourtant, un soir, c’est moi qui ai joué le principal rôle. C’était à Zurich pendant la fête que Moritz Kledermann, votre beau-père, donnait pour l’anniversaire de sa femme. C’est moi qui ai eu l’honneur de descendre la sublime Dianora d’un seul coup de pistolet. Un coup magnifique qui m’a valu les félicitations de mon père avant qu’il ne me renvoie aussitôt après en Amérique me mettre à l’abri des flics helvétiques…