— Hé ! dit Kovask, ne le tue pas.
— Il n’en a que pour quelques minutes, le rassura Marcus.
Le Commander alla jeter un coup d’œil à la boîte, l’ouvrit avec précaution.
— Une odeur un peu moutardée, annonça-t-il. Harvard a été endormi sur place lorsqu’il a voulu vérifier son compte.
Sous une liasse, il découvrit la balise, un cube de petite taille.
— On reste ici ?
— C’est assez tranquille. Sinon, on rembarque chez nous.
— Et ensuite ?
— L’ambassade se débrouillera. Ils auront certainement quelques questions à lui poser.
Lorsqu’il revint à lui, Carmina découvrit qu’il avait les mains et les pieds liés.
— Je ne dirai rien, déclara-t-il.
— Eh bien ! on est franc, au moins, dit Kovask. Castriste, n’est-ce pas ?
— F.A.L.N.
Forces armées de libération nationale. Et te voilà diplomate ? Carmina sourit.
— Je ne suis certainement pas le seul. Nous sommes partout, et un beau jour nous aurons le pouvoir. Et les Yankees ne feront plus la loi dans notre pays.
— Alors, tu voulais filer avec le pognon ? La politique, c’est bien joli, mais trente mille dollars…
L’adjoint au délégué culturel se crispa :
— Non, ils n’étaient pas pour moi.
— Pour qui, alors ?
— Je l’ignore.
— Tu as fouillé la voiture de Harvard et son corps. Tu as trouvé des photographies sur lui, des cartes photographiques plutôt. Où les as-tu mises ?
— Il n’avait rien sur lui. Absolument rien. Kovask soupira :
— Ecoute, tout peut se passer très bien. Sinon…
— Je suis prêt à souffrir.
— Tiens donc ! Tu crois que nous allons faire de toi un héros ? Détrompe-toi. Nous te garderons quinze jours et tes copains croiront que tu as filé avec le pognon. Puis nous te relâcherons au Mexique, par exemple, avec la moitié des trente mille dollars, et en indiquant aux autres où tu te trouves. Tu seras compromis à jamais, même si tu arrives à te disculper.
Cette menace avait produit son effet. Carmina, soudain très pâle, les regarda avec angoisse.
— Mes amis savent que je suis entièrement dévoué à la cause.
— Bien sûr. Mais il y a l’argent, et n’importe qui agirait ainsi ; même le plus acharné des guérilleros. Ecoute, il y a certaines des choses que tu peux nous dire sans risques. A toi de choisir. Nous te remettrons ensuite à ton ambassade. Ils feront de toi ce qu’ils voudront, mais ça te laissera un sursis de plusieurs jours.
— Vous me condamnez encore plus durement.
— Mais tu finiras en beauté. La carte de la route secrète « Fidel Castro » ?
Carmina tiqua.
— Je ne l’ai pas. Je n’ai aucun document. Harvard avait pris ses précautions.
— A la N.G.S. où il travaillait, des documents du S.A.C. ont disparu. Il devait les avoir constamment sur lui.
— Je n’ai rien trouvé. D’ailleurs, si je l’avais su, j’aurais agi différemment.
C’était plausible, mais Kovask sentait que la capture de Carmina ne leur apporterait rien. En le torturant, en le faisant parler sous l’influence de drogues, on obtiendrait des renseignements sur le réseau castriste auquel il appartenait, mais c’était tout. Cela regardait beaucoup plus le F.B.I. et le Venezuela que l’O.N.I.…
— Ta mission est donc un échec ? La légation cubaine a bien reçu une carte, mais ce n’est qu’un exemplaire, pas l’original. Ce dernier, seul Harvard aurait pu dire où il se trouvait.
Il fit un signe à Marcus Clark.
— Appelle la maison. Qu’ils viennent le chercher et poursuivent l’interrogatoire. Nous allons chercher ailleurs.
Une demi-heure plus tard, une fourgonnette venait prendre livraison du diplomate. Kovask et Clark suivirent jusqu’à l’entrée de Washington, puis le Commander se dirigea vers la banlieue où habitait Harvard.
— On va essayer de trouver chez lui, mais j’en doute.
Le mouton frisé aux yeux éteints avait endossé une robe noire qui la boudinait de façon grotesque, mais elle sentait autant la bière et des miettes de pâtisserie étaient visibles sur son corsage.
— Encore vous ! On l’enterre demain. Je ne reçois personne.
— Vous ferez une exception pour nous.
Le bungalow était un peu plus en désordre, un peu plus sale. D’ici à un mois, il se transformerait en véritable taudis.
— La veille de sa mort, votre mari est revenu avec une grande enveloppe.
— Je ne sais pas. Je n’étais pas là.
— Vous ne sortez jamais.
Elle soupira.
— C’est possible.
— Il l’a cachée ici. Vous devez savoir où. Nous vous donnons cinq minutes pour nous la donner. Ensuite, nous vous arrêterons et vous serez mise au secret pour des semaines. Pas de bière ni de pâtisserie. Une belle cure d’amaigrissement.
Elle essaya de lui jeter un regard coléreux, mais l’eau de son regard resta glauque. Il n’y avait plus aucune ressource en elle, même pas celle de s’indigner.
— Vous n’avez pas le droit de me parler ainsi.
— Je le sais et je le regrette. Donnez-moi ces papiers.
— Ils n’y sont plus. Kovask et Marcus Clark se regardèrent.
— Où les avez-vous mis ?
— Sur le rebord de ma fenêtre. Je suis sortie et, au retour, il y avait un billet de cent dollars.
— Qui vous avait ordonné de vous comporter ainsi ?
— Une voix de femme au téléphone. Je n’avais rien à perdre. J’avais vu mon mari les placer dans ce qu’il croyait être son tiroir secret. Venez voir.
Le géographe avait fabriqué un fond à l’un des tiroirs de son bureau, ménageant un espace de deux centimètres susceptible de recevoir un beau paquet de documents.
— Il y mettait aussi son argent. Je le savais. De temps en temps, je venais prendre quelques dollars et il ne s’en rendait même pas compte. Il avait le goût des secrets. Depuis sa jeunesse.
— Qui vous a téléphoné ?
— Une femme. Elle avait l’accent espagnol. Après tout, cent dollars, c’était bon à prendre.
— Ça en valait trois cents fois plus, dit Marcus Clark avec rage.
Le mouton frisé le regarda sans réaction.
— Oh ! pour une telle somme, ça n’aurait pas été possible, mais pour cent dollars ! Après tout, je croyais qu’ils appartenaient à mon mari. Vous ne pouvez pas m’arrêter pour si peu.
Elle avait raison et ils la quittèrent sur-le-champ. Kovask embraya un peu sèchement, trahissant son mécontentement.
— A moins que Carmina ne connaisse une fille à l’accent espagnol, je ne vois pas comment on va s’en tirer…
— Et même si… Les documents doivent être loin à cette heure, conclut son ami.
CHAPITRE VI
Ils roulaient depuis le lever du jour à bord de ce G.M.C. bringuebalant qu’ils avaient payé deux mille dollars au Guatemala. Il avait fallu l’embarquer sur un cargo, payer son passage et le leur, discuter durant deux jours à Maracaïbo avec les douaniers et la police pour recevoir l’autorisation de débarquer.
— Que ? La Marginal ? Oui, on en a entendu parler, quelque part dans le Sud, dans la cordillère de Merida. Mais il n’y a pas encore de travaux. Juste des relevés topographiques… Le piquetage, quoi.
— Mais non, avait dit un autre policier. Il faut demander au service des communications routières. On construit des ponts et même un remblai de cinquante kilomètres du côté de San Cristobal.