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Seul, Martinez rit avec complaisance. Roy examina les visages fermés des deux nouveaux.

— Noms, nationalité, passeport ?

— Combien on va toucher, pour notre G.M.C. ?

— Un peu plus de six dollars le voyage. Vous serez avantagés par la vitesse puisque le poids n’y sera pas. Vos vingt voyages, à deux, ce sera presque du gâteau.

— D’accord, on marche.

Ils tendirent leurs cinquante dollars chacun et leur passeport.

— Polonais ? Allemand ? Drôle d’entente.

— On s’est connus après la guerre, dit Kovask. Inutile de revenir là-dessus. Nous, on n’y pense jamais.

— Vous trouverez facilement de la place dans les baraquements. Je vous conseille le E, il y a des étrangers comme vous. Les autres sont pleins de Vénézuéliens, Colombiens et Antillais.

— Je peux aller avec mes copains ? demanda Martinez. Puisqu’on est arrivés ensemble.

— Comme tu veux. Passe me voir ce soir pour boire un verre à la cantina. Au fait, vous commencez dès demain. Quand vous voudrez, mais le plus tôt est le mieux. Avec la chaleur, c’est plus dur. Seuls les Noirs tiennent le coup, et encore… Autour du chantier, c’était la ronde des camions, un cercle de bruits de moteurs. Plus au sud, le fracas des bulldozers et des autres gros engins.

— Ça ne vous dérange pas, que je vous suive ? demanda Martinez.

Ils grognèrent un « non » peu convaincu, mais, dans le fond, ils en étaient satisfaits. Dans le bâtiment E, ils trouvèrent un gars couché avec un bras cassé, un Anglais nommé Rowood, qui leur désigna la rangée de lits en face :

— Tout ça est libre. Les gars ont filé. Sans leur camion. Moi, je m’en suis tiré avec un bras cassé et trois cents dollars de réparation. Ça va encore.

Ils l’entourèrent et Kovask lui offrit une cigarette.

— Les guérilleros ont tiré dans mes pneus. J’ai perdu le contrôle de ma direction et je suis tombé dans un trou.

— Et tu restes ? demanda Martinez.

— Que veux-tu que je foute ? Ici ou ailleurs… Je me fais près de trois cents dollars par jour avec mon gros Mack américain. Il y a deux mois que je suis ici et j’ai un petit paquet à la banque de San Cristobal. L’assurance marche pour les dégâts. Seule l’immobilisation me coûte, mais je suis fataliste…

Martinez racla sa gorge :

— Mais on peut se faire descendre ou tuer ?

— Une chance sur dix. C’est le pourcentage. Ou bien casser son camion et toucher une somme si dérisoire de l’assurance que mieux vaut foutre le camp. Certains sont revenus avec d’autres tacots, les ont cassés et sont repartis. Je suis sûr qu’ils reviendront. On gagne du pognon, tu comprends, et ça…

Il se mit à rire.

— Dans un mois, le chantier se transportera à plus de trente miles. Ce sera encore pire. En pleine jungle, les moustiques, les maladies. Peut-être qu’on obtiendra une augmentation. De toute façon, j’espère en être. On m’enlève le plâtre dans huit jours. Je vais me rééduquer soigneusement et je serai paré ensuite.

Les trois hommes s’installèrent en face de lui. A la tête de chaque lit, il y avait une armoire. A côté du dortoir, plusieurs cabines de douches et des lavabos avaient été prévus. L’eau qui les alimentait était brûlante.

Lorsque Marcus et lui furent prêts, ils partirent en direction de la cantina pour juger de l’atmosphère.

— Je ne vois pas comment on découvrira la piste secrète « Fidel Castro », murmura Marcus Clark, à partir d’ici. Les guérilleros ouvrent le feu sur les camionneurs, ils ne les embauchent pas.

— Patience, nous venons simplement d’arriver. Il se présentera bien une occasion un jour ou l’autre.

— Roy, tu ne crois pas qu’il ait des copains à Langley ? Avec un poste pareil, il peut surveiller son monde.

CHAPITRE VII

Fonçant dans le brouillard de poussière, il dépassa le Berliet de Martinez. Ce dernier agita la main pour le saluer. Le G.M.C. était beaucoup plus rapide une fois chargé, mais Kovask commençait d’en avoir par-dessus la tête. Quatre jours qu’ils travaillaient sans relâche, Marcus et lui. Le camion roulait près de vingt heures par jour. Prudents, ils préféraient ne pas travailler durant les heures les plus chaudes. La température du radiateur montait si haut qu’ils en étaient impressionnés. De plus, il fallait faire des vidanges fréquentes, immobiliser de toute façon le camion. Les heures les plus agréables se situaient au creux de la nuit, entre onze heures et trois heures. Une relative fraîcheur descendait de la sierra et entrait dans la cabine.

Sa montre indiquait onze heures. Il pourrait faire deux voyages avant d’arrêter jusqu’à cinq heures du soir. Il reprendrait le manche jusqu’à neuf heures, puis Marcus le remplacerait jusqu’au lendemain matin. Un enfer. Et pour rien. La région était devenue subitement calme et les guérilleros ne s’étaient pas manifestés. De leur côté, ils n’avaient obtenu que de très maigres renseignements sur les maquis, et presque rien du tout sur la piste secrète « Fidel Castro ». Tout le monde savait que des armes de contrebande, de l’essence et des explosifs circulaient du nord vers le sud, mais nul n’aurait pu donner d’autres détails.

Maintenant, il roulait sur le remblai de la future autoroute, frôlait les profileurs et les bulldozers, klaxonnait lorsqu’il apercevait, dans la gélatine qui constituait l’horizon, les silhouettes noires des terrassiers.

En vue du terminus, il tourna à cent soixante degrés, mit en marche arrière, l’œil rivé à son rétroviseur. Il s’arrêta automatiquement, enclencha le vérin hydraulique. Un cauchemar, chaque fois. Le mécanisme avait une fuite qu’ils colmataient avec de la toile gommée que la chaleur empêchait de sécher. Une panne sur quatre, et l’obligation de poursuivre à la manivelle. Avec cinquante-cinq degrés de chaleur et les lazzis des autres camionneurs. Kovask s’était bagarré trois ou quatre fois déjà, mais il ne pouvait casser la figure aux cinquante camionneurs pour se faire respecter.

Marcus et lui se laissaient presque prendre au jeu. Certes, ils pensaient à leur mission, mais cette vie rude, sous un climat torride, en compagnie de ces hommes habitués aux coups durs, finissait par devenir exaltante. Ivre de fatigue, la peau corrodée par la chaleur et la poussière, on pataugeait en pleine violence physique et mécanique. Personne ne ménageait son voisin, personne ne s’écartait d’un centimètre sur la route et c’était toujours le plus froussard, le plus faible qui cédait le passage. Kovask et Marcus avaient déjà éraflé une bonne dizaine de camions, d’abord pour illustrer leur personnage, et ensuite parce qu’ils commençaient d’aimer ça. A la cantina, on buvait sec et beaucoup, et les bagarres éclataient pour un rien, se poursuivaient dans la nuit lourde où les projecteurs du chantier et les phares de la ronde infernale fournissaient les éclairages publics. Et puis, t’était le dortoir avec le bourdonnement des moteurs, l’impossibilité de se reposer vraiment, sauf après quelques verres d’aguardiente ou de whisky, le sommeil lourd de l’aube avec l’appréhension de l’heure où il faudrait foncer vers son véhicule, tirer sur le démarreur avec inquiétude. Une fois sur deux, le moteur refusait de partir et le grand cirque commençait. D’abord, on essayait de réparer soi-même bougies, vis platinées, filtre à air et filtre à huile, et puis on se ruait vers le premier mécano visible. Il fallait commencer par lui coller dix dollars dans la main pour qu’il réponde :