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— De seguida.

Un tout de suite qui durait une heure, deux heures et nouait les nerfs des gars, les épuisait avant d’apprendre que la réparation durerait au moins la journée. Dans ces cas-là, ils finissaient par se retrouver à la cantina, buvaient des quantités énormes d’alcool et de bières glacées. Le patron devait les tirer au-dehors et les coller sous un appentis à l’ombre relative.

Le vérin tint le coup et il démarra sans attendre que la benne soit totalement retombée. Il fonçait à soixante à l’heure sur la future autoroute, sachant que plus loin sa vitesse tomberait à quarante et même à trente. Les gros-culs se traînaient à dix à l’heure dans la forte pente qui conduisait à la carrière de terre.

Là aussi, il s’agissait d’arriver avant les trop gros, ceux qu’on ne remplissait qu’en trois coups de bulldozer, alors que le G.M.C. débordait en une seule fois. Kovask doublait dans les pires conditions, les chauffeurs ne faisant aucun effort pour lui céder le passage. Il lui arrivait de sentir les bas-côtés s’effondrer sous le poids. Dans ce cas, il accélérait vivement, filait avant qu’un contrôleur de la piste ne relève son numéro. Et toujours cette poussière rougeâtre qui pénétrait partout et dont les poumons se tapissaient sournoisement, qui engorgeait les filtres et même l’essence. Malgré l’étanchéité des bouchons, on arrivait à boucher ses gicleurs.

Il soupira de soulagement en constatant qu’il n’aurait qu’une minute à attendre. Le bull achevait le remplissage d’un énorme Mack qui emportait plus de vingt tonnes de terre en une seule fois, mais marchait précautionneusement sur la piste, embouteillant la circulation et se faisant insulter dix fois à la minute.

L’œil rivé au Mack, il déboucha sa bouteille thermos, avala une gorgée de Coca-Cola glacé, de quoi rafraîchir sa bouche et pouvoir allumer une cigarette. En même temps, il surveillait son rétroviseur. Si l’on perdait trop de temps à démarrer, il y avait toujours un salaud pour vous couper la route.

Il fonça à la place du Mack. Au-dessus de sa tête, le gros bulldozer gronda, recula pour que sa lame rafle le plus de terre possible et il repoussa le tout en direction du G.M.C. Au début, Kovask rentrait la tête dans les épaules lorsque toute cette masse s’abattait sur le camion en entier. Il y en avait autant sur le toit, le moteur et par terre que dans la benne. Déjà, il démarrait pour laisser la place, emportant ses cinq tonnes bien tassées, mais inutile de discuter avec Roy à ce sujet une fois le prix d’un voyage décidé. Six dollars pour eux, mais ils en transportaient bien pour huit. Le géant américain devait se faire les choux gras, même si le motif de sa présente était ailleurs.

Le chemin du retour était encore pire, rendu glissant par la terre perdue des autres camions. Malgré la sécheresse, elle restait humide suffisamment longtemps pour provoquer de spectaculaires dérapages. Plusieurs fois, Kovask s’était retrouvé en travers, alors que de gros transporteurs arrivaient à fond de train et ne manifestaient pas l’intention de freiner. Leurs museaux puissamment protégés de tubes d’acier ne risquaient rien, et ils l’auraient envoyé au ravin sans effort pour ne pas perdre quelques minutes.

Lorsqu’il entra exténué dans le dortoir, Marcus Clark achevait de se raser devant une fenêtre. Il passa tout de suite sous la douche trop chaude, longuement, pour se débarrasser de cette poussière rougeâtre, ressortit sans s’essuyer et, la serviette autour des reins, alla jusqu’à son lit. Entre-temps, sa peau s’était séchée. Il s’allongea, ferma les yeux.

— Dur, aujourd’hui, hein ? demanda Marcus. Les records de chaleur sont battus. Faut faire une vidange avant de repartir ce soir. Je m’en occupe.

Avant de sortir, il posa une thermos sur la petite table de chevet.

— Du thé glacé. Ça te remontera.

Kovask se servit, un coude soutenant son corps. L’Anglais au bras cassé, Rowood, s’approcha de lui, une cigarette aux lèvres.

— Plutôt dur, hein ?

— J’en ai marre, marre !

— Ça passera. On s’y fait. Moi aussi, au bout de deux jours, je voulais filer… Et encore, te plains pas, puisque les maquisards ne se manifestent pas, ces temps. A mon avis, ils doivent préparer un coup dur. D’habitude, ils sont plus virulents.

Kovask avala son thé glacé, lui tendit la thermos :

— Tu en veux ?

— Non. Je profite de mon repos pour essayer de réduire ma consommation de boisson. Quand je tourne, il me faut huit litres. Je fonds sur mon siège, littéralement.

Il s’assit sur le lit en face, celui de Marcus. De l’autre côté, à gauche, c’était Martinez. Il tournait encore avec son Berliet, dur à la tâche et ne semblant pas s’occuper d’autre chose que de faire du dollar.

— Je ne resterai pas, dit Kovask. On va se tuer, à ce boulot. Et notre camion n’est pas assez gros. On ne gagne pas en vitesse ce que l’on perd en poids. Ah ! si j’avais un Mack comme toi !

— Tu aurais dû choisir le transport sur longue distance. Il y a une prime à la rapidité. Entre le Venezuela et la Colombie, par exemple. Mais c’est aussi dangereux avec les partisans Colombiens, plus souvent bandits que résistants.

— On tourne en rond. Pour le travail comme pour le reste. Il n’y a même pas les filles. Celles de la cantina, je n’en parle pas. Quant à celles des bureaux, je suppose que Roy et sa clique se les réservent.

Rowood approuva :

— Méfie-toi de Roy. C’est un salopard. J’ai eu affaire avec lui. Parce que j’ai passé deux ans à La Havane chez Castro.

Kovask le regarda, essayant d’être naturel.

— Toi, chez Castro ?

— Ouais ! Conseiller pour les transports, et puis j’en ai eu marre. Ça ne payait pas.

— Et le grand t’a cherché des poux ?

— Plutôt, oui. Paraît qu’il représente la C.I.A., ici. Et il a toute une équipe, même parmi les camionneurs.

— Ça n’empêche pas les guérilleros d’attaquer de temps en temps.

Rowood eut une moue dédaigneuse ;

— Du menu fretin. Il y a autre choses De temps en temps, on voit passer un hélico sans aucun autre signe que la marque d’une compagnie pétrolière ! En direction de l’ouest.

— Recherches pétrolières.

— Non. Plus au nord, il y a un camp de la C.I.A. Sûr ! Un copain y est tombé par hasard et a failli y rester. L’enjeu est de taille, dans le coin.

Kovask but encore un peu de thé glacé.

— Une piste secrète. Qui traverserait le continent. Tu as entendu parler de la piste Ho Chi-minh ?

— Sangre de Dios, sangre del Cristo ! Martinez entrait en titubant comme un homme ivre.

— Si ma pauvre mère me voyait ! Quand je jouais dans la poussière de la rue, elle levait les bras au ciel pour lui demander comment elle pouvait avoir un enfant aussi pénible.

Il s’affala sur le lit, les regarda d’un air hébété :

— J’arrête jusqu’à la nuit. Je t’envie, Polak, d’avoir le Frisé pour te donner le coup de main. Seul, c’est impossible.

Frustré des révélations de l’Anglais par son arrivée, Kovask l’aurait volontiers étranglé.

— Va te doucher. Tu apportes toute la poussière ici.

— Gueule pas, j’y vais !

Mais l’Anglais se leva en même temps.

— Moi, je vais bouffer avant le grand rush.

— Attends, j’arrive. Je sifflerai mon copain au passage.

Il repéra Marcus en train de discuter avec un mécano, plaqua l’Anglais.

— Rejoins-nous à la cantina. Rowood est en train de me raconter un truc intéressant ; tâche de bloquer Martinez.