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— Compris, dit Marcus en clignant de l’œil. Les deux hommes s’installèrent à une petite table de quatre couverts, les réservèrent pour Clark et Martinez.

— Que disais-tu à propos d’Ho Chi-minh ?

— Non, je faisais une comparaison, dit Rowood, amusé. Il y a une piste secrète qui cisaille l’Amérique du Sud en deux. Armes, munitions, explosifs, essence l’empruntent depuis quelques mois. La C.I.A. est sur les dents, car ça laisse supposer une grande conflagration. Imagine tous les maquis attaquant le même jour dans tous les pays.

— Mais qui transporte tout ça ?

— Voilà… Il paraît que les fournisseurs paient, pas les guérilleros Ces derniers se contentent de surveiller la piste aux endroits critiques.

— Les fournisseurs ?

L’Anglais sourit et commença de piquer dans les hors-d’œuvre qu’une serveuse venait d’apporter.

— Cuba, les Russes, les Chinois ? Mystère. Mais il y a une combine intéressante. Dangereuse, mais pas plus que ce que nous faisons.

— Doivent embaucher des communistes, dit Kovask, désabusé. C’est une question de confiance.

— Pas sûr. Moi, par exemple, j’ai mes chances, si je voulais. Je suis parti de Cuba sans avoir rien à me reprocher et les Ricains ne m’aiment pas, ça me suffit comme passeport.

Kovask mangeait avec appétit. De sa place, il pouvait voir Marcus retenir Martinez avec beaucoup de peine. Le Vénézuélien devait avoir hâte de les rejoindre : faim ou curiosité ?

— On a un peu travaillé contre eux au Guatemala, dit-il entre ses dents pour ne pas être entendu des autres tables. Quelques transports d’hommes et de matériel. Puis on nous a soupçonnés et…

— Je m’en doutais, figure-toi, dit l’Anglais, ironique. Vous ne seriez jamais venus ici.

— Oh ! non, et on ne va pas tarder à filer, si ça continue.

Martinez finit par gagner et ils arrivèrent tous les deux. Kovask apaisa les remords de Marcus d’un regard. Puis, il s’arrangea pour lui faire comprendre le ton à adopter pendant le repas ; ils en avaient marre du chantier.

— Mais attendez l’enveloppe, dit Martinez, désolé de les voir aussi démoralisés. Quand vous verrez les beaux dollars !

— Ouais ! Et il faudra payer la cantina, le lit, l’essence et l’huile. On va y laisser pas loin de deux cents dollars.

— Sur près de mille. C’est encore rentable, non ? Tous les jours, vous avez dépassé les vingt voyages.

— En se crevant, oui, Marcus renchérit :

— Et le camion qui va nous lâcher. Déjà le vérin de la benne… Il faudrait sacrifier deux journées pour le remettre en état.

— Mais attendez la paye ; après, vous verrez ce qu’il faudra faire. C’est alors que vous ne voudrez plus quitter le chantier.

— Pourquoi ne pas prendre mon camion ? dit Rowood. Il est en état, maintenant, et ne sert à rien. Je vous le loue. Fifty-fifty. Vingt tonnes-kilomètre, ça fait du bruit.

— Oui, mais en cas de pépin ?

— L’assurance paiera. Si je conduisais, moi, il y aurait autant de risques.

Après le repas, il y eut la sieste dans la torpeur générale. Les machines de la route s’arrêtaient elles aussi durant deux heures et on pouvait se reposer.

Kovask remonta à la surface du plus profond d’un sommeil lourd, gluant de transpiration. Il passa sous la douche, fut rejoint par Marcus plein de curiosité.

— Rowood ?

— Dehors. Au camion.

Ils allèrent le conduire à une pompe d’essence pour faire le plein et Kovask rapporta sa conversation avec l’Anglais.

— Il doit en savoir plus long, mais il se méfie. Tout ça, c’est une question de patience. Quelques jours encore.

— Le fait qu’il nous loue son camion facilitera les choses.

— Oui. Je n’y avais pas pensé tout de suite. Au contraire, ça m’empoisonnait d’accepter. Mais il verra qu’on est franc jeu.

— Mais la raison de filer, puisqu’on gagnera deux fois plus ?

— On trouvera. Le mieux serait que Roy nous persécute. Faudra peut-être le chercher.

Marcus ricana :

— Belle idée qui risque de nous entraîner très loin. Paraît que le Roy ne se laisse pas faire. Des gars ont disparu sans emporter leurs affaires. Curieux, non ?

— Oui, mais nous, on est des malins.

Ils éclatèrent de rire ensemble. Kovask conduisit Marcus jusqu’à la baraque.

— Repose-toi. Moi, je vais tâcher de faire une demi-douzaine de voyages jusqu’à neuf heures.

— Fais gaffe à l’eau du radiateur. Le mécano prétend qu’il faudra le changer sans trop tarder.

Kovask entra dans la ronde. Pas trop de camions au début, à peine une quinzaine. Il put faire trois voyages tranquilles avant que le vrai cirque ne commence et que la fièvre ne gagne chacun des cinquante conducteurs. Vers le soir, ce n’était pas le grand soleil, mais la chaleur n’en était que plus vicieuse et collait à la peau comme une maladie malpropre. Les gars devenaient de plus en plus mauvais, inconscients. Kovask en aperçut deux qui se battaient au couteau, leurs camions renversés dans le ravin.

Lorsqu’il décida de passer le manche, vers neuf heures du soir il était ivre. C’est tout juste s’il eut le courage d’aller prendre une douche. Marcus n’était pas dans le baraquement.

Rowood, de retour de la cantine, alla cogner à la cabine.

— Kovask ?

— Pas vu Marcus Clark ?

— Si, justement.

Le ton était tellement étrange que Kovask sortit de la cabine sans couper l’eau.

— Quoi ? Des ennuis ?

— Roy l’a convoqué. Il y a maintenant une bonne heure. Si tu veux, je t’accompagne là-bas.

— Avec ton bras ?

Il alla se rhabiller, en proie à une colère froide. C.I.A. ou pas, le gros tas de viande commençait à l’énerver sérieusement.

— Tiens, Martinez n’arrête pas, lui aussi ?

Kovask ricana, croyant comprendre.

CHAPITRE VIII

Dans le bâtiment des bureaux brillait une seule lampe. Un type qu’il n’avait jamais vu quitta la chaise où il était affalé lorsque Kovask entra.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il avec un accent américain prononcé.

Son visage couturé de cicatrices paraissait enflé sur le côté gauche. Ses yeux bouffis ne laissaient passer qu’un regard méfiant.

— Je cherche Roy.

— A cet’ heure ? Il n’est pas ici. Doit être chez lui ou à la cantina. Si vous m’en croyez, feriez mieux d’aller voir là-bas.

— Merci, dit Kovask en faisant semblant de tourner les talons. Mais il fit un tour complet, casa son poing juste sur la grosse boule de l’abcès dentaire. L’Américain ne put retenir un hurlement, perdit une seconde. Le Commander le frappa à l’estomac, grimaça à cause des muscles de fer, récidiva du gauche au menton. Le garde partit contre le comptoir, eut le réflexe d’étendre ses coudes comme des ailerons pour se maintenir. Récupérant vite, il fonça, mais Kovask saisit la chaise pour le recevoir. Un pied le prit à la base de l’œil et il tomba en crachant un mélange de sang et de pus.

Se méfiant, il le releva à deux mains, lui cogna le crâne contre un pilier de bois, le laissa couler. Il passa dans les bureaux voisins, ne découvrit personne. Dans celui qui était réservé à Roy, il aperçut un coffre-fort énorme, fut tenté de fouiller dans les tiroirs, mais préféra s’abstenir.

Dans la salle réservée au public, le garde ouvrait les yeux.

— Mon copain Marcus Clark est venu ici, convoqué par Roy, il y a une heure. Où est-il ?