Au volant de sa Ford, il se dirigea vers le centre, stoppa dès qu’il le put à proximité d’une cabine téléphonique. Chez lui, il avait relevé les numéros des différentes ambassades.
En premier, il appela celle de Colombie, commença par bafouiller lamentablement avant qu’on ne lui passe un secrétaire quelconque. Puis il se domina, exposa en quelques phrases rapides le motif de son appel.
— Réfléchissez, dit-il. Demain, je vous rappellerai à midi pour vous donner d’autres précisions. Vous devrez me faire une offre chiffrée.
— Mais dites-moi au moins…
Il raccrocha, sauta dans sa voiture et traversa toute la ville pour téléphoner à l’ambassade du Venezuela. A nouveau, il obtint un deuxième ou troisième secrétaire, mais il s’en moquait. Cette fois, il parla de façon très nette.
— Je vous rappellerai demain à midi dix. Puis il estima qu’il en avait fait assez, décida de reporter au lendemain les contacts avec les autres ambassades. Selon le chiffre proposé par les deux autres, il aviserait. D’ailleurs, il ne possédait aucun document photographique récent sur les régions situées plus au sud. Il lui fallait attendre.
Tout en conduisant, il réfléchissait au moyen le plus sûr d’entrer en contact avec tous ces gens.
— D’abord, l’anonymat complet. Il faut que je reproduise moi-même ces documents-photos. Qu’on ne sache pas qu’ils proviennent de la National Géographic Society.
Il parlait entre ses dents selon son habitude.
— Pour encaisser l’argent, ce sera le plus dur.
CHAPITRE II
A l’ambassade du Venezuela, le troisième secrétaire Andrés Tizun, raccrocha d’un geste fataliste, haussa les épaules et alluma une cigarette. Encore un illuminé, à moins que ce ne soit un farceur. L’ambassade recevait chaque jour plusieurs coups de fil de la sorte. Des gens demandaient l’asile politique, d’autres avertissaient qu’un complot se tramait contre le président ou bien que les puits de pétrole de Maracaïbo étaient menacés. Dans ce pays extraordinaire qu’étaient les U.S.A., il était à peu près normal de rencontrer de pareils cinglés.
Malgré tout, il nota l’heure du coup de téléphone, le résuma sur un cahier spécial. De plus, un magnétophone enregistrait toutes les communications reçues de l’extérieur. En cas de besoin, il n’y avait qu’à faire tourner les bobines.
Andrés Tizun se replongea dans ses mots croisés tout en fumant à une cadence rapide. Vers dix heures, il pourrait aller se coucher. En cas de besoin, le concierge ou l’un des employés vénézuéliens de veille l’appellerait.
On frappa à la porte du bureau et José Carmina entra. C’était l’adjoint du délégué culturel, un jeune professeur d’histoire qui s’était brusquement orienté vers la carrière.
— Hello, Andrés ! Ça va ? Pas trop long ?
— Ce serait parfait sans le téléphone, répondit le troisième secrétaire. Il y a toujours des imbéciles pour vous déranger pour des riens. Le dernier m’a appelé vers sept heures trente pour me signaler qu’il avait découvert le tracé de la piste secrète Fidel Castro dans notre pays, et également en Colombie.
— Bigre ! dit José Carmina. Rien que ça ! Et elle existe, cette piste ?
— Certains le prétendent, répondit Tizun. La C.I.A. s’y intéresse fort depuis quelque temps. Songez que, si elle existait, les guérilleros pourraient se porter appui d’un pays à l’autre, je parle des castristes évidemment. Un camion pourrait se rendre du nord au sud en moins de trois jours, s’il s’agit de la Bolivie, par exemple. Un camion avec vingt hommes et tout leur matériel. Dans la guérilla, c’est énorme. Multipliez ce camion par trente ou quarante…
— Où les trouveraient-ils, tous ces camions ? Tizun hocha la tête :
— Justement. Le prix des camions d’occasion a drôlement augmenté chez nous, en Colombie et dans l’Amérique centrale. Du simple au double, et certains cimetières de voitures américains font des affaires d’or en revendant à des Mexicains. Il y a tout un trafic que la C.I.A. espère remonter. Mais la route, c’est autre chose. Croyez-moi, Carmina, si elle existe, le secret en est très bien gardé et ce n’est pas un seul type qui la découvrira, mais une véritable expédition.
— Vous avez le nom de ce type ?
— Non. Il doit rappeler demain à midi dix et nous poser ses conditions. Nous devrons lui faire une offre.
Carmina fronça les sourcils.
— Une offre chiffrée ?
— Bien sûr. Je ne sais pas ce qu’en pensera Son Excellence, mais il nous faudrait des garanties solides pour accepter de négocier… Je me demande pourquoi ce type ne s’est pas adressé directement à la C.I.A.
— Allez-vous l’avertir ?
— Pas moi. Son Excellence décidera.
L’adjoint au délégué culturel sortit ses cigarettes, en offrit une à Tizun, puis parla d’autre chose, jusqu’à l’heure où Carmina décida d’aller se coucher. Il monta dans sa chambre, la verrouilla, puis alla prendre un petit objet dans une de ses valises fermées à clé : un tout petit magnétophone de la taille d’un paquet à cigarettes. Il le glissa dans sa poche, attendit que Tizun se soit également couché pour redescendre à l’étage administratif. En quelques minutes, il repéra l’enregistrement de la conversation avec l’inconnu qui proposait la route secrète de Fidel Castro, et l’enregistra sur son propre appareil.
Carmina quitta ensuite l’ambassade à bord de sa voiture, se dirigea vers le centre-ville. Il pénétra dans un bar, commanda un jus de fruit puis alla téléphoner.
— Tout de suite ? lui demanda son correspondant lorsqu’il se fut présenté et qu’il eut manifesté le désir d’une rencontre.
— Oui.
— Bien, dirigez-vous vers Baltimore. Roulez à vitesse moyenne. Lorsqu’une voiture vous dépassera après trois appels de phares, vous vous arrêterez.
— Entendu.
La rencontre s’opéra vingt minutes plus tard. Carmina se rangea soigneusement sur le bas-côté de la route. De l’autre voiture arrêtée plus loin, tous feux éteints, deux ombres sortirent et vinrent vers lui. Une ouvrit la portière de droite, tandis que l’autre se cachait dans les taillis tout proches.
— Que se passe-t-il ?
Carmina sortit son magnétophone de sa poche :
— Ecoutez. Ce sera mieux que n’importe quel discours.
Les deux écoutèrent la voix un peu aiguë, un peu crispante de Carl Harvard, celle plus posée de Tizun. Puis ce fut le silence.
— Qui est ce type ?
— Je l’ignore pour le moment. Vous avez entendu ? Il doit rappeler demain à midi dix. Je saurai alors ce qu’il veut exactement et peut-être comment le retrouver.
— Il le faut, articula l’inconnu installé à côté de lui et dont il ne distinguait pas les traits dans l’ombre.
— C’est grave ?
— Très grave.
Carmina tressaillit.
— Cette piste secrète « Fidel Castro »…
— Elle existe. Tout repose entre vos mains.
Depuis votre départ de Caracas pour l’ambassade, c’est votre affaire la plus importante. Vous avez été formé pour ça. Il vous faut aller jusqu’au bout.
— Très bien, je suis prêt.
— Vous passez pour un castriste sincère depuis le début. Vous devez réussir.
Carmina inclina la tête.
— Repérer le gars, puis connaître l’origine de ses informations. Enfin, le liquider, lui et ses archives.
— Compris.
— Le plus rapidement possible. Il ne faut pas que la route soit découverte avant six mois. Si vous avez besoin de matériel, vous n’avez qu’à téléphoner comme ce soir.