— D’autres contacts ?
— Non ! Sauf en cas de coup dur, et à condition que vous ne soyez pas repéré. Autre question : pensez-vous que votre patron contactera la C.I.A. ?
— Pas avant d’avoir des atouts en main. C’est la tactique employée jusqu’ici. Maintenant, il est possible que ce type ait pris des contacts avec l’ambassade de Colombie.
Un silence suivit l’énoncé de cette hypothèse.
— Bien. Nous allons nous séparer. Je vous remercie de votre diligence et vous souhaite de réussir.
La portière s’ouvrit et l’homme s’éloigna bientôt, rejoint par celui qui attendait dans les taillis. La voiture disparut et Carmina effectua un demi-tour sur place.
Le lendemain, à midi dix, personne ne s’étonna de sa présence lorsque l’inconnu téléphona encore. Il y avait une dizaine de personnes dans le bureau. Un amplificateur avait été installé pour l’écoute collective.
— Avez-vous réfléchi ? demanda Carl Harvard.
— Nous voudrions une preuve, dit l’ambassadeur. On nous propose tous les jours des tas de renseignements et, en général, il s’agit de plaisanteries ou d’escroqueries.
— Je ne suis ni l’un ni l’autre. Admettez que mes informations soient bonnes, combien proposez-vous ?
— C’est difficile à estimer, dit l’ambassadeur, prudent. Il faudrait…
— Très bien. Je vais m’entendre directement avec vos voisins. La Colombie marcherait pour trente mille dollars. Et vous ?
L’ambassadeur parut ennuyé :
— Eh bien ! mettons le même prix. Allez-vous partager les informations en deux, peut-être trois ou quatre ?
— Simplement en deux. A ce prix, je marche. Vous aurez vos clichés demain soir si vous suivez mes instructions. Je rappellerai à cinq heures.
Ce fut tout.
— Et voilà, dit l’ambassadeur. Qu’en pensez-vous, Ribera ?
— Ce type a l’air sincère, dit l’attaché militaire, mais évidemment il faudrait avoir un échantillon en main.
— Nous allons lui en demander un. Nous allons aussi entrer en contact avec les Colombiens.
Ces derniers hésitèrent d’abord puis confirmèrent qu’on leur avait proposé la même chose et qu’on devait les rappeler à cinq heures dix. Carmina trouva curieux que l’inconnu attende cinq heures pour se manifester. Il devait avoir hâte de conclure. A moins qu’il ne soit empêché ? Par son travail, par exemple. A Washington, les bureaux se vidaient à cette heure-là.
— Et si notre gars avait piqué les informations à la CI. A. ? dit soudain l’attaché militaire.
Tous parurent consternés par cette éventualité.
— Nous aurions l’air fin, ajouta l’attaché qui ne s’embarrassait pas d’un langage très académique. Peut-être faudrait-il aviser directement la Maison-Blanche…
— Doucement, dit l’ambassadeur. Je dois rencontrer un haut fonctionnaire du secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères. Je peux le sonder discrètement. Jusqu’à présent, on n’a guère parlé de cette piste secrète. Mais les achats de camions d’occasion dans plusieurs pays de l’Amérique centrale inquiètent la Maison-Blanche.
— Si l’information venait de Langley, ne pensez-vous pas que les Américains nous auraient déjà contactés ? demanda le premier secrétaire.
— Pas forcément s’ils veulent organiser une expédition secrète. Comme d’habitude, nous en serons informés les derniers.
L’attaché militaire intervint d’un ton enflammé :
— Bonne occasion de leur démontrer que nous sommes capables de laver notre linge sale en famille et d’intervenir efficacement. Moi, je suis d’avis que vous donniez une suite favorable à cette affaire. En prenant toutes vos précautions, évidemment. En discutant avec ce haut fonctionnaire, vous risquez de lui mettre la puce à l’oreille.
L’ambassadeur sourit. Habitué aux libertés de langage du colonel attaché militaire, il ne lui en voulait nullement :
— M’en croyez-vous capable après trente-cinq ans de diplomatie ?
L’autre rougit légèrement :
— Excusez-moi, Excellence. Mais les Américains sont toujours à l’affût dans ces occasions-là.
A cinq heures, Carmina se trouvait dans la même pièce et, cette fois, il nota des renseignements plus précis. L’inconnu expédiait une épreuve photographique confirmant ses assertions, mais avertissait l’ambassade que si le lendemain tout n’était pas réglé, il transmettait le reste à la délégation cubaine à l’O.N.U.
— Il nous tient, cette fois, dit l’attaché qui remplaçait l’ambassadeur en visite aux Affaires étrangères.
— L’argent, expliquait la voix aiguë et irritante, sera en billets de dix et vingt dollars. Vous le déposerez dans un container étanche.
— Où voulez-vous que nous en trouvions un ? riposta l’attaché.
— Dans n’importe quel grand magasin, vous trouverez des ustensiles ménagers pour les frigos, des boîtes à dépression.
— Et puis ?
— Demain midi. Vous aurez eu l’échantillon et pourrez me donner votre accord.
A l’ambassade de Colombie, on avait reçu les mêmes instructions. José Carmina rongeait son frein, se demandait comment il pourrait intervenir efficacement pour empêcher les documents d’arriver entre les mains de ses compatriotes. Il passa toute la nuit à réfléchir mais ne trouva rien de satisfaisant.
A midi, le lendemain, Carl Harvard fut exact à son rendez-vous téléphonique. Le matin, au courrier, l’ambassade avait reçu une carte photographique sur laquelle un point blanc était entouré de rouge. Un bref résumé expliquait que ce point était un véhicule photographié aux infrarouges, qui se déplaçait dans une zone réputée impraticable, à la vitesse de trente miles environ.
L’attaché militaire avait vérifié sur une carte les allégations de l’inconnu, et avait dû reconnaître que s’il n’y avait pas truquage, la présence de ce véhicule était inexplicable. Le service photographique de l’ambassade confirma, deux heures plus tard, l’authenticité du document.
— Alors ? demanda Harvard d’une voix mal affermie.
— Nous acceptons, déclara l’ambassadeur.
— Bien, voici mon plan. Tout d’abord, sachez que j’appartiens à une administration, que j’ai glissé parmi le courrier une lettre destinée à la délégation cubaine à l’O.N.U., lettre qui contient les originaux de cette carte. Si je ne reparais pas à mon bureau avant cinq heures, la lettre sera expédiée. Moi, seul, peux l’intercepter puisque moi seul peux dire exactement ce qu’elle contient.
Il reprit sa respiration.
— Si j’ai l’impression que je suis espionné ou suivi, j’éviterai de reparaître à mon bureau. Si tout va bien, lorsque j’aurai l’argent, j’irai reprendre mon bien et vous l’enverrai aussitôt.
— Nous sommes d’accord, dit l’ambassadeur.
— Vous allez placer les billets dans le container en plastique et enverrez quelqu’un, une seule personne, dans une voiture sans plaque spéciale. Elle ira à Quantico, sur les rives du Potomac, et tournera dans un chemin après cette bourgade pour rejoindre les vieux pontons du Yacht Club. Les nouveaux, plus modernes, sont en amont. Sur le troisième ponton en aval, elle trouvera une chambre à air coincée dans les joncs. Sans la sortir de l’eau, j’insiste bien là-dessus, elle attachera solidement le container puis s’en ira. C’est tout.
— Bien, dit l’ambassadeur. A quelle heure ?
— Je ne l’ai pas dit ? s’étonna l’autre.
— Non.
— A quinze heures. C’est bien compris ?
— Quantico, ponton numéro trois, en aval de l’ancien Yacht Club.
— L’endroit est tranquille et malodorant. Personne ne s’en approche, en général.